L’expérience étudiante a été profondément bouleversée par la crise sanitaire et les confinements successifs. Les pertes d’emplois, la continuité pédagogique à distance, la fermeture des lieux de socialisation et l’incertitude de l’avenir ont largement contribué à générer un climat anxiogène qui a eu des répercussions sur la santé mentale des jeunes. Ces multiples difficultés ont été largement relayées par les médias.
L’insécurité financière et sociale a rompu les sociabilités propres à la vie étudiante. Comprise comme « l’absence d’une ou plusieurs des sécurités permettant aux personnes et aux familles d’assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux », elle est ici clairement établie, en raison du tarissement des ressources financières et de l’isolement social lié aux mesures restrictives.
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Or, cette insécurité, qui « peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives », tend vers les conséquences les plus dangereuses comme le renoncement aux soins, plus particulièrement dans les spécialités qui ne sont pas prises en charge en totalité par la sécurité sociale. C’est le cas de l’odontologie et des soins psychologiques et psychiatriques. Les psychiatres de secteur 1 – entièrement remboursés – se font rares et les psychologues ne sont pas pris en charge par les mutuelles.
La santé mentale est donc l’un des sacrifices faits sur l’autel de la précarité financière, ce qui n’est pas sans conséquence sur les trajectoires académiques.
À travers une étude quantitative et qualitative, menée d’avril 2020 jusqu’à la fin de l’automne 2020, nous entendons avoir un tableau précis des conséquences de la crise sanitaire sur la santé mentale des étudiants.
Une angoisse accrue par le premier confinement
Le premier confinement a rendu les étudiants inquiets par des conséquences d’une crise économique à court terme (58 % pensaient avoir des difficultés à trouver un job d’été, ce qui pénaliserait leur budget) et à moyen terme (57 % s’inquiètaient de la possible crise économique, surtout des étudiants salariés, les femmes et les étudiants en master).
Leurs peurs concernent également leurs études : 58 % s’interrogeaient sur leur possibilité de passer des examens du fait de la situation de confinement et 64 % s’alarmaient de leur chance de réussir ces partiels. Cette peur de l’échec est plus particulièrement perceptible chez les étudiants boursiers, les femmes et les étudiants en licence. L’arrêt des stages ou de l’alternance s’est avéré problématique pour près d’un étudiant sur deux. 45 % des étudiants étaient également préoccupés par la valeur de leurs diplômes. Enfin, plus de 50 % environ des étudiants se déclaraient inquiets pour leur famille, en ce qui concerne par exemple l’aspect financier ou la santé.
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À travers les résultats de l’enquête quantitative et des tests statistiques non paramétriques établissant des corrélations, nous pouvons voir des variations selon le milieu social, le genre et le cursus en cours. Ainsi les plus inquiets, que cela soit sur le plan académique, le diplôme ou la poursuite d’études, sont les femmes, les boursiers, les étudiants en licence mais aussi les étudiants salariés. Cette dernière sous-population est particulièrement concernée par ces différents éléments dans la mesure où l’équilibre entre poursuite d’études et finances est par nature instable et que la majorité de leur revenu pour financer leurs études provient d’un travail salarié avec un contrat de travail très souvent précaire.
Une année supplémentaire dans le supérieur, due notamment à un redoublement ou un refus pour entrer en master, entraîne une année supplémentaire de sacrifices. Or, les étudiants salariés sont déjà, en temps normal plus susceptibles de redoubler et de prolonger cette période de précarité dans la mesure où il existe un seuil de 15 heures de travail salarié hebdomadaire au-delà duquel les chances d’échouer ou de décrocher sont décuplées.
Concernant l’insertion professionnelle, les étudiants en master se distinguent des étudiants en licence, ce qui s’explique aisément par le fait que l’insertion professionnelle se fera pour eux dans un avenir proche (un ou deux ans) en raison des importantes incertitudes sur le « monde d’après » liées aux conséquences de la pandémie sur le marché du travail et sur l’économie. Les femmes et les étudiants salariés sont également concernés par cette inquiétude d’une potentielle crise économique. Ces sous-populations craignent que le diplôme ne protège plus du chômage et que le « sas d’attente », soit le temps entre la fin de la formation et l’obtention d’un emploi rémunéré à la hauteur de leurs qualifications, s’allonge considérablement.
Un fragile équilibre brisé par le confinement
Issus d’une classe moyenne inférieure, une partie des étudiants bénéficient d’une bourse à un faible échelon et d’une aide parentale minimale. Ils vivent dans une certaine fragilité qui s’est accrue depuis le début de la crise sanitaire. La majorité de cette classe travaillait pour subvenir à ses besoins et pouvoir finir le mois, mais la crise sanitaire et les confinements successifs leur ont fait perdre leur contrat déjà précaire. Tous essayent de faire preuve de résilience car les études supérieures sont pour eux un moyen d’avoir une situation meilleure que celle de leurs parents et gravir l’échelle sociale.
Ces étudiants font preuve de multiples stratégies de coping pour s’en sortir. En majorité, ils n’habitent plus chez leurs parents et comptent sur les aides publiques pour payer en grande partie le loyer. Les bourses et l’aide parentale servent aux autres dépenses contraintes, mais n’autorisent aucun plaisir. Ce manque de latitude financière les enlise dans un isolement social en les contraignant à rogner sur leur budget sorties. Une charge mentale s’installe et le temps à chercher un travail étudiant gagne du terrain sur le temps consacré aux études, ce qui provoque une grande anxiété et une déprime latente.
Tous les étudiants de cette classe déploraient le manque d’action du gouvernement pour soulager la détresse des étudiants et condamnaient l’invisibilisation dont ils sont victimes. Deux d’entre eux ont trouvé comme exutoire les réseaux sociaux où des centaines d’étudiants parlent de leurs conditions de vie et de leur vulnérabilité sous l’hashtag #etudiantsfantomes. Ils essayent ainsi de faire prendre conscience à l’opinion publique que leur situation se dégrade de plus en plus et que leur souffrance n’est plus gérable.
Un sentiment de révolte grandit chez la majorité de cette classe, après les tentatives de suicide des étudiants annoncées dans les médias. Ces restrictions leur donnent la force de se mobiliser et les réseaux sociaux leur ont permis de trouver un refuge de pair-aidance et d’écoute et de ne pas se sentir seuls face aux vulnérabilités.
Une absence de vie sociale étudiante difficile à vivre
Une seconde catégorie réunit des étudiants issus de classes moyennes supérieures ou aisées. Ils ont incorporé la nature précaire de la condition étudiante mais ont les capacités et les ressources sociales pour se projeter. La crise sanitaire a eu un effet plus psychologique que financier sur cette classe. L’image d’Épinal de l’étudiant insouciant prolongeant l’adolescence et les découvertes est esquintée dans la mesure où la vie sociale étudiante est devenue quasiment inexistante.
L’ensemble de cette classe connaît un sentiment envahissant d’isolement bien que ces étudiants aient des liens sociaux forts et un réseau de soutiens familiaux et amicaux. Ils veulent la réouverture des établissements d’enseignement supérieur car ils craignent de passer à côté de nouvelles relations – amicales ou amoureuses – et de connaissances importantes en raison de la fermeture des lieux où la vie sociale s’exerce.
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Le caractère incertain de l’avenir et le manque de vie sociale pèsent sur le moral de ces étudiants dans la mesure où ils ne comprennent pas pourquoi la jeunesse est sacrifiée pour une population à risques qui est relativement âgée. Une fracture générationnelle se crée alors avec une incompréhension des deux populations. Ils justifient aussi un « retour à la vie normale » par la détresse psychologique de certains étudiants.
Malgré la période incertaine, ces étudiants ont relativement confiance en l’avenir, même s’ils sont conscients qu’économiquement les prochaines années ne vont pas être faciles pour la majorité des jeunes diplômés. Par ailleurs, cette relative sérénité s’explique par leur trajectoire : cette classe d’étudiants n’a pas connu de situations de précarité pendant l’enfance. Ils ont une capacité d’adaptation importante car ils peuvent mobiliser pléthore de ressources disponibles dans leur entourage, comme la mobilisation de réseaux professionnels pour les protéger du chômage.
Un enlisement dans une détresse financière et psychologique
La dernière classe d’étudiants est celle qui a été la plus affectée par la crise sanitaire, amplifiant les inégalités de condition de vie et d’études que l’on observait déjà d’ordinaire. Elle réunit des étudiants privés d’un soutien familial et venant d’un milieu social soit populaire soit de classe moyenne inférieure.
L’éloignement géographique vis-à-vis de leur ville d’origine a amplifié l’isolement social provoqué par la crise sanitaire. Tous ont décidé de rester sur leur lieu d’études depuis le premier confinement, ne pouvant se permettre de perdre leur logement en raison de la grande tension du marché locatif dans les grandes villes étudiantes ou de payer un loyer sans y habiter. Cette décision a joué un rôle dans la dégradation de leur santé mentale.
Mêlée à une détresse psychologique, cette détresse financière plonge certains dans une situation de décrochage universitaire. Si ces étudiants n’ont pas de projet professionnel défini en comparaison à la deuxième classe, ils ont un espoir de vie meilleure grâce aux études supérieures dans la lignée du rêve de l’ascension sociale. De plus, l’ensemble de cette classe craint une situation de déclassement social accentuée par la crise sanitaire, ce qui nous ramène à l’enquête quantitative qui montrait que les plus précaires étaient les plus anxieux concernant une crise économique.
Ils craignent de connaître une période de chômage de longue durée en raison de la conjoncture négative et d’avoir une situation pire que celle de leurs parents. Leur estime de soi a périclité avec la précarité grandissante, ils ne se sentent plus acteurs de leur vie et subissent un présent sans avenir en attendant des jours meilleurs. Cette impuissance peut également être liée aux inégalités d’informations concernant les dispositifs d’aide pour les étudiants puisqu’il faut avoir les ressources sociales pour trouver les organismes et associations qui peuvent porter assistance.
Ces étudiants connaissent également une charge mentale de la précarité plus importante que la première classe. Leurs pensées sont occupées par les questions financières, les angoisses du quotidien et une grande incertitude de leur avenir. La pauvreté réduit le temps consacré aux études : il faut se déplacer pour obtenir des aides, aller aux distributions alimentaires et subir de longues attentes pour attendre son tout faire plusieurs magasins pour économiser le plus d’argent possible, ne pas prendre les transports en commun parce qu’un ticket coûte plus qu’un repas, etc.
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Le coping prend forme dans plusieurs stratégies pour faire face à la précarité : « Pour économiser je dors jusqu’à 14h pour sauter le petit-déj’ et le déjeuner, j’essaye de manger qu’en fin d’après-midi c’est vraiment dur je le souhaite à personne de passer la journée le ventre vide. […] C’est dur d’étudier dans ces conditions » ; « Les midis je mange du pain et bois du café c’est pas cher et ça cale quelques heures ».
Ces résultats montrent que les étudiants ont vécu des situations de confinement variées. Les inégalités que l’on constatait avant le confinement se sont accentuées durant cette période. Les conditions de vie se sont détériorées pour les étudiants qui étaient initialement les plus précaires. Ils indiquent également les risques qui pèsent sur eux dans l’avenir, si la crise sanitaire se prolonge par une crise économique durable. Si certains étudiants interrogés vivent la crise sanitaire avec une certaine résilience sans affecter de manière importante leurs études, les confinements ont souvent eu une incidence directe sur leurs conditions de vie qui se sont dégradées, par exemple une perte de revenus ou des conséquences psychologiques.
Kenza EL HADJ SAID a reçu des financements de la Ville de Paris.
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