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Démarche progressive vers l’apprentissage par projet dans une formation scientifique

11 avril 2016 par Cécile Narce Retours d’expériences 2525 visites 0 commentaire
Cet article présente comment les étudiants de la licence Sciences et Technologies / Villebon - Georges Charpak sont placés à plusieurs reprises en situation de projet de façon à leur permettre d’acquérir progressivement un rôle actif dans leur apprentissage : un premier projet permet de découvrir la démarche et les écueils possibles de l’exercice, un second permet d’apprendre à tirer le meilleur profit de la démarche par l’acquisition de compétences transversales, un troisième projet permet de consolider la pratique et de construire leur apprentissage.

Mots-clés : Méthodes pédagogiques, enseignants, innovation, projet.

Cécile Narce1, Franck Brouillard2, Jeanne Parmentier1, Martine Thomas1,4, Fabienne Bernard3, Ahmet Özgümüs4, Etienne Blanc2, Sylvain Chaillou5, Elise Provost6, Thomas Boddaert4.

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1 Institut Villebon - Georges Charpak, Orsay, France
2 Université Paris Descartes, Paris, France
3 Institut d’optique, Palaiseau, France
4 Université Paris-Sud, Orsay, France
5 AgroParistech, Paris, France
6 ENSTA ParisTech, Palaiseau, France

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Un article publié au VIIIe Colloque des Questions de Pédagogie dans l’Enseignement Supérieur, Brest, 17, 18 et 19 Juin 2015.

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I. CONTEXTE

I.1 La licence Sciences et Technologies
L’institut Villebon - Georges Charpak est un laboratoire d’innovation pédagogique créé à l’initiative de l’établissement public de coopération scientifique ParisTech, de l’Université Paris-Descartes, de l’Université Paris-Sud, de l’Université Paris-Saclay et de la Fondation ParisTech. Labellisé “Initiative d’Excellence en Formations Innovantes (IDEFI)” en 2012, l’institut a pour mission de mettre en place, des apprentissages permettant de former les scientifiques de demain. Une première promotion de 32 étudiants a intégré l’Institut en septembre 2013, une seconde avec 34 étudiants lui a succédé en septembre 2014 [1] .
La licence est généraliste et s’étend sur trois années universitaires, soit six semestres en tout. Les enseignements couvrent un vaste éventail de disciplines (mathématiques, physique, biologie, chimie, informatique, ingénierie, sciences humaines et sociales et Anglais). Les enseignements de 1ère et 2ème année sont organisés en unités d’enseignements (UE) interdisciplinaires organisées autour de thèmes transversaux (par exemple, “Qu’est-ce que la vie ?”, “Nombres : comment représenter le réel ?”, etc). Trois unités d’enseignement entièrement articulées autour d’un projet sont proposées au cours des semestres 2, 3 et 4.

I.2 Pourquoi des projets en licence Sciences et Technologies ?
Les apprentissages par projet sont une pratique courante des formations professionnalisantes : BTS, DUT, Masters et plus particulièrement des écoles d’ingénieurs qui doivent assurer la formation de cadres pour lesquels les projets constitueront une activité professionnelle courante. Mais pourquoi mettre en place une telle pratique pédagogique dans une licence généraliste ?
Les profils des étudiants de l’Institut Villebon - Georges Charpak sont très hétérogènes, 70% d’entre eux sont boursiers, 30% sont titulaires de bacs technologiques [2] et 7% sont en situation de handicap. Ces étudiants ne sont pas recrutés en fonction de leurs résultats scolaires mais parce qu’ils présentent un potentiel et montrent un réel intérêt pour les sciences, malgré un profil souvent mal adapté aux méthodes de formation traditionnelles et des difficultés de parcours. De ce fait, l’équipe enseignante cherche en priorité à actionner le levier de la motivation pour que ces étudiants s’engagent activement dans leur apprentissage à l’Institut. La démarche de projet présente l’avantage de rassembler assez facilement les dix conditions, mentionnées par Viau [1], permettant de susciter la motivation : être claire, être diversifiée, être signifiante, rendre l’étudiant responsable, représenter un défi, exiger un engagement cognitif, avoir un caractère interdisciplinaire, permettre l’interaction et la collaboration, se dérouler sur une période suffisante, avoir un caractère authentique. Mais comme l’a décrit Perrenoud [2], l’impact positif de la pédagogie par projet en termes d’apprentissage peut très vite être compromis si l’on ne prend pas garde au conflit naturel entre l’envie de réussir le projet et l’objectif d’apprentissage, entre projet de formation et projet d’action. Pour tenter de minimiser cette contradiction, l’équipe pédagogique de l’Institut Villebon - Georges Charpak met en place une démarche en trois étapes, à travers trois projets, que nous allons décrire dans cet article.

II. PLACE ET OBJECTIFS DES PROJETS DANS LA FORMATION

Les projets proposés aux étudiants au cours de trois semestres successifs de la licence sont i) la production d’électricité par une pile à combustible microbienne (semestre 2), ii) la production de biocarburant à partir de microalgues (semestre 3), iii) l’épuration d’eau usée par biofiltration (semestre 4).
Dans les trois cas, le projet implique la conception et la réalisation d’un objet technique (une biopile, un photobioréacteur, un biofiltre). A chaque fois, les objectifs d’apprentissage concernent différents champs disciplinaires : biologie, chimie, physique, ingénierie. Trois séquences sont définies, correspondant aux différentes phases de progression d’un projet scientifique : i) recherche bibliographique/réflexion puis conceptualisation d’un premier prototype, ii) fabrication, tests et améliorations, iii) rendu et présentation devant des experts. Ces séquences sont jalonnées de séances de restructuration avec les enseignants référents des principales disciplines. Avant chaque séance de restructuration, les étudiants, par équipe de six, produisent une partie du rapport final et une présentation correspondant aux notions travaillées d’une séance à l’autre. Ces rapports sont corrigés par les enseignantsde façon à permettre aux étudiants d’obtenir un retour sur leur apprentissage et des suggestions pour combler d’éventuelles lacunes avant leur présentation.
Le projet est présenté aux étudiants sous la forme d’un concours d’ingénierie, avec un règlement, un cahier des charges définissant les limites techniques du projet et une date de soutenance finale devant un jury d’experts. Cette scénarisation génère une émulation et parait à la fois plus stimulante pour les étudiants et plus proche de la “vraie vie” professionnelle, mais elle expose aussi plus fortement les étudiants au dilemme “réussir ou comprendre ?” [2].
Parmi les dix objectifs de la pédagogie par projet identifiés par Perrenoud [3], tous ne sont pas envisagés de façon égale à chaque étape. En effet, l’expérience menée à l’Institut Villebon - Georges Charpak consiste à augmenter progressivement l’autonomie des étudiants pour leur laisser le temps de réaliser et de résoudre le conflit entre réussir le projet et apprendre via le projet.

II.1 Découvrir le projet et la dynamique collective
Au semestre 2, le programme des enseignements disciplinaires se déroulant pendant la période du projet “Biopile” est défini par l’équipe pédagogique en fonction des savoirs qui doivent être obligatoirement mobilisés pour la réalisation de ce dernier. Le projet est l’occasion d’une découverte de certaines parties du programme et les séances de cours permettent alors une restructuration des connaissances acquises de façon autonome par les étudiants. D’autres notions théoriques jugées plus difficiles à s’approprier sont quant à elles présentées en cours “expositif” pour être mobilisées ensuite dans le projet.
Ce scénario pédagogique cible certains des objectifs décrits par Perrenoud [3] :

  • “entraîner la mobilisation de savoirs et savoir-faire acquis,”
  • “découvrir de nouveaux savoirs, de nouveaux mondes, dans une perspective de sensibilisation ou de " motivation "
  • “développer la coopération et l’intelligence collective”
  • “développer l’autonomie et la capacité de faire des choix et de les négocier”

Lors de la première occurrence au printemps 2014, la constitution des équipes (5-6 membres) a été laissée à l’initiative des étudiants, avec néanmoins la consigne de respecter la diversité au sein de chaque groupe (parcours scolaire, genre, boursier, handicap). Assez rapidement les étudiants ont pu observer :

  • qu’un bon camarade ne fait pas forcément un bon collègue de travail (apparition de tensions dans certains groupes)
  • que travailler ensemble ne suffit pas pour être performant
  • que beaucoup de temps et d’énergie peuvent être dépensés pour faire aboutir un projet quand on ne vise pas les bons objectifs
  • qu’il ne suffit pas qu’un projet réussisse pour apprendre
  • qu’il est nécessaire d’organiser et planifier le travail collectif et individuel.

II.2 Gérer le collectif et se fixer des objectifs
Au semestre 3, pour le projet “Biocarburant”, l’apprentissage dans les champs disciplinaires est laissé à la responsabilité des étudiants, mais les connaissances et savoir-faire qui doivent être acquis (“le programme”) sont imposés. En parallèle, des séances de méthodologie de la gestion de projet sont organisées, avec un contenu adapté en temps réel au vécu des étudiants durant leur projet, pour leur apporter les clés d’analyse et les outils nécessaires à l’amélioration de leur dynamique collective. Ces séances visent l’acquisition de compétences transversales de type organisationnelles, communicationnelles et réflexives.
Ce scénario pédagogique vise principalement les objectifs suivants [3] :

  • “Donner à voir des pratiques sociales qui accroissent le sens des savoirs et des apprentissages”
  • “Placer devant des obstacles qui ne peuvent être surmontés qu’au prix de nouveaux apprentissages, à mener hors du projet”
  • “Aider chaque étudiant à prendre confiance en soi, renforcer l’identité personnelle et collective à travers une forme d’empowerment, de prise d’un pouvoir d’acteur”
  • “Former à la conception et à la conduite de projets”

Lors de la première expérimentation à l’automne 2014, les étudiants (les mêmes qui avaient fait le projet biopile au printemps) ont ainsi pu observer, au fil de l’avancement du projet, l’importance i) de se fixer des objectifs clairs et partagés, ii) d’avoir des échanges honnêtes et objectifs au sein d’une équipe,iii) de l’engagement et de la responsabilisation de chacun pour la réussite collective.

II.3 Utiliser le projet et le collectif pour apprendre efficacement
Au semestre 4, le projet “Biofiltre” est une occasion pour les étudiants de consolider leurs acquis méthodologiques et compétences transversales. Cette maîtrise de la démarche de projet leur permet d’être immédiatement disponibles pour leur apprentissage. Les différentes phases correspondant au déroulement d’un projet scientifique et les séances de restructuration régulières sont maintenues, mais les étudiants doivent définir quels sont les connaissances et savoir-faire qu’ils vont devoir acquérir, individuellement et collectivement, pour mener à bien leur projet.
Ce scénario pédagogique a l’ambition alors [3] :

  • de “Permettre d’identifier des acquis et des manques dans une perspective d’autoévaluation et d’évaluation-bilan”
  • de “Provoquer de nouveaux apprentissages dans le cadre même du projet”
  • de “Construire des compétences”
    La première mise en œuvre de ce scénario aura lieu au printemps 2015.

III. CONSEQUENCES SUR LA CONCEPTION DES DISPOSITIFS

Pour chacun de ces dispositifs pédagogiques, la conception a constitué un projet en soi pour les enseignants. Elle a nécessité un travail collaboratif, mené par une véritable équipe pédagogique, afin que chaque enseignant puisse exploiter la problématique au regard de sa discipline et veille comme le conseille Marx [4], à ce que les apprentissages disciplinaires visés (“le programme”) soient possibles.

III.1 La méthode de conception
L’équipe pédagogique a tout d’abord défini les objectifs d’apprentissage, et a choisi la problématique commune permettant aux apprenants d’explorer tous les aspects disciplinaires au programme. Ce faisant, l’équipe a pu constituer une base de données bibliographique à mettre à la disposition des étudiants.
Puis elle s’est lancée elle-même dans la réalisation du projet pour en vérifier la faisabilité technique (temporalité, contraintes techniques, aléas) et évaluer les risques de dérive par rapport au programme (solutions techniques divergentes). Une liste du matériel nécessaire a été constituée et certains matériaux indispensables au projet ont été achetés pour être mis à la disposition des étudiants.
Enfin, la dernière étape a été de prévoir ce que serait le “rapport idéal”, permettant de justifier l’atteinte de tous les objectifs d’apprentissage. Ce rapport sert d’étalon pour jalonner les apprentissages et organiser les séances de restructuration.

III.2 Retour d’expérience
L’expérience montre que la réalisation de l’objet technique par les enseignants avant le démarrage du projet est cruciale pour la réussite du projet technique des étudiants. Elle permet non seulement de prévoir les aspects logistiques (disponibilité des salles et du matériel pour les expériences, achat des matériaux, présence des enseignants, mais aussi d’en évaluer la faisabilité par les étudiants (niveau scientifique et technique atteignable par le public cible), et d’anticiper les problèmes ou risques éventuels (consignes de sécurité). Elle confère une expertise technique aux enseignants qui leur permet de faire face aux questions et aux difficultés des étudiants.
Les séances de restructuration sont coûteuses en encadrement car elles nécessitent, à chaque séance, des référents dans les principales disciplines, mais cela s’est avéré indispensable pour faire face aux imprévus qui nécessitent une expertise scientifique.
Par ailleurs, il est d’autant plus aisé pour les enseignants de transmettre la démarche de projet par l’exemplarité, en se plaçant eux-mêmes en mode projet. Les étudiants peuvent en particulier observer l’importance de la communication dans une équipe, si l’équipe d’encadrement communique bien et est en mesure de parler d’une même voix, évitant d’embrouiller les étudiants par des signaux contradictoires.

IV. CONCLUSION

L’expérience menée à l’Institut Villebon - Georges Charpak sur la conception de projets interdisciplinaires pour l’apprentissage des sciences montre l’importance d’avoir une vision et des valeurs partagées au sein d’une équipe pédagogique pour permettre que l’innovation ne soit pas la juxtaposition d’initiatives décousues mais une dynamique collective qui entraîne enseignants et étudiants dans un même élan vers la réussite. Elle permet également de voir comment un projet peut émerger pour structurer un semestre entier, et nourrir l’ensemble des enseignements dispensés.

REFERENCES

[1] Viau, R. (2000). Des conditions à respecter pour susciter la motivation des élèves, Bulletin Correspondance, Vol.5, N° 3, Ed. Centre Collégial de Développement de Matériel Didactique (http://correspo.ccdmd.qc.ca/Corr5-3/Viau.html).
[2] Perrenoud, P. (1998). Réussir ou comprendre ? Les dilemmes classiques d’une démarche de projet, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Université de Genève (http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/ php_main/php_1998/1998_39.html, page visitée en décembre 2014)
[3] Perrenoud, P. (1999). Apprendre à l’école à travers des projets : pourquoi ? comment ?, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, Université de Genève 1999 (http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/ php_1999/1999_17.html, page visitée en décembre 2014)
[4] Marx, R.W., Blumenfeld, P.C., Krajcik, J.S., Soloway, E. (1997). Enacting Project-Based Science. The Elementary School Journal, vol. 97, n° 4, p. 341–358, Ed. The University of Chicago Press.

Licence : Pas de licence spécifique (droits par défaut)

Notes

[1Les effectifs sont volontairement faibles pour les premières années de fonctionnement de l’Institut, afin de garantir la souplesse nécessaire à l’expérimentation. Une montée en puissance par paliers est prévue au bout de 3 et 6 ans, pour atteindre un volant de 270 étudiants simultanément en formation.

[2Baccalauréats STI2D (Sciences et Technologies de l’Industrie et du Développement Durable) 15%, STAV (Sciences et Technologies de l’Agronomie et du Vivant) 1,5% et STL (Sciences et Technologies de Laboratoire) 13.5%

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