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État des lieux des MOOC au prisme de la conférence EMOOCS 2017

Un article repris de http://www.adjectif.net/spip/spip.p...

L’objet de cette contribution est de proposer un état des lieux de l’écosystème des MOOC sur les plans politiques et institutionnels, économiques et scientifiques, au prisme de la conférence EMOOCS 2017 à laquelle nous avons assisté. Le fait d’avoir également pu être présent à l’édition d’EMOOCS 2015, à Mons, en Belgique, nous permet de conférer une dimension diachronique à cette synthèse critique.

Un article de : Condé, Jean et Huguenin, Sonia (2017). État des lieux des MOOC au prisme de la conférence EMOOCS 2017. Adjectif.net Mis en ligne vendredi 21 juillet 2017 [En ligne] http://www.adjectif.net/spip/spip.php?article435, sous licence CC by nc sa

Introduction

La conférence annuelle EMOOC est, depuis quatre ans, un lieu privilégié de rencontre entre les parties prenantes de l’écosystème des MOOC (Massive Open Online Courses) [1]. Les dirigeants des principales plateformes (sites internet mettant en relation les institutions productrices de MOOC et leurs utilisateurs), des universitaires actifs dans l’élaboration des cours, des responsables institutionnels ainsi que des représentants de start-up, s’y retrouvent pour faire le bilan et évoquer les perspectives d’évolution.

Selon les organisateurs de l’université Carlos III de Madrid, EMOOC 2017 a réuni 350 participants entre les 22 et 23 mai 2017. Le programme était divisé en quatre principales catégories, permettant de faire le lien entre les points de vue des universitaires, des plateformes et des institutions nationales et européennes. Les thématiques des différentes conférences relevaient des aspects stratégiques et politiques, mais également pédagogiques, ingénieriques et technologiques. Le 24 et le 25 mai étaient consacrés à des ateliers et le 26 mai était consacré aux travaux effectués en Espagne.

Cette contribution n’a pas prétention à rendre compte de l’intégralité des contenus abordés pendant la conférence. Nous nous focalisons sur trois axes qui sont ressortis des présentations et des discussions, formelles ou informelles auxquelles nous avons participé. Le premier est celui de l’émergence de la Formation Tout au Long de la Vie comme nouvel eldorado pour les producteurs et les diffuseurs de MOOC. Nous nous focalisons ensuite sur l’intégration des MOOC dans les parcours de formation initiale à l’université, avant d’appréhender, dans un troisième temps, la dimension des politiques institutionnelles, aux plans national et continental. Nous proposons pour terminer, une conclusion critique qui ouvre sur des perspectives de recherche.

L’Eldorado de la Formation Tout au Long de la Vie pour les MOOC

Notons en préambule qu’à notre connaissance, la thématique de la Formation Tout au Long de la Vie (FTLV) ou Long Life Learning [2](LLL) était peu présente, voire absente des présentations d’EMOOCS 2015. En contraste, la FTLV occupait, lors de l’édition 2017, une place centrale en constituant à la fois l’objet d’une découverte (les MOOC sont majoritairement utilisés par des adultes en formation continue) et l’expression d’une opportunité stratégique (les individus sont prêts à payer pour obtenir une compétence ou un signal [3] conféré par la participation à un MOOC). Nous avons retrouvé cette double entrée dans de nombreuses interventions.

Les MOOC, une opportunité pour la Formation Tout au Long de la Vie : points de vue des dirigeants des grandes plateformes et de la Commission Européenne

Le représentant de la Commission Européenne (CE), J.-H. Ros, a insisté dès la première plénière sur l’importance du manque de compétences à venir dans les secteurs de la technologie, de l’information et de la communication. On peut s’attendre, selon lui, à une pénurie de 825 000 salariés à l’horizon 2020 dans ces différents secteurs d’activité. La CE considère la mise à jour constante des compétences professionnelles comme un enjeu prioritaire du développement économique de l’Europe. Or, selon le porte-parole de la CE, la flexibilité et l’accessibilité des MOOC favoriseraient la lutte contre l’obsolescence des compétences. Cet argument leur vaut l’allocation d’importants crédits européens, notamment fléchés sur des projets de recherche et de développement des MOOC.

