Un article repris du magazine The Conversation, une publication sous licence CC by nd
Depuis plusieurs années, en France comme ailleurs, l’enseignement supérieur est questionné sur son rôle et ses responsabilités dans les crises socio-environnementales actuelles. En réponse, de nombreuses recherches et initiatives ont émergé visant à mieux intégrer dans les différents cursus les principes et les objectifs du développement durable, en particulier depuis L’Initiative de l’Enseignement supérieur pour le Développement durable (HESI) lancée en marge de la Conférence Rio+20 des Nations unies.
Mais malgré la prise en compte croissante de ces enjeux à travers des parcours, des cours ou des séances spécifiques sur l’éthique ou le développement durable, des activités de sensibilisation, telles la Fresque du Climat ou celle du Numérique, ou encore des test d’évaluation comme le Sulitest, la pression s’accroit sur les établissements d’enseignement supérieur, en particulier en ingénierie et en management.
Le Manifeste Étudiant pour un réveil écologique lancé en 2018, ou encore les très récents appels à bifurquer ou à se rebeller montrent que, malgré des efforts certains, les jeunes estiment que les cursus continuent à perpétuer le modèle dominant ayant conduit aux crises complexes actuelles et à venir.
Il faut reconnaitre que cette approche intégrative – ajout d’un cours ou d’une session quand les programmes, déjà bien remplis, le permettent – reste contradictoire et crée de la confusion en diffusant des injonctions paradoxales entre les cours restés inchangés et les nouvelles activités pédagogiques, sans pour autant former à gérer ces contradictions.
Il conviendrait donc d’aller au-delà, en engageant les cursus dans une approche transformative. Ne plus intégrer le développement durable en ingénierie ou en management, mais plutôt enseigner l’ingénierie et le management pour le développement durable. C’est en transformant les programmes en profondeur que chaque étudiant et étudiante aura les connaissances et les compétences nécessaires pour être des acteurs et actrices responsables et engagé·e·s dans les transitions à venir, tant personnellement que professionnellement.
Quelles compétences intégrer ?
Face à ce constat, un trouble et une fébrilité semblent saisir le monde de l’enseignement supérieur. Comment transformer les cursus ? Doit-on tout déconstruire ? Quelles compétences intégrer ? En France, de récentes initiatives d’envergure abordent ces questions, comme le groupe de travail présidé par Jean Jouzel dont le rapport a été remis au gouvernement en février 2022, ou encore le Shift Project et leur projet ClimatSup Business.
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Bien que ces initiatives apportent des bases solides de réflexion et d’action, la réflexion générale reste encore trop souvent concentrée sur l’identification des compétences clés pour le développement durable sans suffisamment aborder d’autres questions pourtant fondamentales.
Les compétences sont en effet déjà connues. La littérature académique (par exemple Redman et Wiek (2021), Moosmayer et coll. (2020) ou encore Lozano et Barreiro-Gen (2021)) ainsi que les rapports internationaux, dont ceux de l’Union européenne, de l’Unesco ou de l’OCDE, convergent depuis plusieurs années vers un ensemble clair de compétences.
Au travers de nos recherches et de nos activités institutionnelles, nous avons été amenés à produire un cadre global de 13 compétences intégrant ces différentes sources :
Ces 13 compétences représentent un cheminement structuré en trois blocs se superposant progressivement :
-
se comprendre et comprendre les autres ;
-
comprendre le monde ;
-
transformer le monde.
Ce cadre n’est pas propre à une discipline et vise à soutenir les élèves, les professeurs, les directions de programmes, les gouvernances d’institution d’enseignement supérieur et les décideurs publics dans leurs efforts de transformation des cursus.
La transition prendra du temps
Si l’identification de ces compétences, au cours des dernières années, n’a pas été simple, le plus dur reste peut-être à venir. Leurs définitions respectives sont encore floues et leur opérationnalisation l’est plus encore.
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Que veulent dire précisément ces compétences pour l’ingénierie et le management ? Quel devrait être le degré d’autonomie que les étudiantes et les étudiants devraient atteindre pour chacune d’entre elles ? Comment les traduire en objectifs d’apprentissage précis ? Quelles devraient-être les situations d’apprentissage permettant de les acquérir ? Quelles sont les situations d’évaluation de ces apprentissages ?
Des initiatives institutionnelles, comme à Pennsylvania State University, ou internationales, comme le projet i5 du PRME ou le programme de formation de l’EFMD, émergent pour aborder ces questions. Mais ces dernières restent complexes, et développer les réponses et les mettre en application à grande échelle prendra du temps.
La pression concurrentielle, en particulier en France, limite la capacité des établissements à s’engager pleinement dans cette évolution. Surtout, cette pression limite les réflexions collectives, alors que c’est au travers de la collaboration, dans et entre les disciplines, que les nouveaux modèles d’enseignement supérieur pourront être développés et déployés.
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Outre les collaborations institutionnelles, ces réflexions ne doivent pas rester qu’une démarche d’experts et d’expertes et de politiques publiques. En particulier, il est essentiel que les étudiants et les étudiantes, et la jeunesse en général, soient pleinement intégrés à ces transitions. Par exemple, lors de la rentrée 2022 de SKEMA Business School, près de 800 d’entre eux en première année du Programme Grande École ont été invités à participer au Hackathon d’une semaine sur l’Enseignement supérieur en Transition, avec pour objectif d’intégrer leur travail à la transition de l’établissement.
Par ailleurs, en octobre 2022, l’Observatoire Mondial des Jeunesses sera lancé avec une première consultation d’intelligence collective massive : Youth Talks. Soutenu par un ensemble de plus de 30 partenariats internationaux avec des institutions d’enseignement supérieur et des regroupements de jeunesses, l’objectif de cette initiative internationale est de toucher plus de 200 millions de jeunes entre 15 et 29 ans à travers le monde afin de collecter les aspirations d’au moins 150 000 d’entre eux.
La transition nécessaire des modèles d’enseignement supérieur demande un réel changement de paradigme, basé non seulement sur de nouvelles compétences, mais également sur une transformation profonde des narrations, des valeurs, des métaphores et des symboles qui structurent de façon explicite ou implicite les modèles actuels.
Ce n’est qu’au travers de ces mutations que nous pourrons enfin développer de nouveaux horizons communs et tendre vers des modèles d’éducation dits humanistes en management ou en ingénierie qui privilégieraient la dignité humaine et le bien-être collectif, plutôt que la richesse, le pouvoir ou le statut.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
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