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Ce que la pensée complexe d’Edgar Morin apporte à l’éducation

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Un article repris du magazine The Conversation, une publication sous licence CC by nd

Le dicton « nul n’est prophète en son pays » pourrait bien s’appliquer aux travaux d’Edgar Morin sur l’éducation. C’est un champ que le sociologue a amplement traité, pourtant son apport en la matière ne semble pas reconnu en France. L’homme de la complexité ne trouve pas dans cette « province de la Terre-patrie » à laquelle il se voue l’écho des honneurs et plébiscites qu’il reçoit à l’échelle planétaire, par exemple en Amérique latine qui dès les années 60 a noué une forte relation avec lui.

Ainsi, le Brésil attirera son attention par l’étude de « la pensée métisse » et « les mythes des civilisations précolombiennes ». En 1999, l’Unesco ouvrira la « Chaire itinérante Edgar Morin pour la complexité » et diffusera amplement l’ouvrage Les 7 savoirs nécessaires à l’éducation du futur, une étude sollicitée par l’ancien directeur de l’Unesco Federico Mayor Zaragoza.

Depuis plus de 20 ans, Morin repère dans le système éducatif des problématiques (l’écologie, l’erreur, les connaissances, l’incertitude, la mission enseignante…) qui le conduisent à proposer des éléments de réflexion pour une école appréhendée comme un lieu de réforme pour la pensée. Cette approche n’est pas proposée comme un remède ou une potion magique pour sauver l’école, mais comme un défi pour la repenser au prisme du XXIe siècle.

Ce défi auquel Morin nous invite par la pensée complexe semble si évident que l’on peut se demander comment il est encore possible aujourd’hui de ne pas le relever dans le cadre d’une école confrontée à de nombreux enjeux.

Qu’il s’agisse de l’amélioration du niveau des élèves ou de la nécessité de la mixité sociale, de la transmission du principe de la laïcité, de la réflexion sur le recrutement des professeurs, ou encore de la redéfinition des programmes pour l’école de demain, tout semble indiquer qu’il est nécessaire de réformer l’école. Comme le montre le Rapport de l’Unesco, Repenser nos futurs ensemble, la « crise mondiale de l’apprentissage » est due à des contenus peu adaptés au contexte, à des méthodes et des processus pédagogiques qui ne tiennent pas compte des réalités des jeunes ou ne répondent pas aux besoins des plus défavorisés.

Le paradigme de l’éducation complexe

En replaçant l’humain au cœur d’une communauté de destin, la vision anthropologique de l’éducation d’Edgar Morin s’inscrit dans une visée sociétale qui fait de chacun de nous un citoyen du monde, un monde qui se transmet, et qu’il nous appartient tant de préserver que de bâtir. Au regard des problématiques qui parcourent l’école aujourd’hui, déployer des réformes ne saurait suffire. Une pensée prenant en compte la globalité des grands défis contemporains est nécessaire pour assurer la transmission des connaissances aux jeunes générations.

Cette pensée éducative, Morin s’y est consacré à travers une trilogie composée des ouvrages suivants : La Tête bien faite : repenser la réforme, réformer la pensée (1999), Relier les connaissances (1999), Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur (2000). La trilogie a été complétée une quinzaine d’années plus tard par l’ouvrage Enseigner à vivre : manifeste pour changer l’éducation (2014), dont s’est inspiré le réalisateur Abraham Ségal pour réaliser un documentaire montrant une mise en perspective des idées de Morin dans 5 établissements publics.

Certes, la question n’est pas nouvelle, les pédagogues du début du XXe siècle, à l’instar de Maria Montessori et ses disciples avaient déjà tenté en leur temps de révolutionner l’école. Mais l’approche dialogique à laquelle nous invite Morin par la pensée complexe permet de s’y atteler par plusieurs aspects, par exemple celui de la transdisciplinarité dans le cadre des programmes scolaires.

La transdisciplinarité au service de la compréhension de l’humain

Les différentes disciplines doivent être mobilisées ensemble plutôt que séparément afin de converger sur la compréhension de la condition humaine. C’est sur ces bases que Morin appelle à une réforme de pensée qu’il annonce comme étant historique et vitale en ce qu’elle permettra conjointement de séparer pour connaitre et de relier ce qui est séparé.