Le discours des principales plateformes, représentées par leur PDG [4], poursuit le raisonnement de la CE en l’alimentant de quelques statistiques. R. Levin (Coursera) s’appuie sur deux enquêtes (2015 et 2017) pour préciser qu’une majorité d’utilisateurs suivent un MOOC pour avancer dans leur carrière (52 %). Parmi eux, 84 % rapportent que le suivi d’un MOOC a été bénéfique pour leur carrière et 29 % évoquent plus particulièrement des bénéfices tangibles (promotion, changement de postes, etc.). Ce constat est partagé par S. Nelson de FutureLearn, qui estime pourtant que son offre compte peu de MOOC à vocation clairement professionnalisante.

Se référant à plusieurs enquêtes privées [5], R. Levin affirme également qu’une grande majorité de recruteurs tendent à accorder de l’importante aux « micro-crédits » du type de ceux délivrés par les MOOC. Il ajoute, en s’appuyant sur une étude publiée sur le site Interview.io, que le fait d’avoir suivi un MOOC de Coursera ou d’Udacity est davantage corrélé à la performance (en matière d’ingénierie informatique) que le fait d’avoir fait une grande école ou le fait d’avoir de l’expérience professionnelle.

Le message contenu dans les propos tenus par J.-H. Ros de la CE et par les dirigeants des grandes plateformes est donc assez clair et peut se synthétiser ainsi : le marché du travail évolue et des postes aux compétences particulières seront bientôt massivement à pourvoir ; les MOOC représentent une solution à ce problème car ils permettent de massifier la formation continue grâce à un modèle économique basé sur l’accessibilité et la certification des formations (micro-crédits).

Evolution des modèles économiques des MOOC pour la Formation Tout au Long de la Vie

Les modèles économiques des plateformes et des établissements partenaires tendent à se conformer à cet état des lieux dans un double mouvement. Au plan des contenus, tout d’abord, les plateformes cherchent à orienter les universités afin qu’elles produisent des MOOC rencontrant une demande sur le marché de la formation (Keynote panel J2). Cela induit une concentration de l’offre de MOOC autour de thèmes et disciplines professionnalisants (cf. S. Nelson, citant The Economist, 2017). On notera à cet égard la question au panel de P. Dillenbourg au sujet des thématiques de type marketing, gestion de projet ou business qui, porteuses du point de vue de la formation continue et des besoins sociétaux, risquent de ne pas mobiliser l’intérêt des universitaires sur le long terme.

Sur le plan du modèle économique, ensuite, l’orientation récente vers la FTLV marque aussi une révision progressive de la politique d’ouverture ou de gratuité des MOOC, dont certaines fonctionnalités se trouvent désormais cachées derrière des barrières tarifaires [6] (Keynote Session J1, Keynote Panel J2). Cette tendance est convergente avec l’orientation stratégique des plateformes qui proposent de nombreuses offres directement aux entreprises (Session 6B). Moyennant une tarification spéciale, ces dernières peuvent bénéficier du tracking des données, de customisation de l’interface, de certifications d’entreprise, de contrôle temporel des sessions, etc. (Session 6B).

Sur le plan technique, l’adaptation des plateformes aux besoins de l’entreprise est un problème majeur pour Futurelearn, tandis que Coursera et Edx ont développé un système de sous-groupes permettant aux manageurs de suivre la progression de leurs salariés (Keynote panel J2). Pour finir, nous avons été étonnés de constater le nombre de questions posées par les universitaires au sujet des stratégies à adopter pour intégrer les circuits de formation traditionnelle dans l’entreprise (Session 4C) : comment séduire le public du secteur privé ? Vers qui communiquer afin de favoriser l’intégration des MOOC dans l’entreprise ? Quel modèle économique peut être mise en oeuvre dans ce secteur ? L’insistance de ces questionnements dénote, selon nous, l’urgence économique dans laquelle peuvent se trouver certaines universités productrices.

Les MOOC pour la Formation Tout au Long de la Vie et le monde du travail : les avancées de la recherche

Les travaux de recherches se sont également significativement plus axés sur la question des MOOC pour la FTLV, comparativement à EMOOCS 2015. Nous rapportons trois recherches qui malgré l’hétérogénéité de leur approche méthodologique et de leur objet d’étude, apportent au débat scientifique des connaissances nouvelles concernant notamment les modalités de suivi du MOOC (par les salariés) et les modalités d’action de l’entreprise dans le suivi des MOOC de leurs employés.

R. Bachelet (Session 5A) nous apprend tout d’abord que les utilisateurs de son MOOC Gestion de Projet (GDP) [7] suivent principalement le MOOC le soir entre 21h et 22h. Ce résultat, basé sur l’analyse des pics de connexion, nourrit l’idée défendue par les politiques (cf. section précédente), que la flexibilité et l’accessibilité des MOOC permettent une prise en charge individuelle de la formation professionnelle. Cela se traduit, dans le cas du MOOC GDP, par un suivi du cours en dehors des temps de travail sur des plages horaires généralement dédiés au loisir ou à la famille, activités avec lesquelles les MOOC peuvent entrer en concurrence [8].

Une autre recherche très méthodique, menée par M. Hamori décrit pour la première fois la manière dont les MOOC peuvent être utilisés en entreprise. Son enquête par questionnaire (n = 2500) visant les participants de 14 MOOC de Coursera, à laquelle s’ajoutent 70 entretiens menés auprès de répondants volontaires, permet de conclure, d’une part, à la faible implication des entreprises dans le suivi des MOOC et, d’autre part, au caractère irrationnel des modalités d’accompagnement (temps, contrôle, financement) de l’entreprise. L’auteure montre également que les utilisations ne sont pas à l’initiative des Ressources Humaines mais celles d’individus.

Enfin, le projet Biz-MOOC (« biz » pour business), financé par un budget européen, vise à développer le potentiel économique des MOOC en faisant le lien entre le « monde du business », les travailleurs et les universités. Cette recherche-action de trois ans menée par un consortium de onze universités partenaires doit aboutir à la réalisation d’un ouvrage numérique et collaboratif. Ce dernier, dont on peut consulter les premières avancées sur le site du projet, s’apparente à un vaste état des lieux des connaissances accumulées dans le champ des MOOC et du business. Il y est question, dans le désordre, de business modèle, de guide à la conception, d’éléments de définition, d’évaluation qualité, etc.

Les enjeux de l’intégration des MOOC dans les parcours de formation initiale

Le thème de l’intégration des MOOC dans les parcours universitaires avait déjà été évoqué, notamment lors de la dernière session « politique » d’EMOOCS 2015. Il nous apparaît toutefois que, si les questions que suscite cette évolution des modes d’enseignement universitaire restent pour la plupart en suspens, les expériences se sont depuis multipliées et les problèmes se sont concrétisés.

Selon D. Jansen (EADTU), les MOOC tendent à être utilisés de plus en plus dans des parcours de formation initiale à l’université, notamment via des expériences d’intégration de MOOC dans des parcours de Licence ou de Master entraînant la délivrance de crédits de type ECTS (Session 4C).

Au regard des différentes présentations auxquelles nous avons assisté, nous distinguons deux types de configuration, selon que les MOOC ont été conçus par l’université qui décide de les utiliser ou par une autre université. L’émergence de diplômes payants entièrement en ligne et construits sur la base de partenariat entre les plateformes et les universités [9] conduit à une troisième configuration que nous écartons volontairement de ce compte rendu pour nous centrer sur les problématiques intégrant les enjeux liés à la présence physique de l’utilisateur.

Intégration de MOOC conçus par l’université dans un curriculum

La première configuration est illustrée par E. Kulik de l’Université d’HSE en Russie, par H. Haugsbakken de l’Université de sciences et technologie de Norvège et par U. Wilde de l’Université néerlandaise de Wageningen (Session 2C).

L’expérience néerlandaise nous enseigne que les étudiants ne sont pas encore prêts à tirer profit de la grande flexibilité offerte par les MOOC, quand bien même il s’agirait là du premier avantage cité dans la même enquête de satisfaction. L’originalité de l’expérience russe [10] réside dans le rôle central d’un Conseil Académique qui établit les curricula, autorise l’intégration des MOOC dans ces derniers, fixe les conditions de délivrance des crédits, etc. À cet égard, ce témoignage fait état d’une normalisation très avancée du processus d’intégration des MOOC dans les parcours universitaires russes.

U. Wilde ou H. Haugsbakken, tous deux responsables de projets de développement des formations numériques, s’accordent sur un le caractère artisanal et « bottom-up » de leur expérience. Ils pointent, par ailleurs, la rigidité du système administratif de leur université respective, comme premier obstacle au développement des MOOC. Pour eux, les enjeux principaux de leur intégration dans les parcours sont moins d’ordre pédagogique ou pragmatique que d’ordre organisationnel et symbolique.

U. Wilde se demande, par exemple, comment dépasser les contraintes liées à un raisonnement en périodes universitaires (l’équivalent des semestres en France) quand les MOOC ont souvent leur propre temporalité. H. Haugsbakken évoque, quant à lui, les freins liés aux représentations de l’enseignement/apprentissage à l’université, remises en cause avec l’introduction progressive des MOOC dans les curricula. La recherche d’A.-M. Nortvig (Session 3A) met, par exemple, en évidence les difficultés rencontrées par les enseignants dans les situations d’enseignement/apprentissage incluant un MOOC, selon le principe de l’hybridation ou du blended learning [11].

L’auteure relate l’expérience de deux formes d’hybridation d’un cours intégrant un MOOC : dans le premier cas, les étudiants ont le choix de suivre un cours classique (en présentiel) ou de suivre son équivalent en MOOC (en distanciel) ; dans la seconde configuration, la possibilité leur est offerte de suivre le MOOC sur un temps collectif dédié, en présence de l’enseignant qui prend alors le rôle de soutien ou de tuteur.

Les résultats montrent que, dans les deux configurations, les freins les plus importants s’expriment du côté des enseignants, fragilisés par le sentiment de ne plus maitriser leur cours. Ils se sentent en effet éloignés du centre du dispositif (première configuration) ou rencontrent des difficultés pour s’approprier un rôle de « tuteur » (seconde configuration). M. Nortvig conclut à l’importance, dans un contexte d’hybridation progressive des cours, de se préoccuper de la formation des enseignants.

Intégration dans un curriculum de MOOC conçu par d’autres universités

La seconde configuration paraît plus complexe à mettre en œuvre : elle consiste en effet à intégrer un ou plusieurs MOOC en provenance d’autres universités dans un curriculum donné, selon un principe d’échange inter-universitaire qui ressemblerait, à plusieurs égards, à celui du programme Erasmus.

L’Ecole polytechnique de Lausanne s’est lancée dans un projet de ce type (Session 5C) : A. Helsdingen, responsable de la conception des MOOC, explique les nombreux défis auxquels les partenaires ont été confrontés. Par exemple, pour éviter la triche, l’évaluation a dû être organisée en présentiel et au même moment dans tous les établissements partenaires, ce qui relève de la gageure logistique. Ces partenariats inter-universitaires impliquent une coordination sans faille entre l’université productrice du MOOC et la ou les universités utilisatrices. La première est en effet en charge de la confection des examens et de leur correction, tandis que les autres veillent à leur encadrement matériel et humain.

U. Wilde (Session 2C) anticipe, en ce sens, des problèmes juridiques qui ne manqueront pas d’émerger à mesure que se formaliseront les partenariats inter-universitaires. Quid, par exemple, de la distribution de responsabilité dans le cas où un examen organisé par une université « A », mais conçu, corrigé et accrédité par une université « B », viendrait à être empêché ?

Enfin, l’échange de MOOC entre universités suppose un accord multilatéral sur la reconnaissance à accorder au MOOC en termes de crédit ECTS. Le problème se pose en effet, dès lors que la charge de travail requise par ECTS diffère d’une université à l’autre. À défaut de pouvoir se baser sur une norme solidement établie, les établissements partenaires ont conçu une table de conversion établissant la valeur d’un MOOC en fonction du temps relatif qu’il requiert dans chaque université. A. Helsdingen ajoute que ce travail est nécessairement basé sur une confiance mutuelle entre les parties prenantes de l’échange.

Contrôle qualité des MOOC proposés

Qu’il s’agisse d’intégrer un MOOC conçu en interne ou par une autre université, la question du contrôle qualité est centrale et tout aussi récurrente dans les différentes sessions « politiques » de la conférence. L’intervention de D. Jansen (EADTU) (session 5C) apporte un regard international éclairant sur les problématiques complexes que soulève cette question. Son intervention nous amène à distinguer deux types de contrôle qualité :

  • le premier est proche du MOOC et de sa conception et peut prendre la forme de « checklists » [12]. Ces dernières recouvrent les dimensions définitoires (est-ce un MOOC ?), technico-pédagogiques (usage des fonctionnalités de type quiz, etc.) ou communication-marketing (présence de prérequis, suivi automatique des participants, etc.) et peuvent, selon les cas, relever du conseil à la conception ou de la ligne éditoriale sélective (EDX).
  • Le second prend source dans le constat de l’hétérogénéité des disciplines universitaires, des publics cibles, des objectifs pédagogiques et de l’ingénierie qu’ils sous-tendent. Cette hétérogénéité rend impossible la standardisation des différentes « checklists ». Aussi, à défaut d’assurer la qualité de chaque MOOC et à un instant « T », la qualité devrait, selon l’EADTU, s’attacher à évaluer les processus qui conduisent à la conception. Ce deuxième type de contrôle qualité demande une analyse plus systémique considérant tous les acteurs impliqués (administratif, marketing ingénierique, pédagogique). Il ne s’agit plus de considérer la qualité du produit final sur la base de normes préétablies, mais d’étudier ce qui est mis en place, à différents niveaux dans les institutions, pour garantir la qualité et l’évolution de cette qualité. Il y aurait alors deux types de système : « les systèmes avec une maturité faible, dont la qualité est déterminée par des ensembles de normes, et les systèmes de plus haute maturité, disposant de processus intégrés liés à l’amélioration de la qualité envers certains objectifs propres » (D. Jansen, session 5C).

Perspectives et limites des parcours inter-universitaires

Appelé des vœux de beaucoup, l’objectif de parcours inter-universitaires « à la carte », rendus possibles par le partage multilatéral et international des matériels pédagogiques du supérieur, apparaît cependant utopique aujourd’hui, tant les obstacles sont nombreux.

Outre les défis techniques, pédagogiques, symboliques et juridiques que nous avons évoqués, le plus important des freins à venir semble être celui des ressources humaines productrices. Comment continuer à encourager les productions de ressources universitaires quand il est désormais convenu que les modèles économiques sont défaillants ou à réorienter vers la formation continue et les disciplines professionnalisantes ?
Des politiques nationales et européennes hétérogènes et inégales

Si l’on se rapporte aux données de l’EADTU [13] et aux propos de son représentant D. Jansen (Session 4A), les Universités nord-américaines seraient proportionnellement moins nombreuses que les universités européennes à produire des MOOC (de 30% à 60% d’un côté, contre seulement 12% de l’autre). Si cet écart n’est pas directement expliqué par D. Jansen, on peut supposer qu’il correspond, au moins en partie, à la nature des stratégies économiques qui président à la sélection, par les plateformes, des établissements partenaires : sélection élitiste basée sur le prestige et sur la capacité de financement aux États-Unis ; pas ou peu de sélection en Europe.

Un focus sur les universités européennes permet toutefois de constater une importante hétérogénéité de l’activité productrice entre les nations. Un rapide tour d’horizon des différentes politiques en matière de MOOC permet de mettre en lumière la variété des approches et l’inégalité des moyens accordés à ce secteur d’activité particulier.

Avec plus d’un million d’inscrits et une centaine d’institutions productrices, la plateforme publique française FUN s’inscrit dans un modèle de développement stratégique et politique original en Europe (C. Mongenet, Session 4A). Adossé à des fonds publics, FUN fait perdurer son offre de cours gratuits, là où les autres tendent à transformer leur modèle économique. Le modèle français garantit, en outre, le stockage des données de connexion sur le sol français, un argument mentionné à plusieurs reprises par la directrice.

En Espagne, J.-G. San Martin, du ministère [14] de l’Éducation, de la Culture et du Sport, détaille non sans une pointe humour, la stratégie nationale espagnole en matière de MOOC : « On m’a demandé de résumé en dix minutes la politique espagnole consacrée aux MOOC, ce qui est très facile puisqu’il n’y en a aucune […] » (Session 4A). J.-G. San Martin ajoutera tout de même qu’une plateforme de MOOC a été créée en Espagne dans le but de former les enseignants au numérique [15].

Pour H. Pongratz, directeur de l’Université technique de Munich, le système fédéral allemand qui confère une grande autonomie aux universités, explique en grande partie l’absence de politique nationale dédiée au développement des MOOC. Il ajoute cependant que le ministère fédéral de l’Éducation finance un projet « plus holistique », de réflexion sur la nécessaire transition numérique de l’université et sur les défis induits par les mutations à venir. Pour le moment, le développement des MOOC en Allemagne se fait sur initiatives locales.

Aux Pays-Bas, J. Van Kan, de l’éducation nationale, détaille le programme néerlandais de développement du numérique dans l’éducation supérieure dont l’un des principaux objectifs est de faire en sorte que d’ici à 2025, tous les enseignants du supérieur partagent leur matériel d’enseignement. La politique spécifiquement dédiée aux MOOC consiste en une incitation à l’innovation via un système de bourse aux projets. Il s’agit là d’un mode d’incitation qui ressemble au système norvégien abordé dans les grandes lignes par H. Haugsbakken (Session 2C).

En Italie, la plateforme de MOOC FEDERICA de l’Université de Naples a été entièrement financée par l’Europe, un soutien sans lequel aucun MOOC n’aurait vu le jour, selon le responsable du projet, M. Calise, professeur de l’Université de Naples (Session 2C).

Notons par ailleurs, que la plupart des intervenants utilisent les plateformes américaines comme support de diffusion de leur MOOC et que la question du stockage des données [16] et donc de la souveraineté et de la sécurité nationale en la matière, n’a été explicitement évoquée, à notre connaissance, que par C. Mongenet de FUN (session 4A), lors de la conférence.

Les sessions « politiques » de la conférence mettent donc à jour des politiques nationales très hétérogènes et inégales en matière d’incitation et à la production de MOOC en Europe. Si le gouvernement français semble y avoir vu un sujet d’importance, méritant une politique dédiée (et protectionniste), la majorité des pays voisins appréhendent les MOOC comme une expression parmi d’autres de la diffusion du numérique dans des universités. Les MOOC s’inscrivent alors dans des réflexions d’orientation plus générales qui débouchent sur des modes d’accompagnements financiers plus modestes et moins centralisés.

Le rapport Berger (2012) [17], repris par Mangenot (2017) peut faire office d’élément de compréhension de la spécificité française. On peut en effet y lire la crainte du rapporteur, de manquer « la révolution en marche », et son espoir de profiter des MOOC pour faire valoir le « rayonnement et [l]’indépendance nationale intellectuelle, culturelle et politique ». Nous supposons que cette ambition n’est pas partagée ou l’est dans des proportions moindres, par les autres pays du continent.
Conclusion critique

La conférence EMOOCS 2017 a tout d’abord été un lieu de rencontres privilégiées entre les dirigeants des différentes plateformes et leurs partenaires universitaires, dont on sent parfois poindre l’isolement dans leurs établissements de rattachement. Au travers des questions posées par le public ou en creux dans les échanges informels avec les représentants de différentes structures, il nous apparaît que les universités peinent à trouver les moyens financiers et humains pour perpétuer les efforts qui se justifiaient plus facilement il y a trois ans, par l’engouement international suscité par les MOOC (Boullier, 2014).

Les responsables des plateformes, quant à eux, semblent ressentir la pression des investisseurs. Les orateurs des grands groupes peinent à convaincre de la perpétuation de l’esprit d’ouverture des plateformes, dont les cours tendent à se concentrer autour des compétences professionnelles et dont une partie du contenu ou des fonctionnalités se trouvent désormais cachées derrière des barrières payantes (paywall).

Au regard des différentes interventions de la conférence, il semble qu’une dynamique importante consiste dans l’intégration progressive des MOOC dans les curricula du supérieur, moyennant l’élaboration d’un contrôle qualité à l’échelle continentale. Peut-être nous dirigeons-nous vers « l’idéal » universitaire explicité par les acteurs présents au congrès, caractérisé par une collaboration inter-universitaire accrue, et par des parcours flexibles « à la carte » pour les étudiants ?

Nous émettons toutefois une réserve face à cette hypothèse, dans la mesure où il est probable que le discours des acteurs présents ne reflète que très partiellement l’état actuel de l’intégration administrative, technique, pédagogique et culturelle des MOOC dans les universités européennes. Ajoutons à cela qu’en considération de l’instabilité des modèles économiques des plateformes et de l’absence relative de politiques publiques en soutien à la production, on peut craindre une démobilisation progressive des équipes conceptrices.

Dans un écosystème fragilisé par des modèles économiques qui se cherchent encore cinq ans après la naissance des premiers MOOC, les financeurs nationaux et internationaux, dont en particulier, la Commission européenne, nous apparaissent comme des garants de la continuité des MOOC en Europe [18]. D’un autre côté, le marché de la Formation Tout au Long de la Vie et, par-dessus tout, la perspective de pénétrer les riches circuits nationaux de formation continue, ont soulevé l’enthousiasme et semblent cristalliser les espoirs des uns et des autres.

Nous regrettons, à cet égard, que la flexibilité des MOOC, argument maintes fois manié par les dirigeants des plateformes, les responsables de projet MOOC à l’université et les représentant politiques, afin d’expliquer l’intérêt de ces dispositifs de formation dans la société « de la connaissance » (J.-H. Ros, Keynote panel J1), soit si facilement acceptée comme une caractéristique positive, moderne et nécessaire. Il semble ainsi que son impact potentiel sur la vie des individus ainsi que sur les inégalités d’accès et d’utilisation des outils formatifs qu’elle sous-tend, passe totalement inaperçu dans les présentations, débats et discussions d’EMOOCS 2017.

Il s’agit là pourtant, selon nous, d’un des futurs enjeux majeurs pour les politiques publiques qui devront sans doute faire face aux syndicats, défendant le droit à la formation des travailleurs, un droit qui semble-t-il, tend actuellement à se rétracter du fait de cette nouvelle flexibilité : comment les cadres juridiques nationaux et européens peuvent s’adapter à ces nouveaux modes de formation ?

Nous questionnons également le rôle des entreprises, au cœur de la formation professionnelle depuis l’après-guerre : comment peuvent-elles participer à la régulation des pratiques de formation autonomes, de sorte à maintenir un équilibre organisationnel et social ?

Références bibliographiques

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Notes

[1Les MOOC sont des cours en lignes caractérisés par leur gratuité (ou leur accessibilité) et par leur capacité à accueillir plusieurs milliers d’individus pendant une période donnée. Ils ont connu un grand succès aux États-Unis à partir de 2012 (Pappano, 2012) et en Europe, à compter de 2013 (Ogouchi,2016).

[2Nous utilisons ici les deux termes de manière équivalente.

[3En référence à la théorie du signal, selon laquelle les certificats ou autres titres sont interprétés comme des signaux permettant aux employeurs de se repérer dans l’offre de travailleurs, dans un marché de l’emploi marqué par une grande incertitude (Spence, 1974).

[4A. Agarwal (Edx), S. Nelson (FutureLearn) et R. Levin (Coursera).

[5areer advisory board (2014) et Deloitte (2014).

[6Chez Futurelearn par exemple, le contenue pédagogique des MOOC est désormais accessible après le MOOC pendant une période restreinte de 15 jours, alors qu’il était ouvert indéfiniment jusqu’alors.

[7À propos desquels nous savons qu’ils sont essentiellement salariés à plein temps à la recherche de compétences professionnelles (Cisel, 2016).

[8A partir d’entretiens menés auprès d’utilisateurs de MOOC, Quentin (2014) montre que ces derniers entrent en concurrence avec des activités de loisirs, telles que la lecture ou le visionnage d’un film.

[9EDX, Coursera et FutureLearn proposent aujourd’hui ce genre de cours diplômants entièrement en ligne et facturés plusieurs milliers d’euros.

[10L’Université HSE possède 80 MOOC hébergés sur Coursera, pour environ un million d’inscrits. Elle appartient au top 10 des universités les mieux représentées sur la plateforme leader du marché mondial.

[11Approche pédagogique alliant une formation présentielle à une formation à distance utilisant internet et qui a été envisagée dans d’autres présentations pour évoquer l’intégration des MOOC dans des situations d’apprentissage traditionnelles (workshop 1).

[12Voir, par exemple, les listes d’items évalués pour les projets ECO, SCORE 2020 ou celle d’EDX.

[13European Association of Distance Teaching Universities.

[14Propos tenus par Ma Jesus Garcia San Martin, chef de l’unité de formation des enseignants en ligne.

[1533 MOOC, SPOOC ou NOOC sont hébergés sur la plateforme Educalab MOOC INTEF.

[16En référence aux informations personnelles laissées par l’utilisateur sur les enquêtes à l’entrée ou à la fin d’un MOOC, mais également aux données relatives à son comportement d’utilisateur. Chaque clic et chaque intervalle de temps entre les clics sont enregistrés et constituent les données utilisateurs ou consommateur.

[17Rapport de V. Berger au président de la république, Assise de l’enseignement supérieur et de la recherche, 17 décembre 2012. Repéré à https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Assises_esr/24/0/Assises-ESR-Rapport-Vincent-Berger-_237240.pdf

[18Par ailleurs, financeurs de nombreux projets de recherche présentés pendant la conférence.

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