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La pédagogie de la résonance selon Hartmut Rosa : comment l’école connecte les élèves au monde

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Un article repris du magazine The Conversation, une publication sous licence CC by nd

Le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa a publié récemment l’ouvrage Pédagogie de la résonance dans lequel il expose et précise, sous forme d’entretiens, le concept de « résonance », qu’il avait déjà présenté dans un ouvrage éponyme, ce concept étant appliqué spécifiquement cette fois-ci au domaine de l’éducation. Comme ce fut le cas pour ses précédents ouvrages, ce nouveau livre suscite beaucoup d’échos, notamment en France.

Le concept de résonance a émergé après plusieurs années de réflexion jalonnées par différents ouvrages. Dans Accélération, publié en 2010 en français, Hartmut Rosa faisait tout d’abord le constat d’une accélération des modes de vie ces dernières décennies dans les sociétés modernes. Puis, dans Aliénation et accélération, publié en 2014 en français, il établissait une relation entre cette accélération de nos modes de vie et une perte de notre lien avec le monde.

L’idée de la résonance est apparue à Hartmut Rosa après s’être demandé ce que pouvait être l’inverse de l’aliénation. Autrement dit, si l’accélération a suscité l’aliénation, que nous a-t-elle fait perdre en contre-partie ? Réponse : une forme de lien avec le monde ou une façon d’être-au-monde qu’il appellera « résonance ». La résonance décrit ainsi « un mode d’être-au-monde, c’est-à-dire un type spécifique de mise en relation […] dans laquelle le sujet et le monde se touchent et se transforment mutuellement ».

Un mode de relation au monde

Dans l’ouvrage Rendre le monde indisponible, publié en 2020 en français, Hartmut Rosa explique que la résonance implique un mode de relation qui peut être défini à travers quatre caractéristiques.

La première caractéristique correspond au moment du contact (affection) : un fragment de monde (par exemple une personne ou un paysage) nous interpelle, nous paraît significatif ou important. Le sujet que nous sommes « est affecté par le monde, c’est-à-dire touché ou ému de telle sorte qu’il développe un intérêt intrinsèque pour le fragment de monde qui lui fait face et se sent en quelque sorte en position de “destinataire” ».




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Le moment de l’efficacité personnelle (réponse) est la deuxième composante de la résonance : nous réagissons physiquement (« chair de poule », modification de la réponse électrodermale, de la fréquence respiratoire, du rythme cardiaque, etc.) à l’interpellation et « allons à la rencontre de ce qui nous a touchés ». Nous nous sentons « reliés au monde d’une manière efficace et vivante parce que nous pouvons nous-mêmes provoquer quelque chose dans le monde ».

Une telle relation peut s’observer par exemple lors d’une discussion pendant laquelle deux personnes s’écoutent et se répondent à tour de rôle. Cette efficacité personnelle peut aussi se manifester à partir du moment où « nous ne nous contentons pas de lire un livre mais où nous commençons à nous en imprégner ».

Vivre en résonance avec Hartmut Rosa (Philonomist, 2020).

Troisième composante : le moment de l’assimilation (transformation), où nous entrons en relation avec un fragment de monde (un être humain, un livre, une musique, un paysage, une idée, un morceau de bois, etc.). Cette expérience de résonance nous transforme et c’est en cela que résiderait « l’expérience de la vitalité ».

Enfin, la résonance serait par nature indisponible et notre rapport avec elle serait du même ordre que celui entretenu avec une activité comme le sommeil : plus nous souhaitons nous endormir, moins nous y arrivons. Une des caractéristiques de la résonance serait ainsi « de ne pas pouvoir être obtenue ni empêchée de manière certaine ». De plus, lorsque la résonance survient, cela nous transforme sans qu’il soit possible de prédire la direction et le résultat de cette transformation. Ainsi, la résonance serait « par nature un phénomène dont l’issue ne peut être déterminée à l’avance ».

Triangle de résonance

Dans Résonance puis dans Pédagogie de la résonance, Hartmut Rosa propose d’envisager l’appréhension du monde dans le contexte scolaire, non pas comme une simple acquisition de compétences, mais sous la forme d’une résonance. Une compétence est considérée comme une appropriation d’un fragment de monde alors que la résonance supposerait plutôt une « emmétamorphose » du monde, qui correspond au fait que je me transforme à son contact.

Ainsi, il ne s’agirait plus d’apprendre à maîtriser le monde mais à transformer sa relation au monde. Pour décrire cela, Hartmut Rosa va modéliser l’école et l’enseignement sous la forme d’un triangle reliant trois entités : l’enseignant, les élèves et la matière (par exemple le français ou les mathématiques).




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Lorsqu’un cours n’est pas réussi, cela signifie que l’on aurait affaire à un triangle d’aliénation se caractérisant par une situation dans laquelle « l’enseignant, les élèves et la « matière » n’ont au fond rien à se dire ». Dans ce cas, l’enseignant ne réussit pas à atteindre les élèves, ce qui l’amène à douter de sa capacité à transmettre la matière enseignée. De leur côté, les élèves considèrent que l’enseignant leur manifeste peu d’intérêt ou de considération, que la matière ne les intéresse pas, qu’elle ne leur parle pas, qu’ils ne la comprennent pas. Dans ce contexte, l’école ou la classe est perçue comme une zone d’aliénation.

Heureusement, le triangle d’aliénation peut se transformer en un triangle de résonance avec, dans ce cas, l’enseignant qui parvient à atteindre les élèves et à transmettre la matière en la faisant parler. Du côté des élèves, un intérêt propre est porté à une matière et ils éprouvent leur efficacité personnelle dans leur confrontation avec celle-ci, cela passant « avant tout par la mise en éveil de l’axe de résonance entre élèves et enseignant ».

Tout débuterait avec l’enthousiasme de l’enseignant qui, tel un premier diapason « inspirateur », éveillerait chez les élèves « une propension à la résonance telle qu’elle donnerait vie et voix à la matière ». Un bon professeur devra en outre faire figure de second diapason « récepteur », capable « de réagir avec tact aux besoins, aux humeurs et aux intérêts des élèves ».

Pédagogie du rire

La formation d’un triangle de résonance supposerait quatre conditions. Il s’agit d’abord que les élèves et l’enseignant soient en mesure de s’atteindre mutuellement. Il faudrait ainsi que « le professeur soit convaincu d’avoir quelque chose à dire à ses élèves et certain de vouloir être entendu par eux ». Et du côté des élèves, l’instauration d’un axe de résonance nécessitera une absence de doute par rapport au fait qu’ils ont un rôle à jouer et qu’ils trouveront une oreille accueillante en la personne de l’enseignant.

Deuxième condition : l’enseignant est persuadé « d’avoir quelque chose à dire sur le plan du contenu ». Autrement dit, le sujet « lui parle, a quelque chose à lui dire et importe à ses yeux ». Ainsi, l’enseignant réussit par son enthousiasme à faire parler la matière à l’élève.

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Ensuite, les élèves doivent avoir l’esprit ouvert eu égard à la question abordée en cours afin d’être prêts à s’impliquer et à « se laisser mouvoir par elle ». Ils doivent en outre « avoir suffisamment confiance en eux-mêmes afin d’oser la rendre parlante ».

Enfin, pour que les élèves puissent montrer une disposition à la résonance, il faut que l’ambiance de la classe y soit propice et qu’ils n’aient « pas besoin de s’armer contre d’éventuels cas de malveillance, d’humiliation, de moquerie, de harcèlement, etc. ». Cela contribuera à la création d’un axe de résonance horizontal entre les élèves.

Harmut Rosa prend en exemple le film Le cercle des poètes disparus, de Peter Weir. Allociné/Warner Bros

Par ailleurs, Hartmut Rosa considère que, parmi d’autres facteurs, l’humour est un élément déterminant pour créer un contexte d’enseignement favorable au développement d’un triangle de résonance. Rire en cours serait ainsi un principe essentiel de la pédagogie de la résonance.

Tous ces éléments pris en considération, il ne sera pas surprenant d’apprendre qu’Harmut Rosa invoque, comme exemple parlant ou illustratif de ce que peut être la pédagogie de la résonance le film Le cercle des poètes disparus avec Robin Williams dans le rôle de l’enseignant Mr Keating. On peut ainsi découvrir comment, « lorsque la poésie commence à parler, les relations sociales de la classe se transforment, des changements individuels s’opèrent et s’orientent vers ce que l’on peut appeler la “formation du caractère” ».

The Conversation

Frédéric Bernard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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