Innovation Pédagogique et transition
Institut Mines-Telecom

Une initiative de l'Institut Mines-Télécom avec un réseau de partenaires

Le rôle de l’accompagnement en centre de formation en entreprise dans la construction des identités professionnelles des apprenant-e-s en automatisation.

Prof. Caprani Isabelle, responsable Axe de recherche, Haute école fédérale en formation professionnelle ;
Isabelle.caprani@iffp.swiss
Dre Felder Alexandra, Senior Researcher, Haute école fédérale en formation professionnelle ;
alexandra.felder@iffp.swiss
Dre Duemmler Kerstin, Senior Researcher, Haute école fédérale en formation professionnelle ;
Kerstin.duemmler@iffp.swiss

1. Introduction

La formation professionnelle implique non seulement une professionnalisation des jeunes en formation (Wittorski, 2008), mais elle exerce aussi une influence profonde sur la construction identitaire des apprenant-e-s (Billett & Sommerville, 2004 ; Bourgeois, 1996 ; Cohen-Scali, 2003, Chan 2013 ; Dubar, 1998 ; 2000 ; 2007 ; Saboya 2008, propres publications). Les expériences acquises durant l’apprentissage d’un métier, comprenant à la fois des connaissances théoriques et pratiques, ne transforment ainsi pas seulement les savoirs, mais également les identités des personnes en formation. La formation de ces professionnel-le-s en devenir passe par un processus collaboratif et situationnel (Collin & Valleala, 2005) supposant des activités conjointes entre apprenant-e-s et personnes en charge de leur formation. Les pratiques d’accompagnement contribuent à créer un lien avec le métier à apprendre et ainsi encouragent la construction d’une identité professionnelle. La qualité de cet accompagnement est dès lors essentielle pour sécuriser les parcours de formation des apprenant-e-s (Capdevielle-Mougnibas & Léonardis, 2010).
Cette contribution s’appuie sur une recherche qualitative auprès d’apprenant-e-s en automatisation. Pour comprendre comment ces dernières et derniers vivent leur accompagnement durant la formation professionnelle et quel est son rôle dans la construction de leur identité professionnelle, nous concentrerons notre analyse sur une particularité du système suisse qui propose des formations pratiques en alternance en centres de formation au sein même des entreprises. C’est particulièrement l’engagement de certaines grandes entreprises qui investissent des moyens importants dans la constitution de ces centres de formation. Alors que l’apprentissage en alternance « classique » offre la possibilité aux apprenant-e-s de directement faire partie du collectif de travail et de la production, les centres de formation se concentrent sur l’apprentissage auprès d’apprenant-e-s qui restent entre elles et eux. Ces espaces sont dédiés à la formation pratique des apprenant-e-s qui peuvent ainsi évoluer ensemble tout en proposant un accompagnement individualisé pour lequel des personnes en charge de leur formation ont expressément été engagés. Nous proposons d’analyser la manière dont cet accompagnement est vécu par les jeunes en formation dans les relations et interactions sociales tout au long de leur cursus de formation. Il s’agira également de relever les pratiques que les apprenant-e-s considèrent comme un bon accompagnement et celles qui l’entravent ou ne le favorisent pas.
Après la présentation du cadre théorique sur le rôle de l’accompagnement dans le développement professionnel et la construction de l’identité professionnelle des jeunes en formation, nous présenterons les caractéristiques de la formation en automatisation qui est au centre de notre investigation ainsi que la démarche méthodologique de recherche. Nous analyserons ensuite la manière dont l’accompagnement est vécu par les apprenant-e-s en centres de formation et son influence dans le développement de leur identité professionnelle.

