Innovation Pédagogique et transition
Institut Mines-Telecom

Une initiative de l'Institut Mines-Télécom avec un réseau de partenaires

Les Masterant·es écrivent sur les lieux de savoir lillois

Un article repris de https://ahl.hypotheses.org/866

Lille. Crédits : Patrick Müller, CC BY-NC-ND 2.0, disponible sur Flickr

Les billets présentés ces jours-ci autour des Lieux de savoirs lillois ont été rédigés pendant le confinement du printemps 2020 par les Masterant·es du Département d’Histoire de l’Université de Lille.
Inscrit·es dans les parcours “Métier d’historien”, les étudiant·es ont réalisé cet exercice d’écriture dans le cadre de l’option “Initiation aux Humanités Numériques”. Le groupe du deuxième semestre est composé uniquement d’étudiant·es en première année de Master, puisque les M2 doivent se consacrer à la finalisation de leurs mémoires. Les M1 doivent toutefois rédiger un premier mémoire propédeutique, qui est souvent leur premier exercice de rédaction. En dépit des circonstances difficiles, ils et elles se sont volontiers prêté·es au jeu : qu’i·elles en soient remerciés.

Une pratique réflexive de l’histoire

Destiné à des non spécialistes d’humanités numériques, cet enseignement est tourné vers le développement de savoir-faire, et notamment de la manipulation d’outils et de techniques immédiatement applicables à leurs recherches individuelles. Après un semestre plus généraliste qui avait porté sur les transformations du métier d’historien·ne avec le numérique, le deuxième semestre était pensé comme un approfondissement. Il était dédiée à la question de l’écriture de l’histoire avec le numérique, un thème qui avait été choisi et développé par Émilien Ruiz à l’époque où il était responsable du cours. J’ai repris ce thème car il permet une approche à la fois utilitaire et réflexive sur une question pratique et absolument essentielle du travail de l’histoire, celle de l’écriture.1 Le dispositif pédagogique avait plusieurs objectifs, mais le principal était bien d’amener le groupe à se construire une litéracie numérique en réfléchissant à l’articulation entre numérisation et pratique savante de l’histoire. Ce semestre d’écriture de l’histoire numérique a donc été structuré autour d’un projet, l’écriture sur un carnet en ligne, autour d’un thème commun et imposé, les lieux de savoir.

Réflexion urbaine, jeux de miroir. Crédits : Hege, CC BY-NC-ND 2.0 sur Flickr.

Partie 1 : cours théorique et en présentiel

Le dispositif initial prévoyait une progression fondée sur des lectures et de discussions en classe sur l’écriture de l’histoire autrement, en partant de l’exemple des carnets et du blogging scientifique. La discussion s’est développée entre autres autour d’un article d’Elsa Poupardin et de Mélodie Faury.2 Cet article fournit une étude scientifique de l’usage des carnets et dont la typologie était très utile pour nourrir le débat en objectivant des savoirs empiriques sur l’usage des carnets. Le différentiel entre un type d’écriture et de publication relativement familier mais en même temps très étranger à l’histoire “classique” telle qu’elle est pratiquée par les étudiant·es, était mobilisé pour réfléchir à une typologie des publications, en comprendre les différents régimes, en esquisser les normes implicites.
Le travail s’est poursuivi autour de discussions théoriques autour du concept de lieu de savoir tel que développé par Christian Jacob3, une phase plus abstraite et intellectuelle. L’objectif était de mettre les étudiant·es en situation de devoir manipuler un concept qui ne leur était pas familier, et à dessein, de les mettre dans une situation de difficulté (que j’espère) mesurée et les laisser apprendre, questionner, critiquer le concept pour se l’approprier, voire le détourner.

Partie 2 : cours confiné

La suite du semestre devait être celui de la mise en pratique, de la discussion collective en présentiel. Mais à compter de la mi mars 2020, nos rendez-vous ont été organisés à distance, et la mise en place d’apprentissages techniques à distance a été un véritable obstacle auquel je me suis heurtée, sans trouver de solution optimale. Il a donc fallu réduire la voilure sur le développement de compétences techniques : la prise en main de markdown, par exemple n’a eu qu’un succès relatif en raison des circonstances. Mais j’ai été très surprise de voir que les étudiant·es se sont au demeurant réapproprié·es le cours à distance dans le cadre des séances en chat. De nouvelles voix, de nouvelles présences ont apparu. Tout le monde a pris le travail de rédaction du billet très au sérieux et le résultat publié ces jours est tout à fait révélateur de la saisie à la fois du thème et du format, qui les avaient pourtant beaucoup déroutés de prime abord.

Guide des étrangers dans Lille, par [Simon Blocquel] 1846. Crédits : Gallica, CC0.

Le résultat : des lieux de savoir lillois à eux

Le résultat de ce semestre inédit dans son format d’enseignement, se trouve dans le contributions-billets. On notera une tendance, celle des lieux de savoir à soi. Résultat d’une réflexion sur un concept savant mais appliqué et réfléchi dans un contexte relevant du familier, les lieux de savoir lillois sont ceux des rédacteur·ices des billets. Sorte de voyage textuel où l’universel est interrogé à l’aune du local voire de l’intime, ils révèlent souvent l’intériorisation des savoirs, “les vrais savoirs”, comme associés à des lieux lointains , légitimes, souvent parisiens. Mais l’écriture collective de cette géographie des lieux de savoirs lillois permet justement de réévaluer la valeur de l’expérience propre, du très local, du micro, dans l’élaboration et la production de savoirs. Le format du carnet en ligne, la restitution publique de ce travail permet justement cette réévaluation par la confrontation avec un extérieur de ce qui reste habituellement à l’intérieur de la salle A1.404.