Ainsi, en suscitant « de façon nouvelle les notions broyées par le morcellement disciplinaire : l’être humain, la nature, le cosmos, la réalité », on entrera au cœur même de ce qu’il considère comme un impératif de l’éducation, à savoir « le développement de l’aptitude à contextualiser et globaliser les savoirs ». Cela seul favoriserait l’émergence d’une pensée « écologisante » permettant de situer un évènement dans son contexte et d’observer en quoi il le modifie ou l’éclaire autrement.

Concrètement, la mission de l’enseignant est de donner du sens aux apprentissages en proposant à ses élèves un travail s’appuyant sur leurs besoins profonds, comme le préconisait en son temps le pédagogue belge Ovide Decroly avec la pédagogie de l’intérêt.

Morin prône une éducation au service de laquelle l’enseignement devrait permettre d’étudier les « caractères cérébraux, mentaux, culturels des connaissances humaines, de ses processus et de ses modalités, des dispositions tant psychiques que culturelles qui lui font risquer l’erreur ou l’illusion ».

Sa vision de l’homme entendu dans la complexité d’un être qu’il envisage à la fois totalement biologique et totalement culturel le conduit à envisager une science qu’il qualifie d’anthropo-sociale remembrée de façon à envisager l’humanité tout à la fois dans son unité anthropologique et dans ses diversités, tant individuelles que culturelles.

Instaurer une démocratie à l’école

Edgar Morin prône aussi l’instauration, dans le cadre de l’école, d’une démocratie qui permettrait aux élèves de prendre réellement part aux débats et à la vie quotidienne scolaire. L’objectif serait de redonner à l’école sa place comme lieu de formation du futur citoyen. Nous sommes là au cœur de cette éducation transmettant les valeurs d’un humanisme qu’il considère comme un principe fondamental devant « être enraciné en soi, chevillé au fond de soi, car grâce à lui on reconnait tout autre comme être humain », révélant ainsi « le seul véritable antidote à la tentation barbare, qu’elle soit individuelle et collective » à laquelle chaque être humain peut être confronté.




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Autrement dit, selon Morin, l’éducation doit non seulement permettre d’apprendre à vivre, mais à vivre dans la solidarité, et dans une solidarité qu’il place dans un système planétaire. Le système compétitif que l’école continue à favoriser devrait donc être repensé au prisme de la coopération pour permettre aux enfants et aux jeunes d’apprendre à travailler ensemble, dans un monde commun, et dans une relation de confiance qui englobe également les éducateurs.

Pour ce faire, Morin pense l’enseignement comme devant répondre à une véritable mission qui ne se réduise pas à une simple fonction ou une spécialisation. Il s’agit d’une tâche de salut public qui s’incarne dans une mission de transmission qui suppose d’avoir foi tant dans la culture que dans les possibilités de l’esprit humain. Car l’éducation comprend en elle le principe d’éducabilité qui repose sur un postulat essentiel : chaque humain a une aptitude à progresser et à se perfectionner, quelles que soient ses fragilités et ses faiblesses.

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Cette réforme de l’éducation qui appelle une réforme de l’enseignement tant primaire que secondaire et universitaire pourrait permettre et accompagner un changement de paradigme. En ce qui concerne plus particulièrement l’école, l’évolution de notre système scolaire doit prendre en compte l’esprit humain, que Morin nous dit de nature prêt à la complexité, pour éduquer aux risques de l’erreur et de l’illusion auxquels nous sommes de plus en plus soumis notamment par les réseaux sociaux, pour nous apprendre à naviguer dans l’incertitude.

Le concept d’éducation complexe permet ainsi de porter une vision qui tient compte de l’humain, tant de son bien-être et de son épanouissement, que de ses faiblesses et ses errements. Qui permette, en plaçant l’humain au cœur du système éducatif, de tenter d’enseigner à vivre, et à vivre ensemble. Ces questions désormais essentielles à appréhender dès le plus jeune âge nécessitent de repenser la formation des enseignants, car dans cet esprit ils devront avoir, selon les mots de Philippe Meirieu :

« la mission d’instruire sans enfermer, de transmettre sans clôturer, d’engager chacun et chacune dans une démarche de recherche à laquelle aucun credo obscurantiste ne pourra jamais mettre fin. Il y va de la réussite de notre École. Et de la possibilité, pour nos enfants, de donner un avenir à leur futur ».

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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