2. Perspective théorique : la construction de l’identité professionnelle à travers l’accompagnement

L’identité professionnelle se définit à la fois par une composante biographique, qui intègre l’histoire de vie et la projection vers l’avenir, et par une composante relationnelle qui découle des interactions avec l’environnement socioprofessionnel et des différentes formes identitaires amenées par d’autres acteurs et actrices du domaine professionnel (Dubar, 1998). Cette deuxième composante nous intéresse tout particulièrement dans notre étude puisqu’elle renvoie à une identité pour autrui qui reflète la catégorisation et l’utilisation de soi mais aussi la reconnaissance par d’autres acteurs ou institutions avec lesquels l’individu interagit (Dubar, 2007 ; Jenkins, 2008). Le travail se situe de ce fait au cœur même des processus identitaires aussi bien personnel que professionnel. Dubar précise, aussi qu’on « ne peut savoir ce que l’on veut et ce que l’on vaut sans l’avoir expérimenté au travail » (Dubar, 1993, p.47). La formation pratique s’avère ainsi nécessaire pour compléter l’enseignement théorique, ce qui redonne place à « apprendre en faisant » (Geay & Sallaberry, 1999).
Une identité professionnelle se développe souvent durant une formation et une mise en situation (Fray & Picouleau, 2010). Pour faciliter cette transition progressive vers le monde du travail, un encadrement des personnes en formation est donc central. Ce sont particulièrement les échanges sociaux qui sont à la base de l’accompagnement en entreprise. Winnicott (1975), qui s’est intéressé au développement de la personne, relève que la construction identitaire se met en place justement dans le rapport aux autres. La qualité des relations sociales, ou plus simplement dit « l’ambiance » sur le lieu de travail, se présente dès lors comme une variable essentielle dans les rapports entre individus ou groupes (Méda & Vendramin, 2013). Dans le contexte des centres de formation, les échanges jouant un rôle fondamental dans le processus identitaire découlent des relations que les apprenant-e-s entretiennent avec les personnes en charge de leur formation ainsi que leurs pairs. L’apprentissage ne se présente dès lors pas comme une « action sur » mais plutôt « une relation entre » (Orly & Cuvillier, 2007) collègues et responsables de formation. Ce lien va au-delà de la transmission du savoir et de l’acquisition des compétences propres au métier (Capdevielle-Mougnibas, 2015), attribuant un rôle déterminant de l’accompagnement dans la construction d’une identité professionnelle (Bourgeois & Mornata, 2012 ; Billett & Somerville, 2004).
Cependant, un encadrement adapté est nécessaire. L’ensemble d’un dispositif d’accompagnement ainsi que les différents aspects de l’environnement de travail constituent, selon Billett (2001), de véritables opportunités - « affordances » - dans le processus d’apprentissage. L’accompagnement peut être définie comme un outil pédagogique de socialisation professionnelle et de transfert des compétences techniques (Fredy-Planchot, 2007). Les jeunes en formation se retrouvent ainsi face à des activités qui les encouragent à questionner leurs pratiques professionnelles au sein même d’un collectif. Un collectif de formation est composé de personnes formatrices et apprenant-e-s qui partagent, à l’image d’un collectif de travail, un même espace-temps professionnel permettant à la personne « de dialoguer, de se rassurer, de comprendre, de relativiser, d’ajuster sa pratique face aux difficultés en puisant dans l’expérience commune, de dégager des solutions pragmatiques qui permettent parfois de s’éloigner du prescrit, de réfléchir avec plus de distance à ce qu’elle vit, ce qu’elle ressent. » (Gasset, 2019, p.135). Cet espace de sociabilité permet aux jeunes en formation de se sentir intégrés et donc reconnus (Capdevielle-Mougnibas, 2015 ; Favreau & Capdevielle-Mougnibas, 2013). Les discussions au sein du collectif encouragent les questions et vont ainsi favoriser la compréhension du travail. Notamment la réflexion va être initiée lors des interactions quotidiennes sur le lieu de formation avec les pairs (Mikkonnen & al., 2017) que Tangaard (2005) qualifie d’enseignement symétrique. Par ailleurs, Dubar (1998) souligne à ce sujet que la construction identitaire est tributaire de la reconnaissance que l’individu reçoit de l’acquisition de ses savoirs, du développement de ses compétences. Dans le contexte organisationnel des centres de formation, l’accompagnement peut donc être également pris en charge par le collectif de formation et va ainsi pleinement participer au développement professionnel des apprenant-e-s.

