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À quand les vacances ? Le défi d’une « nation apprenante »

Un article repris de https://theconversation.com/a-quand...

Les deux mois de confinement interrogent les rythmes et lieux d’apprentissage. Shutterstock

L’épidémie de Covid-19 a des effets quelquefois déconcertants. Après le mot d’ordre d’une « nation apprenante », lancé au début du confinement par le ministre de l’Éducation, lors de la généralisation de l’enseignement à distance, voilà que le président de la République, en présentant ses mesures pour le secteur culturel, nous promet un été « apprenant ».

Comment comprendre cette météo socio-éducative ? Faut-il s’en alarmer, ou bien s’en réjouir ? En ce qui concerne l’éducation et la formation, la pandémie pourrait bien avoir accéléré une redistribution des cartes déjà en cours, dont la notion de « nation apprenante » serait le nom.

L’école hors les murs

Au-delà de l’injonction et du message politique, on peut noter un double déplacement. L’un, qui préexistait à la pandémie, est d’ordre conceptuel. L’autre, directement provoqué par la pandémie, est d’ordre physique.

Après que l’on a longtemps bataillé pour savoir qui était au centre du processus éducatif, les enseignants, ou bien les « apprenants », on ne conteste plus guère aujourd’hui que, si l’on enseigne, c’est pour faire apprendre. L’enjeu de la scolarité est de faciliter l’activité d’apprentissage des élèves. C’est cette primauté de l’« apprendre » qu’exprime l’idée de nation « apprenante ».

Le second déplacement a été directement provoqué par la pandémie. Physiquement, et pendant une durée significative, le lieu privilégié de l’activité d’apprentissage n’a plus été l’école, mais la famille. Il a fallu réorganiser, dans l’urgence, le travail d’apprentissage des élèves, en tenant compte de leur situation d’individus confinés.

Confinement : les parents débordés par les devoirs à la maison (CNews, avril 2020).

Cela a permis de se rendre compte qu’il ne fallait pas obligatoirement être dans une école pour pouvoir apprendre. Des lieux autres que la classe pourraient devenir essentiels pour le monde d’après.

L’émergence d’une nation apprenante constitue un véritable défi, supposant donc une redéfinition des lieux dévolus à l’activité d’apprentissage, et un redécoupage des temps devant lui être consacrés.

Nouvelle dynamique

Dans une dynamique au service de l’« apprendre », d’autres lieux que l’école peuvent jouer un rôle important, sinon primordial. Le rôle de la famille vient d’être mis en lumière, mais avec l’exigence d’une plus forte association des parents à la dynamique scolaire, et d’une plus grande prise en compte par l’école de la particularité des situations familiales.

L’inventivité et la créativité des parents constituent une ressource sur laquelle on pourrait s’appuyer bien davantage. On peut aussi donner ou redonner une place plus importante au périscolaire, aux associations et mouvements d’éducation populaire, aux centres de vacances collectives, etc. Mais ce qui importe alors est, d’une part, l’équilibre général du système, et, d’autre part, le sens que prendra le mouvement de redistribution.

Du premier point de vue, l’école pourrait être amenée à faire une cure d’amaigrissement, afin de se centrer sur ce qui est, pour elle, l’essentiel, et lui appartient en propre, dans un combat qui la dépasse, mais dont elle est un acteur indispensable. Il lui faut « muscler son jeu », pour « outiller » efficacement les apprenants. En acceptant de voir d’autres intervenants – animateurs, artistes, éducateurs, psychologues, etc. – travailler aussi, chacun dans son espace propre, au développement positif des enfants et adolescents.




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Du second point de vue, le risque serait qu’un repli de l’école sur son essence se traduise paradoxalement par une scolarisation de la société ! Le « virus » scolaire viendrait en quelque sorte contaminer tout le corps social. La forme scolaire s’imposerait pour toute activité éducative, et l’on verrait ateliers de musique ou séances de sport adopter des modes d’évaluation ou des dispositions propres à l’école.

Chaque citoyen serait condamné à n’être plus, à perpétuité, qu’un élève. Tel est l’enjeu majeur d’une redistribution des lieux d’apprentissage : scolarisation de la société, ou « déscolarisation » d’une école sachant s’intégrer dans une nouvelle dynamique éducative, de nature plurielle ?

Redistribuer les temps d’apprentissage

La pandémie a chamboulé l’année scolaire. D’autant plus que la période de « vacance », pendant laquelle l’école n’a pas été en mesure de fonctionner normalement, a, de fait, englobé une période de congé. Il peut paraître alors opportun de rattraper le temps d’apprentissage perdu, en consacrant au moins une partie des prochaines vacances scolaires, qui se trouvent être les « grandes vacances », à des activités de type scolaire. D’où l’idée d’un « été studieux ».

Certes, les grandes vacances peuvent être un temps propice à l’« apprendre ». Ne disait-on pas naguère qu’il ne fallait pas « bronzer idiot » ? Et les colonies de vacances peuvent renouer avec leur vocation éducative. Mais ce qui est en jeu est la bonne alternance entre temps de travail et temps de repos. C’est tout le problème des rythmes scolaires qui se trouve soulevé.

Les cahiers de vacances, intermèdes studieux de l’époque estivale. Shutterstock

C’est une question explosive, comme l’a montré l’échec de la réforme de 2013. Mais, sauf à se contenter d’un immobilisme anesthésiant, il faudra bien un jour, et sans doute le moment est-il venu, affronter avec sérénité ces différents enjeux : organisation de l’année scolaire, dates et durée des « grandes vacances », durée des temps de travail et de repos, rythmes hebdomadaires et journaliers.




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À une époque où l’on a compris que chacun disposait de toute une vie pour apprendre, l’émergence d’une « nation apprenante » est un beau projet. Pour construire un système permettant qu’« orientation et formation tout au long de la vie » soit plus qu’un slogan, il faut changer le jeu, en modifiant les cartes. Passer d’une modification contrainte par les événements, à une modification réfléchie, tel est le défi qui attend désormais la nation, si elle veut vraiment pouvoir mériter le qualificatif d’« apprenante ».

The Conversation

Charles Hadji ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son poste universitaire.

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