Innovation Pédagogique et transition
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La situation, lieu d’une véritable alternance dans les formations duales ?

Un article repris de http://journals.openedition.org/dms/2161

Avec son ouvrage, Apprendre en situations : un analyseur de la professionnalisation dans les métiers adressés à autrui, Philippe Maubant apporte à tout acteur agissant et intéressé par la formation et l’éducation une approche pertinente pour repenser la pédagogie contemporaine dans son orientation professionnelle.

Un article repris du site Distances et Médiations des Savoirs, un site sous licence CC by sa.

Publié en 2013 par les Presses de l’Université du Québec, cet ouvrage sobre visuellement, nous met rapidement sur la piste de sa dimension humaine avec une couverture illustrée par une photo de deux mains, l’une plus âgée désireuse d’aider la seconde, plus jeune, à s’élever. C’est bien dans cet axe que l’auteur, professeur-chercheur québécois de référence en sciences de l’éducation, nous amène. Ayant pour référence la formation des adultes et l’histoire de la pédagogie, Philippe Maubant analyse et décrit la dimension formatrice de l’activité professionnelle. Cependant, son livre composé de trois chapitres reste avant tout positionné dans une optique pédagogique. S’inscrivant dans un contexte où la recherche en formation est en plein essor, cet ouvrage reste toujours très novateur.

L’ouvrage mettant l’accent sur les métiers de la relation à autrui (Piot, 2009), autrement dit ceux qui s’orientent sur l’interaction humaine, que ce soit l’infirmier/ère ou le/la formateur/trice, entrant communément dans la catégorie large et simplifiée des métiers de services. Caractérisée par leur rapport à l’autre, la multiplicité des compétences dont ces acteurs doivent faire preuve se lie inévitablement à des compétences communicationnelles et relationnelles tout en respectant différents cadres, notamment techniques et éthiques.

Les choix épistémologiques de l’auteur placent l’analyse du travail au service d’une formation qui se veut professionnalisante. En cela, les situations qui valorisent les activités du milieu professionnel prennent la place d’expériences de formation pures. Mélangeant ainsi l’aspect productif à celui constructif de l’apprentissage, il met en exergue la raison d’être de l’alternance, de la validation des acquis, de la réflexion pratique-théorie et de l’identité professionnelle. La première partie de l’ouvrage propose une analyse de l’activité du travail et des risques de déprofessionnalisation que représente sa rationalisation sur l’intention de formation. Proposant un triangle pédagogique parallèle à celui de Houssaye (1993), Philippe Maubant développe la relation triadique qui lie l’activité, la situation et la formation. À travers des situations porteuses d’apprentissages, l’auteur distingue celles qui peuvent se traduire en instants féconds, amenant l’apprenant à une transformation qui dépasse son contexte formel d’apprentissage professionnel, notamment au travers de vécu prenant compte différentes temporalités de la vie.

Ancrées dans l’environnement sociocognitif de Vygotski (1997), les interactions sont perçues comme l’essence même du développement cognitif. En ce sens, le formateur devrait se positionner avec la volonté de guider et d’accompagner. L’analyse des activités de travail comprenant les aspects personnels et professionnels du parcours de l’apprenant sont au cœur de cette didactique. Pour l’auteur, c’est l’explicitation et l’interprétation via des allers-retours entre objectivation et subjectivation de situations rencontrées, qui servent d’appuis. Le sujet caractérise son vécu par une grille d’analyse lui étant propre et intègre son apprentissage à sa vie pour construire ses savoirs. En ce sens, une nouvelle dynamique est proposée puisque la chronologie usuelle d’apprendre pour agir laisse place à un processus intégré qui relie l’action et la recherche de son sens. La séparation théorie-pratique s’effrite pour laisser place à une nouvelle perception de la formation : l’apprentissage en situation.

Au cœur des enjeux de la politique de formation suisse, cet ouvrage peut se targuer d’offrir de nouvelles perspectives tant pour l’enseignement que pour la formation professionnelle et universitaire. La voie duale des apprentissages, les voies HES (Hautes écoles spécialisées) en emploi ou encore les emplois d’étudiants en parallèle de leurs études représentent des alternances s’approchant déjà de la réflexion proposée par l’auteur. Il leur manque toutefois l’aspect global, où chaque partie prenante tient effectivement compte des autres en mettant l’apprenant aux premières loges, afin de lui permettre de faire les liens sources de cet apprentissage en situations.

En 2016, l’ouvrage de R. H. Strahm « Le mirage des longues études, pourquoi tout le monde ne doit pas aller à l’université et en quoi l’apprentissage est bénéfique » résonne dans les milieux politiques et enseignants suisses. En effet, il critique le système de Bologne qui provoque une pléthore de diplômés dotés de compétences éloignées des besoins du marché du travail, et, en allant dans le même sens que Philippe Maubant, soutient la formation professionnelle qui permet le développement de l’intelligence pratique pour tous, pas seulement une élite destinée à de hautes études. Apprendre en situations pourrait donc être un outil permettant de relever le défi d’une scission qui semble bel et bien existante. Reste alors à convaincre notre société et faire changer les mentalités pour aller dans la direction d’une intelligence collective plus puissante que le rôle prestigieux de l’enseignant, qui porte en lui seul les connaissances et savoirs qu’il devrait transmettre à ses étudiants. Est-ce que notre culture est prête aujourd’hui à accepter le changement de statut des professeurs pour les transformer en accompagnateurs, dans une optique de co-construction de compétences, de partage et de mutualisation de savoirs ? Au centre reste néanmoins toujours une unique et même valeur : celle du développement des compétences.

Économiquement, un consensus s’accorde à reconnaître une corrélation positive entre les années d’éducation et la productivité d’un pays, ce qui apporte le plein essor des recherches sur les thématiques de formations (Machin, 2007). Pour la recherche en formation, il serait donc intéressant d’observer les potentielles et réelles plus-values de l’alternance pour notre société tout comme pour l’individu apprenant. Est-ce qu’une forme d’éducation et de formation « innovante » qui dépasse le clivage existant entre école et vie réelle répondrait au besoin pécuniaire et au développement des compétences multiples toujours plus poussées qu’exige le monde du travail ? Est-ce que les résultats seraient concluants ? Si l’on se penche sur l’intégration du marché du travail suisse, il semblerait que les personnes issues des HES soient plus rapidement engagées par les employeurs que celles issues de filières purement académiques, ce qui laisse apparaître une réponse positive à l’orientation pratique de ce type de formation qui peut, ou pas, être effectuée en alternance.

Être un citoyen actif dans notre société d’aujourd’hui nécessite des savoirs multiples. La question peut donc se poser : comment faire pour apprendre autrement que par la situation ? Philippe Maubant apporte donc, avec son ouvrage, quelques pistes favorisant cette formalisation de l’apprentissage professionnel en situation. Seule critique à l’ouvrage, un manque de méthodologie concrète et visuelle permettant de transposer dans les ingénieries le processus de réflexion proposé. Cela s’explique peut-être par l’aspect invisible et imperceptible de tout ce qu’apporte l’accompagnateur, mais des outils, guides ou dispositifs d’applications concrets pour supporter le guidage de ces derniers pourraient éventuellement être développés dans un second ouvrage.

Bibliographie

Houssaye, J. (1993). La pédagogie, une encyclopédie pour aujourd’hui. Paris : ESF.

Machin, S. (2007). The new economics of education : methods, evidence and policy. Journal of Population Economics, 21(1), 1-19.

Piot, T. (2009). Quels indicateurs pour mesurer le développement professionnel dans les métiers adressés à autrui  ? Questions vives recherches en éducation, 5(11), 259-275.

Strahm, R. H. (2016). Le mirage des longues études : pourquoi tout le monde ne doit pas aller à l’université et en quoi l’apprentissage est bénéfique. Genève : Slatkine.

Vygotski, L. S. (1997). Pensée et langage (3e éd.). Paris : La Dispute.

Pour citer cet article

Référence électronique

Marjorie Troxler, « La situation, lieu d’une véritable alternance dans les formations duales ? », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 22 | 2018, mis en ligne le 23 mai 2018, consulté le 10 juillet 2018. URL : http://journals.openedition.org/dms/2161

Auteur

Marjorie Troxler

MSc sciences de l’éducation, IFFP, Lausanne

Licence : CC by-sa

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