3. Caractéristiques de l’apprentissage en automatisation et démarche méthodologique

Alors que la formation en automatisation représente à peine 1% de l’ensemble des apprentissages en Suisse, cet apprentissage est néanmoins important pour le secteur industriel. Métier exigeant demandant entre autres de la polyvalence et des compétences approfondies en mathématiques, informatique, électricité, électronique, mécanique, hydraulique, pneumatique et en programmation [1] , l’automatisation est souvent axée sur l’innovation pour répondre notamment aux demandes des client-e-s. Une mise à jour constante des compétences sur les dernières technologies et tendances du marché sont donc nécessaires pour les professionnel-le-s afin que l’entreprise maintienne une certaine compétitivité (Kalio, 2015).
Durant leur formation en alternance de quatre ans, les apprenant-e-s acquièrent des connaissances théoriques et techniques - deux jours par semaine dans une école professionnelle et trois jours de formation à la pratique en entreprise. A cela s’ajoutent 40 à 64 heures de cours interentreprises (CIE) [2] , qui sont donnés soit sous la forme d’ateliers de formation pratique, soit au sein même des entreprises formatrices. La formation en automatisation se déroule souvent dans des entreprises disposant de centres de formation sur lesquels nous focaliserons notre analyse. Dans ces centres, un groupe d’apprenant-e-s est accompagné par des personnes formatrices qui consacrent tout leur temps de travail à la formation des apprenant-e-s. Ainsi, parallèlement aux enseignements en écoles professionnelles, les apprenant-e-s automaticiens suivent des cours pratiques en centre de formation le plus souvent durant les 2 voire 3 premières années d’apprentissage. Les apprenant-e-s parachèvent leur formation soit par des périodes de stage en entreprise soit par des activités en atelier de production. Ces centres de formation ont notamment été mis en place par des entreprises pour enseigner les bases de la formation pratique aux jeunes qui ne peuvent pas tout de suite être opérationnels en entreprise.
Comme notre analyse porte sur la perception et le vécu de la formation par les apprenant-e-s, une démarche qualitative a été privilégiée. Cette enquête [3] menée entre 2018 et 2020 repose sur une collecte de données de deux écoles professionnelles dans deux cantons suisses. Nous avons procédé dans un premier temps à des observations durant les cours et les ateliers pratiques et lors des pauses (8 jours dans chaque école), ce qui nous a permis d’être davantage sensibilisés aux thématiques et problématiques de la pratique du métier tout en établissant une relation de confiance avec les jeunes en formation. Dans un second temps, nous avons mené les neuf entretiens semi-directifs avec des apprenant-e-s automaticiens en centres de formation, dont une femme, âgés de 17 à 21 ans (dont 7 en 2ème année et 2 en 4e année) [4] , ainsi que sept entretiens d’expert-e-s [5]. Les apprenant-e-s ont été interrogés sur leur parcours de vie ainsi que sur leurs différentes expériences de formation et de travail en entreprise, ce qui nous a permis de récolter des informations sur leur perception du métier, les conditions d’apprentissage et de travail et les relations sociales développées au sein des centres de formation avec les formateurs en entreprise [6] et les collègues apprenant-e-s, tout en discutant de leur avenir professionnel (Mercure & Vultur, 2010). Comme les identités professionnelles se construisent aussi entre pairs, nous avons mené quatre discussions de groupes focalisés entre apprenant-e-s (une classe de 2e année et trois de 4e année). Des sujets similaires que ceux discutés lors des entretiens ont été abordés.
Le matériel empirique a été transcrit et codé en tenant compte du cadre théorique, mais aussi particulièrement des expériences des apprenant-e-s ainsi que leurs préoccupations (Mils & Huberman, 2003). Cette démarche a permis d’affiner le codage en fonction des expériences de formation des jeunes au fur et à mesure de l’enquête de terrain et de l’analyse. Du fait de l’exigence et la complexité du métier nécessitant notamment une mise à jour constante des connaissances, l’accompagnement prend une place importante dans la formation des apprenant-e-s au sein des centres de formation. Ces dernières et derniers sont encadrés par des formateurs en entreprise, qui ont comme tâche de transmettre le savoir-faire et les connaissances spécifiques du métier. Cet accompagnement s’est avéré ainsi aussi déterminante dans la construction identitaire et professionnelle des jeunes.