Voici donc les lieux de savoirs lillois [ils seront publiés à raison de 1 billet par jour à partir du 9 mai 2020] :
1 – Yannis Hallouli emmène les lecteur·ices sur le forum du campus Pont-de-Bois, à Villeneuve-d’Ascq, dans la périphérie lilloise. Là se trouve ce que d’aucun appelle encore “Lille 3”, l’ancienne université des sciences humaines, avant la fusion des trois universités lilloises. Il y montre un lieu de savoir qui est celui à la fois celui du passage et de l’éphémère, mais aussi celui de la permanence d’un certain type de sociabilité de l’attente et de l’entre-deux : un non-lieu de savoir peut-être, qui introduit parfaitement, tout en contradiction, la nécessité d’habiter un lieu pour y produire du savoir.
2 – Charles Leconte fait découvrir un lieu de savoir du domestique et de l’intime : sa collection numismatique. Loin des grandes collections patrimoniales dans son petit meuble, il donne à voir les pratiques de collectionnisme du début du XXIe siècle, ses instruments, ses formes de sociabilités. Chemin faisant, il amène les lecteur·ices à réfléchir à la pertinence de catégories comme les savoirs “savants”, le patrimoine et sur les échelles des savoirs, et s’interroge sur les questions de légitimité du lieu de savoir.
3 – Lena Fatou écrit sur et certainement depuis sa fenêtre comme lieu de la confrontation entre la réalité des savoirs et la volonté de s’échapper, de s’en échapper, pour mieux les construire. Un exemple de lieu de savoir à soi, en forme de jeu de miroir, où l’on produit des savoirs sur le monde, mais aussi sur soi-même.
4 – Anaëlle Boulzennec-Ringeard prend la relève avec une histoire du temps présent de la machine à café, au bout du “couloir de l’IRHiS”, ce haut lieu de sociabilité des historien·nes de l’Université de Lille puisque c’est là que se trouvent les différents espaces du laboratoire. L’argumentaire déployé dans le billet réussi à déplacer le point névralgique de la production de savoir, plus classique, de la bibliothèque attenante, vers cet espace insaisissable de la machine à café.
5 – Retour chez soi, dans le canapé de Loly Rénier. Un canapé est-il un lieu de savoir ? Ici, le concept est détourné, mais surtout critiqué avec sagacité dans un lieu écrit et décrit comme une sorte d’hétérotopie. Convaincant exercice de style, le canapé est le lieu de savoir parfait, celui qui est fait par le geste de l’humain·e.
6 – Maxence Belval écrit sur la nature. Son billet pose avec acuité la tension entre universalité et expérience particulière dans le lieu de savoir. Avec le récit de sa pratique de sa nature, il montre surtout un lieu de non-savoir, où les questions restent sans réponses.
7 – Jules Vanhove présente enfin la Malterie de Lille, une salle de spectacle, et déplace ainsi le questionnement sur un autre type de savoir, les savoirs de la musique. Ceux-ci se construisent dans un lieu symétriquement opposé au légitime, à la permanence, au travail de jour. Il s’agit plutôt d’un lieu de savoir d’une rue un peu sombre, des savoirs de la nuit, parfois un peu éméchés, mais un lieu d’accumulation d’objets métonymiques de la musique comme les instruments, les cables, les partitions et surtout de l’insaisissable : des concerts, du son, des moments.
8 – Julien Plansson écrit sur un lieu de savoir sur les animaux, le Parc Argonne. C’est un passionnant récit de la manière dont il fait d’un parc animalier contemporain un lieu de l’élucidation sur l’histoire des animaux de Moyen-Âge qu’il étudie pour son mémoire sur la ménagerie de Philippe le Hardi, jouant ainsi sur l’écho avec elle-même d’une forme de lieu de savoir dans le temps long.
9 – Lieu de savoir lillois presque attendu, le Musée des Beaux-Arts est l’objet du billet de Pauline Triplet. Ici, la visite est celle de l’autrice qui propose sa lecture d’un lieu légitime, reconnu, de savoir. De manière très juste, la visite met en lumière les processus selon lesquels les savoirs ne sont sont pas nécessaires mais au contraire, se construisent dans des contingences, là où il y a l’intention de les produire.

[Liste susceptible d’évoluer selon l’avancement des travaux].

  1. Anheim, Étienne, Le travail de l’histoire, Paris : Éditions de la Sorbonne, 2018.
  2. Poupardin Elsa et Faury Mélodie, « Hypotheses  : l’inscription d’une pratique de communication dans l’activité de recherche », Revue française des sciences de l’information et de la communication, 15, 31 décembre 2018, http://journals.openedition.org/rfsic/4877
  3. Jacob Christian, Qu’est-ce qu’un lieu de savoir ?, Marseille, OpenEdition Press, 2014. En ligne : http://books.openedition.org/oep/423 ; Jacob Christian (éd.), Lieux de savoir. Les mains de l’intellect, Paris, Albin Michel, 2010 ; vol.2 ; Lieux de savoir. Espaces et Communautés, Paris, Albin Michel, 2007, vol.1

Licence : CC by-nc-nd

Répondre à cet article

Qui êtes-vous ?
[Se connecter]
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom