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Le temps et la pensée du possible

Un article repris de http://journals.openedition.org/dms/2155

Un article d’André Livionnoi, notes de lecture de "Pineau, G. (2000). Temporalités en formation. Vers de nouveaux synchroniseurs. Paris : Anthropos" repris de Distances et Médiations des Savoirs, une revue en licence CC by sa

Introduction

Il est courant de dire ou d’entendre dire que l’on n’a pas le temps, de temps, pour faire telle ou telle rencontre, se livrer à telle ou telle activité. Trop souvent nous sommes pris par les aléas de la vie quotidienne, comme si nous étions sans cesse engagés dans une course contre la montre, sans même nous questionner sur ce qu’est le temps, et ce que nous pouvons en faire. Cette situation concerne maints aspects, domaines de la vie de chacun-e, dont la formation.

Or, c’est justement en lien avec ce domaine, la formation, que Gaston Pineau, alors professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Tours, très impliqué dans la réflexion et la formation au niveau des histoires et des récits de vie, ainsi que de la formation expérientielle, invite les lecteurs et lectrices de son livre intitulé Temporalités en formation, à une réflexion sur le temps, les usages du temps, comment et en quoi chaque personne peut se réapproprier le temps à sa disposition dans la perspective d’une formation tout au long de la vie.

Le propos du développement qui va suivre est de présenter les grandes lignes des éléments formulés et approfondis dans l’ouvrage.
Contenu de l’ouvrage

Si l’on se réfère à la définition que donne le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales [1] de l’encyclopédie, il s’agit de « l’ensemble de toutes les connaissances embrassées par l’humain », voire, sans chercher à approfondir, « ouvrage qui fait le tour de toutes les connaissances humaines ou de tout un domaine de ces connaissances et les expose selon un ordre alphabétique ou thématique ».

À partir de cette définition, pouvons-nous dire que le livre de Gaston Pineau sur les « temporalités en formation » constitue une sorte d’encyclopédie sur le temps ? Rassemble-t-il toutes les connaissances sur le temps ?

En fait, le propos de Gaston Pineau n’est pas forcément d’être exhaustif sur le temps, bien que si nous dressions une carte mentale de son livre, nous pourrions l’intituler « exploration du temps », abordé en tant que tel, en soi, en relation avec les individus, considéré d’un point de vue scientifique, ainsi que comme support de formation.

Mais si, au début de cette fiche de lecture, se trouve une liste de quelques mots clés, et de noms clés, c’est pour développer une problématique qui semble sous-jacente à la pensée de Gaston Pineau. D’un côté, le temps fait partie de notre vie, lui est omniprésent, la rythme selon les instruments de mesure du temps que l’être humain a pu inventer ou bien de manière naturelle, dans une dynamique chronologique, selon le « kronos », au risque d’enfermer les individus, de les conditionner dans un univers réifiant, de chosification ; de l’autre, le temps peut devenir porteur, s’inscrire dans une perspective de « Kairos », c’est-à-dire de développement personnel, humain, d’implication dans sa vie, pouvant aller jusqu’à l’élaboration de sa propre histoire de vie, tout au long de la vie. Le propos n’est plus d’appartenir à la vie, de faire partie de l’histoire, mais d’opérer un retournement dans le cadre duquel chacun-e d’entre-nous devient auteur de sa vie et de son histoire. De source d’aliénation, le temps devient le support d’une appropriation de sa vie.

En référence à Henri Lefebvre, il s’agit pour chacun-e d’entre-nous de construire, de conquérir, de gagner son temps, de se l’approprier, par des rythmes articulés, multiples, différents, voire opposés, en apparence, en tous les cas, tels que le jour et la nuit, c’est-à-dire, ne plus les subir, ne plus en être aliénés, mais d’en faire un outil, un moyen au service de chacun-e. Il s’agit ainsi de passer d’un statut schizo-chronique à une position de chrono-formation.

Notre organisation quotidienne, structurée par des horloges, des calendriers, des rythmes imposés, par la vie, par l’école, les lieux, les milieux, les contextes de formation, professionnels, contribue à destituer chacun-e, de ce qui lui a été donné à la naissance, soit, d’une part, la vie, mais aussi, sa vie. Gaston Pineau parle d’une « coupure temporelle », d’une « schizo-chronie » (chapitre II), et explore ces coupures, la coupure des « macro-temps physiques et métaphysiques », celle des « micro-temps biologiques », et celle des « méso-temps personnels », coupure à dépasser, coupure qui n’est pas si insurmontable que ça, notamment dès lors que l’on veut chercher des liens, des points communs.

Dans le cadre de tous ces temps concernant notamment l’être humain, se pose la question de l’éducation, de la formation, de l’apprentissage, qu’il est possible d’envisager « tout au long de la vie » (p. 41), dans une perspective d’autonomisation.

Si nous n’avons pas le temps, d’autres l’ont pour nous et nous l’imposent, tel que ce fût le cas au 12e siècle de la part des prêtres, puis, entre les 12e et 17e siècles, les marchands, entre le 17e et le 20e siècle, les industriels, et enfin, au 20e siècle, divers organismes, ce pouvoir s’inscrivant respectivement dans des temps différents, soit le « temps des dieux », le « temps des corps », le « temps des machines », et enfin, le « temps des codes ».

Il y a donc une évolution des temps, de ceux et celles qui en disposent et de ceux et celles qui y sont soumis-es, mais également une « guerre des temps », toujours au fil des siècles, que ce soit dans le domaine des sciences de la matière, des sciences de la vie, de la cybernétique, de la thermodynamique, avec les personnalités respectives impliquées. Gaston Pineau en dresse une rétrospective, tout ceci, et toutes ces personnes assistant, voire contribuant à une lutte entre les forces « entropiques », de dissociation, et celles « néguentropoiques », organisatrices, structurantes, tout en sachant que ce n’est pas parce que deux forces semblent contraires, qu’elles sont antinomiques. Si des frontières, quelle qu’en soit leur nature, existent, elles ne font pas que séparer. Les frontières sont des occasions, des lieux de passage. Elles peuvent ne pas diviser, et permettre aux différences de communiquer, d’être conjuguées. De même, les différents temps de notre vie peuvent être complémentaires, dès lors que nous faisons en sorte non de les subir, mais de les conjuguer.

Dans cette approche de complexité, de conjugaison, l’auteur faisant ainsi appel à Edgar Morin (Morin, 1999) pour en parler, approche également d’une transversalité développée par René Barbier (Barbier, 1997), universitaire auquel Gaston Pineau se réfère aussi, avant d’aborder la notion d’autoformation. Par exemple au chapitre 9, Gaston Pineau prend en considération celle de l’auto-organisation, telle que nous pouvons la retrouver dans l’ADN de toute cellule.

Cette capacité d’auto-organisation est une propriété de l’ADN, de même que chacun-e d’entre nous est capable d’autoformation. Ainsi, partant de ce principe, de ces principes, que sont la complexité, la conjugaison, la transversalité, dès lors que chaque personne prend le temps de se positionner par rapport au temps, par rapport à ses temps, ses rythmes propres, il peut déployer ses capacités de formation, d’autoformation, s’inscrire dans un cheminement personnel sur un fond d’inachèvement de base auquel, par exemple, Georges Lapassade a pu approfondir et développer.

L’enjeu principal des propos de Gaston Pineau est de rendre attentif au fait que chaque individu dispose des moyens nécessaires, que ce soit en lui, ses ressources personnelles, ou dans son environnement, par exemple, le temps, pour non plus subir sa vie, mais devenir auteur de son histoire et, ainsi, de sa formation selon la dynamique du « Tout au Long de la Vie » (Le Grand et Colin, 2008) qu’un auteur cité par Gaston Pineau, Jean-Louis Le Grand, en association avec la directrice de la collection « Education » des éditions Anthropos, soit, Lucette Colin, a pu développer.
Conclusion et appropriation

Dans l’introduction de la présente revue thématique, Christophe Gremion et François Larose partent du constat que « les technologies de l’information et de la communication prennent de plus en plus de place dans notre société, notamment en éducation et en formation », et font état de l’impact de ce phénomène sur les rythmes de travail, de collaboration, ainsi que d’un changement du rapport de l’individu au temps.

Il est ainsi question de flexibilité, de liberté, offerte, entre autres, par l’enseignement à distance, mais aussi des MOOC, qui, cependant, imposent un certain cadre, « une temporalité contraignante ». Il y a en quelque sorte, comme un entre-deux, entre contrainte et liberté, dans lequel les apprenant-e-s se trouvent, qui peut les déstabiliser.

En lisant et en relisant le livre de Gaston Pineau, je crois que nous en sommes là, c’est-à-dire, qu’entre la « schizo-chronie » et la « chrono-formation », entre la réification des individus déjà dénoncée par Marx et reprise par l’école de Francfort, et la liberté qu’ils doivent assumer, il existe un entre-deux dans lequel, pour en revenir à Henri Lefebvre, et en référence aux recherches de Rémi Hess sur ce sociologue, un espace de possibles.

Ainsi, pour reprendre le titre d’un livre rédigé par un de mes anciens professeurs, en l’occurrence Rémi Hess, soit « Henri Lefebvre et la pensée du possible » (Hess, 2009), je me permettrai de résumer l’ouvrage de Gaston Pineau en ce titre, soit « le temps et la pensée du possible ». Car c’est à cela que nous, lecteurs et lectrices, sommes appelés à réfléchir, c’est-à-dire comment, dans un ensemble de temps et de rythmes que nous subissons, changer notre position, notre positionnement, et y trouver tous les possibles qui nous permettent d’être des acteurs et actrices de notre vie, des personnes inachevées en perpétuelle « formation tout au long de la vie », qui construisent consciemment, en prenant leur temps, leur vie, et diminuent ainsi leur inachèvement, se réalisent, en somme.

Là est, je crois, tout l’enjeu de l’ouvrage et de la pensée de Gaston Pineau.

Licence : CC by-sa

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