4. Le vécu de l’accompagnement dans les centres de formation

Dans le cadre de l’apprentissage au sein des centres de formation, le rôle des formateurs en entreprise ainsi que celui des pairs sont centraux dans l’apprentissage de métier. Un accompagnement soutenu et adapté par la personne formatrice apparaît indispensable pour que l’apprenant-e puisse progresser dans son apprentissage et devenir un-e professionnel-le. Nous focaliserons notre analyse sur les pratiques d’accompagnement propres aux centres de formation, puis sur la relation entre pairs et enfin sur le rapport individuel entre l’apprenant-e et ses formateurs en entreprise. Il s’agit aussi de relever les contextes de formation et les types d’accompagnement qui émergent à travers la nature des échanges au sein des centres de formation. Nous pourrons ainsi étudier la manière dont les apprenant-e-s vivent leur accompagnement qui s’expriment notamment sous la forme de discussion. L’analyse permettra ainsi d’identifier les pratiques considérées par les apprenant-e-s comme un bon accompagnement et celles qui entraveraient leur développement professionnel et la construction de leur identité professionnelle.

4.1. Les pratiques d’accompagnement propres aux centres de formation
Une spécificité de l’accompagnement dans les centres de formation repose sur un apprentissage progressif contrôlé basé sur la pratique répétée de tâches tel un sportif à l’entraînement. En privilégiant l’apprentissage par l’exercice, soit l’exécution de manière répétitive des différentes tâches propres au métier, l’apprenant-e peut ainsi prendre le temps de s’entraîner.

C’est un centre de formation du coup on fait vraiment des exercices enfin pour s’entraîner quoi. C’est vraiment que de l’entraînement toute la journée. (Corentin, 2e année)

La compréhension de la tâche apparaît au cœur de ce processus. Cette approche par l’exercice est souvent perçue par les apprenant-e-s comme une démarche formative qui va fixer les bases du métier. Cela leur permet de développer et consolider leur pratique, sans pour autant avoir une utilité pour l’entreprise.

Moi comme je suis dans un centre de formation je suis là-bas que pour apprendre entre guillemets. Je fais pas des choses qui vont servir à mon entreprise ou quoi, je fais juste des exercices pour moi. (Alexandre, 2e année)

Cette technique d’apprentissage laisse davantage la place à la réflexion personnelle entre pairs puisqu’elles et ils ont plus de temps à disposition pour réfléchir à la manière d’exécuter une tâche ou encore trouver une solution à un problème. Même si la recherche de solution peut parfois paraître difficile, c’est une technique de mise en situation avec un accompagnement distant qui en définitive est reconnue comme une pratique d’accompagnement formatrice.
La pratique formative propre au centre de formation, c’est-à-dire l’entrainement privilégié par rapport au travail au sein de l’entreprise, n’est par contre pas appréciée par tous, parce qu’elle ne permet pas de participer à la production de l’entreprise. Les dernières années de formation amènent du reste des critiques sur le manque de participation au travail de production avec le sentiment de ne pas faire réellement partie de l’entreprise. Pour certain-e-s apprenant-e-s, le centre de formation tend à se détourner de la production, constituant davantage un lieu d’exercice pratique. C’est notamment le cas de Joseph, apprenant de 4e année qui préfère le « vrai » travail en entreprise. En quête d’indépendance professionnelle et financière puisqu’il vit une situation familiale difficile le contraignant à travailler parallèlement à son apprentissage pour soutenir sa mère, il est davantage intéressé par un travail qui produit un bien ou service utile pour l’entreprise et qui lui permet aussi de participer à une équipe de production. Joseph, qui se dit désabusé par le métier et se sent même trompé sur la manière dont il lui avait été initialement présenté, relève ainsi la limite du centre de formation qui l’éloigne de la réalité du monde du travail.

Exactement alors qu’au final si on choisit d’avoir un CFC, c’est pour rentrer dans une vie d’adulte si je peux dire, de professionnel. Alors que là j’ai toujours le sentiment d’être materné. Il y a toujours quelqu’un derrière moi, pour ci, ça. On me donne des petits exercices à la con, des trucs.

Même si les centres prévoient régulièrement des stages en production, il souhaite en avoir davantage pour faciliter la mise en pratique concrète de ce qu’il a appris en centre de formation. Pour lui, le centre de formation s’apparente trop à l’école, l’empêchant d’une certaine manière de pleinement développer son identité professionnelle au sein d’une entreprise. En d’autres termes, il regrette de ne pas pouvoir contribuer à ce sentiment d’utilité qu’évoquait Fray & Piccouleau (2010) qui contribuerait ainsi au développement de son identité professionnelle. Cette dernière est même mise en péril puisqu’alors qu’il est en dernière année, il remet en question son choix de métier : « […] donc, voilà, tout ça, ça m’a dégouté un peu. Donc, j’me dis maintenant ouais j’aurais dû faire boulanger ». Une forme de désidentification professionnelle ressort en effet ici.
Rare sont néanmoins les apprenant-e-s qui se plaignent de leur apprentissage en centre de formation, ce sont notamment les stages en entreprise qui leur permettent d’amener du sens et du concret à l’ensemble des compétences acquises. La pratique d’accompagnement durant le stage, basée sur l’octroi de responsabilités intégrant l’apprenant-e dans une partie ou sur l’ensemble du processus de fabrication et de sa mise en application va également renforcer la construction de son identité professionnelle. Yannick, apprenant de 4e année, n’a par exemple pas seulement pu mettre en pratique ses connaissances durant le stage mais aussi bénéficier de certaines responsabilités.

Après ben, là c’te semaine j’étais responsable d’une machine, donc la mise en service, la cinquième machine qu’on fait et pis bah, il y a un nouveau collègue qui a commencé lundi pis du coup ils l’ont mis avec moi pour que je lui explique comment la machine fonctionne, les fonctionnalités et comment on fait la mise en service. Donc j’pense que j’suis assez bien considéré, plus comme un collègue qu’un apprenant d’après mes collègues. (Yannick, 4e année)

Ce type de pratique encourage non seulement le développement de l’identité professionnelle, mais va également progressivement amener l’apprenant-e à devenir un-e professionnel-le.

4.2. La relation entre pairs : une manière progressive d’entrer dans le métier
L’analyse de nos données montre que le centre de formation apporte aux apprenant-e-s souvent une structure rassurante, particulièrement en début de cursus. Une semaine introductive qui y est souvent organisée, a comme dessein de faciliter la transition de l’école au monde du travail et de permettre ainsi aux jeunes en formation d’entrer progressivement dans le métier. Plusieurs jeunes parlent de manière très positive de ces premiers jours en centre de formation aussi parce qu’un véritable collectif de formation se crée.

Alors le premier jour au travail c’était vraiment cool. J’avais beaucoup aimé parce qu’on est arrivé, on nous a présenté l’entreprise, on était tout le groupe et on a dû faire une activité commune. […] Ça a déjà bien soudé les liens au début, c’était cool ouais. (Jean, 2e année)

Le fait de se retrouver avec d’autres apprenant-e-s peut rassurer tout en créant un esprit d’équipe qui va encourager l’entraide et le soutien. Très souvent, une forme de solidarité s’installe, leur permettant de ne pas se sentir isolés, notamment dans l’exécution de nouvelles tâches. Aussi, les activités communes entre apprenant-e-s contribuent à la bonne ambiance sur le lieu de formation, procurant ainsi un cadre agréable et propice à l’apprentissage.

Alors travailler en équipe […] on est avec un pote, on discute, on peut déconner, on travaille ensemble donc on peut comparer nos idées comme ça ça nous permet de nous améliorer. Si l’autre a une meilleure idée que soi, on en prend de la graine. (Jean, 2e) année)

Ici, on peut parler d’un véritable co-apprentissage, contribuant à un développement progressif dans le métier et au sein même du groupe de pairs. Mikkonen et al. (2017) affirment que le lien entre apprenant-e-s, comme le dialogue est horizontal ou symétrique, incite plus les jeunes en formation à développer une pensée indépendante et un esprit critique, par rapport à l’instruction plus asymétrique avec la personne formatrice où l’apprenant-e est davantage dans une posture d’imitation.
Les centres de formation, qui consacrent leur temps d’encadrement uniquement à la formation, sont ainsi souvent appréciés particulièrement lors des premières années par les apprenant-e-s et c’est notamment l’implication du formateur dans leur suivi qui va les conforter dans leur installation dans le métier.

4.3. Une pratique d’accompagnement individualisée amenant au développement de l’identité professionnelle
La particularité du centre de formation, souvent mis en exergue par les apprenant-e-s, est l’omniprésence des formateurs qui assurent ainsi pleinement leur mission formatrice.

Alors, au centre de formation on était bien encadré, y avait vraiment des formateurs qui étaient là pour nous, on était une douzaine pour un formateur donc là, on avait une bonne surveillance, c’était bien. (Yannick, 4e année)

Les délais d’exécution d’une tâche n’étant pas soumis aux mêmes contraintes que dans les secteurs de production, les apprenant-e-s ont le temps non seulement d’apprivoiser et comprendre mais également de réaliser leurs tâches. Dans ce contexte, la présence constante des formateurs rassure les apprenant-e-s qui auront ainsi la possibilité de leur poser des questions en vue d’obtenir des précisions.

Parce qu’il [le formateur] est toujours là. Il est à l’écoute. Si on a une question, des fois les réponses c’est "Eh bien cherchez." mais des fois les réponses, c’est une vraie explication où il ramasse tout le monde dans les deuxièmes années et ils leur expliquent tout, comme ça on met tout au clair. Ou il demande si quelqu’un d’autre sait pour comprendre mieux, des fois, des autres apprentis que des formateurs. (Clara, 2e année)

L’espace de discussion, qui se met en place particulièrement à travers le jeu des questions et explications, place l’intervention didactique au centre des pratiques d’accompagnement. Ce contexte d’apprentissage favorise par ailleurs le dialogue, au point que l’apprenant-e osera même contredire son formateur montrant qu’il a bien intégré le fait d’être dans un processus d’apprentissage basé sur l’échange.

On ne se fait pas vraiment ramasser mais quand il nous explique ce qu’il dit, pis qu’on le contredit, il nous l’explique différemment, pis après on s’rend compte qu’on avait tort et on se sent un peu gêné et un peu con d’avoir dit ça devant lui donc. (Yannick, 4e année)

Les retours sur le travail sont donc fréquents et les compliments tout comme la critique permettent de s’améliorer tout en motivant l’apprenant-e à continuer et développer sa pratique.

Après c’est souvent en fait à travers des erreurs qu’on apprend justement et non un sans faute, on apprend beaucoup plus […]. Ben là actuellement c’est plus de la rigolade parce qu’ils disent en rigolant quand on fait une faute. Ils savent qu’au fond je sais que j’ai fait faux, pis que je vais pas essayer de refaire pareil donc ils rigolent, ils disent peut-être un commentaire pour éviter, enfin faire différemment la prochaine fois ou améliorer la chose mais… non c’est pas en négatif, […] c’est vraiment constructif. (Yannick, 4e année)

Dans un contexte d’échange fréquent entre formateurs et apprenant-e-s, il est possible que ces derniers et derniers n’apprécient pas certaines attitudes des formateurs qui peut entraver la discussion, comme le témoigne Manuel qui n’apprécie guère être jugé trop strictement par son formateur qui attend une utilisation exacte de la terminologie à adopter.

Avec un formateur que j’ai, j’ai un peu de peine à l’apprécier en tant que formateur. Sa personnalité côté humain il est très sympa, mais je le considère pas comme un formateur à part entière. Disons qu’il nous envoie assez souvent balader, il nous dit très souvent démerdez-vous et ça peut être un bon point parce qu’on doit apprendre de nous-même c’est sûr, mais quand on a besoin de lui pis qu’on lui pose une question et qu’il veut pas nous répondre parce qu’on n’a pas le nom exact de ceci ou cela à la lettre près limite, je trouve que c’est un peu pinailler. (Manuel, 2e année)

Toutefois, l’apprentissage se fait progressivement en centre de formation, tolérant une part d’erreur, ce qui nécessairement atténue la pression. Cette relation directe et continuelle avec les formateurs favorise aussi l’échange et la possibilité de poser des questions, sans craindre les conséquences d’une erreur.

C’est une bonne ambiance et puis les formateurs ils sont à notre écoute etc. … Enfin je dirais on peut poser n’importe quelle question, on peut se tromper, on peut faire n’importe quoi, ils nous expliqueront toujours je veux dire. C’est vraiment bien. (Corentin, 2e année)

Dans ce contexte, une forme de confiance, peut facilement s’installer sur la capacité de l’apprenant-e à mener la tâche et va lui permettre de s’investir dans la formation. La pratique d’accompagnement qui laisse progressivement de l’autonomie est d’ailleurs souvent appréciée par l’apprenant-e, ce qui lui permet d’évaluer sa progression.

En première année, on nous fait pas confiance j’ai l’impression, ou peu confiance en tout cas. Et puis ben là pour l’instant en deuxième année en tout cas, j’ai pu prendre plus d’initiative, on m’a demandé des choses à faire, que j’ai pu faire de A à Z sans que le formateur il soit tout le temps derrière moi à chaque étape pour me dire fais ci, fais ça. C’est aussi normal avec l’expérience on peut faire tout seul, mais ouais plus d’autonomie. (Alexandre, 2e année)

5. Conclusion

Les centres de formation, qui se présentent souvent comme une structure rassurante pour les apprenant-e-s, constitue un lieu privilégié pour l’apprentissage progressif. Axé sur la formation pratique, une technique d’apprentissage spécifique est l’exercice répétée de la tâche, une autre est la recherche de solution à une problème donné. Le centre de formation s’apparente en ce sens à un centre d’entraînement apportant les bases du métier aux apprenant-e-s tout en les préparant à la production réelle en entreprise. Cette approche d’apprentissage laisse non seulement le temps aux apprenant-e-s d’intégrer mais également de réaliser les exercices.
Cependant, l’éloignement du contexte productif propre à l’entreprise tend pour certain-e-s à les écarter de son aspect concret pouvant ainsi perturber leur projection dans le métier et par là-même la construction de leur identité professionnelle. Ce sera davantage l’intégration des apprenant-e-s au processus de fabrication lors notamment de stages en entreprises qui permettra de donner du sens à leur activité.
De plus, la pratique d’accompagnement favorisant la mise en situation par la recherche de solutions à un problème avec l’aide de ses pairs, va encourager la co-construction du collectif de formation qui est une simulation de leur futur collectif de travail. Cette pratique leur permet aussi de mener une réflexion sur leur apprentissage du métier et ainsi questionner leurs pratiques professionnelles.
Dans ce contexte d’apprentissage, le formateur en entreprise occupera une place essentielle puisque par les exercices et surtout la création d’un espace de dialogue il va permettre à l’apprenant-e de progresser. L’encadrement tendra à diminuer avec les années de formation par l’octroi notamment de responsabilités qui confortera les apprenant-e-s dans leur quête d’autonomie. Ces pratiques d’accompagnement et la participation progressive au processus de fabrication par des stages contribuent de ce fait pleinement à leur professionnalisation et à la construction de leur identité professionnelle.

6. Bibliographie

Billett, S. (2001). Learning through work : Workplace affordances and individual engagement. Journal of Workplace Learning, 13(5), 209-214.
Billett, S. & Somerville, M. (2004). Transformations at work : identity and learning, Studies in Continuing Education 26 (2), 309-26.
Bourgeois, E. (1996). Identité et apprentissage. Education Permanente, 128 (3), 27-35.
Bourgois, E. & Mornata, C. (2012). Apprendre et transmettre le travail. In Bourgeois, E. et al. Apprendre au travail. PUF : France, p.33-51.
Capdevielle-Mougnibas, V. (2015). Arrêter une formation par alternance. Les enjeux de la relation au maître apprentissage. Diversité, 180, 2e trimestre, 100-105.
Capdeville-Mougnibas, V. & de Léonardis, M. (2010). Ségrégation sociale et responsabilité du chercheur en psychologie : donner la parole à ceux qui ne l’ont pas. Recherche Qualitative, 29(2), 134-159.
Chan, S. (2013). Learning through apprenticeship : belonging to a workplace, becoming and being, Vocations and Learning 6 (367-383).
Cohen-Scali, V. (2003). The influence of family, social and work socialisation on the construction of the professional identity of young adults, Journal of Career Development, 29 (4):237-49.
Collin, K. & Valleala, U.M. (2005). Interaction among employees : How does learning take place in the social communities of the workplace and how might such learning be supervised ?, Journal of Education and Work, 18:4, 401-420.
Dubar, C. 1993. Le travail, lieu et enjeu des constructions identitaires, PROJET, n°236, 41-48.
Dubar, C. (1998). La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles. Paris : Armand Colin.
Dubar, C. (2000). La crise des identités. Paris : PUF.
Dubar, C. (2007). Polyphonie et métamorphoses de la notion d’identité. Revue française des affaires sociales, 2007(2), 16.
Favreau C. & Capdevielle-Mougnibas, V. (2013). Le rôle des pratiques de coopération entre de formation / Entreprise dans la genèse des ruptures de contrat d’apprentissage. Education & Formation, 300. Decembre, 79-95.
Fray, A.-M. & Picouleau, S. (2010). Le diagnostic de l’identité professionnelle : une dimension essentielle pour la qualité au travail. Management & Avenir, 8/38, 72-88.
Fredy-Planchot, A. (2007). Reconnaître le tutorat en entreprise. Revue française de gestion. 6/175, 23-32.
Grasset, Yves (2019). Collectif de travail (working collective, workgroup – colectivo de trabajo). In Dictionnaire de sociologie clinique (2019), 135-136.
Geay, A. & Sallaberry, J.-C. (1999). La didactique en alternance ou comment enseigner dans l’alternance. Revue française de pédagogie, vol. 128, 7-15.
Jenkins, R. (2008). Social Identity. London : Routledge.
Kallio, K. (2015). Dilemmas in automation engineers’daily work and the changing form of learning. In Bohlinger, Haake, U., Jorgensen, Ch. H., Toiviainen, H. & Wllo, A. (Eds). Working and learning in times of uncertainty. Challenges to Adult, Professional and Vocational Education. Sense Publischers : Rotterdam, 117-130.
Méda, D. & Vendramin, P. (2013). Réinventer le travail. Le lien social. PUF, Paris.
Mercure, D. & Vultur, M. (2010). La signification du travail. Nouveau modèle productif et ethos du travail au Québec. Québec : Presses de l’Université Laval.
Mikkonen S & al. (2017). Guiding workplace learning in vocational eduction and training : a literature review. Empirical research in vocational Education and Training, 9/9, 1-22.
Miles, M. B. et Huberman, A. M. (2003). Analyse des données qualitatives. De Boeck, Bruxelles, Paris.
Orly, P. & Cuvillier, B. (2007). Apprendre en situation. Education Permanente, n°172, pp.45-60.
Saboya, F. (2008). "Analyse de pratiques et identité professionnelle.", La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation 41 (1):161-70.
Stalder, B. E., & Schmid, E. (2006). Lehrvertragsauflösungen, ihre Ursachen und Konsequenzen Ergebnisse aus dem Projekt LEVA. Bern : Bildungsplanung und Evaluation Erziehungsdirektion des Kantons Bern.
Tanggaard, L. (2005). Collaborative Teaching and Learning in the workplace. Journal of Vocational Education and Training. Vol. 57 (1), 109-122.
Winnicott, D.W. (1975). Jeune et réalité, l’espace potentiel. Essais Folio : Paris.
Wittorski, R. (2008). La professionnalisation. Savoir 17 (2). L’Harmattan : Paris, 9-36.

Licence : Pas de licence spécifique (droits par défaut)

Notes

[1Cf. orientation.ch

[2Les CIE ont comme desseins de transmettre et faire acquérir un savoir-faire de base. Ils constituent un complément de la pratique professionnelle et la formation scolaire.

[3Cette étude, financée par le Fonds national suisse de la recherche (N°10001A_172858), s’intéresse au développement de l’identité professionnelle des apprenant-e-s en formation en maçonnerie, automatisation et commerce de détail.

[4A noter qu’initialement l’enquête de terrain a porté sur la récolte de 32 entretiens semi-directifs auprès d’apprenant-e-s automaticiens, dont neuf ont été menés avec des jeunes en centre de formation et les 23 autres auprès d’apprenant-e-s directement rattachés à la production en entreprise. L’encadrement étant différent, nous avons préféré focaliser notre analyse sur les centres de formation dont les pratiques d’accompagnement sont destinées à la formation.

[5Cette récolte d’entretiens d’experts – personnes formatrices, de direction d’école, enseignant-e-s, responsable de formation d’associations professionnelles - a comme principal dessein de mieux comprendre le fonctionnement institutionnel de la formation

[6Puisque dans notre étude cette fonction est occupée essentiellement par des hommes, ce qui reflète la réalité du terrain, nous utilisons volontairement le genre masculin pour nous y référer.

Répondre à cet article

Qui êtes-vous ?
[Se connecter]
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom