Un article repris du magazine The Conversation, une publication sous licence CC by nd
L’oral est de plus en plus valorisé, que ce soit avec la vogue des concours d’éloquence, la multiplication des comptes de vulgarisation sur YouTube ou encore la création d’un grand oral au bac. On attend du locuteur qu’il parle correctement, avec une syntaxe adaptée, de manière audible, en articulant et que ses propos intéressent les auditeurs. Mais avant d’être capable de s’exprimer et de défendre des idées dans de tels cadres, encore faut-il que les élèves un certain nombre de connaissances. Et pour accompagner, dans chaque discipline, les élèves dans cette activité réfléchie de la pensée, il s’agit de mettre en place dans la classe un oral de travail.
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Quelles sont les caractéristiques de cet oral permettant à tous d’apprendre ? Et, comment amener les enseignants à prendre conscience de son importance ?
Bien que la langue orale soit mentionnée dans les programmes scolaires, elle est très peu présente comme objet d’enseignement dans les emplois du temps, de l’école primaire au lycée.
Néanmoins, l’oral est le moyen de communication privilégié entre enseignants et élèves. C’est d’ailleurs principalement pour cette raison qu’il n’est pas enseigné. Comme il est considéré plus « naturel » et plus « spontané » que l’écrit, les enseignants ont l’habitude d’utiliser l’oral pour aider les élèves les plus fragiles en lecture et en écriture, ce qui contribue à le considérer comme un moyen d’enseignement plutôt qu’un réel objet d’enseignement.
Élisabeth Bautier, sociologue, alerte cependant sur le fait que les classes n’ont jamais été aussi bavardes, mais que, pour autant, les spécificités de cet oral d’apprentissage ne sont pas enseignées.
Construire des savoirs
En effet, si l’oral utilisé dans la classe est plus proche de la langue quotidienne que de l’oral d’apprentissage de l’école (qui, lui, ressemble davantage à de l’écrit) et qu’il n’est pas perçu comme un objet d’enseignement à part entière, cela peut créer des malentendus chez les élèves quant au sens et à la finalité des interventions orales à l’école, pouvant creuser davantage les inégalités.
En fait, le langage n’est ni naturel ni transparent ; ses usages sont toujours tributaires d’un contexte ou d’une activité humaine ce qui conduit Jaubert, Rebière et Bernié à dire que les usages du langage à l’école sont spécifiques à chaque discipline. Les élèves doivent apprendre les manières d’agir, de parler et de penser propres à chacune de ces matières, condition nécessaire pour construire ensemble les savoirs grammaticaux, dans le cas des travaux que nous présentons.
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Dans le cadre d’une recherche collaborative de deux années consécutives, sur l’usage de l’oral dans l’enseignement de la grammaire au cycle 3 (élèves en CM1/CM2), nous avons filmé quatre enseignantes sur la notion grammaticale « Phrase simple vs phrase complexe » (Grammaire du Français, p 22 – paragraphe 2.1). Lors des entretiens qui ont suivi entre chercheurs et participantes et entre participantes elles-mêmes, elles ont pu visionner leurs pratiques et les analyser de manière individuelle puis collective pour prendre conscience du rôle du langage dans la construction des savoirs.
À partir des transcriptions écrites des vidéos de séances, nous avons fait une analyse quantitative pour établir les pourcentages de temps de parole de chacun et pour obtenir la longueur moyenne des énoncés des élèves et de chaque enseignante en comptabilisant le nombre de mots de leurs énoncés.
Au-delà de la comparaison des temps de parole et de la longueur des énoncés entre les deux années, nous avons réalisé une analyse qualitative du discours des enseignantes et des élèves pour identifier ce qui a changé (la nature des énoncés, questions fermées/ouvertes de la part des enseignantes, réponses oui/non, présence d’arguments chez les élèves…).
Réfléchir à ses pratiques
Lors des entretiens sur les séances de la première année, les enseignantes prennent conscience qu’elles parlent trop (plus de 80 % du temps de parole) et que leurs questions totales (est-ce que ?) ou fermées (qui n’attendent souvent pour réponse qu’un ou deux mots), ont une incidence sur la longueur des énoncés des élèves (¾ mots) et sur le contenu (très peu d’éléments de savoirs). Dans les séances de la deuxième année, nous observons des temps de parole moins déséquilibrés (autour des 70 %) et une longueur moyenne des énoncés des élèves plus importante (plus de 6 mots en moyenne).
En effet, les enseignantes mobilisent moins de questions fermées, incitent les élèves à compléter, à justifier leurs propos et à utiliser des termes grammaticaux précis. De ce fait, les élèves formulent des réponses plus longues, cherchent à expliquer et mobilisent également des usages du langage plus variés, spécifiques à la grammaire et au savoir en jeu par exemple :
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décrire une phrase complexe : « il contient deux verbes, fait et perd »
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établir une définition de cette notion : « une phrase complexe c’est une phrase qui a au moins deux verbes et même plus »
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apporter une contre argumentation à ce qu’un camarade a expliqué : « mais c’est pas la longueur qui fait que c’est une phrase complexe ».
Enseigner l’oral et ses usages dans le cadre des disciplines, faire construire des savoirs aux élèves en travaillant le langage qui le rend explicite, peuvent donner aux élèves du sens à l’oral à l’école, car, comme écrit Élisabeth Bautier « parler pour apprendre c’est apprendre à parler ».
L’oral à l’école est donc multiple, ce qui rend difficile de le percevoir et de l’enseigner. Pour que les élèves puissent mobiliser l’oral pour apprendre, il est primordial que les enseignants le connaissent, le reconnaissent et le sollicitent dans leurs classes. Il est donc nécessaire que la construction langagière des savoirs soit abordée en formation des enseignants pour rendre cet oral moins invisible. Le visionnage de séances d’enseignement filmées et leur mise en discussion entre enseignants et chercheurs dans le cadre de recherches collaboratives, semble être une piste prometteuse en formation initiale ou continue des maîtres.
Magali Durrieu-Gardelle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
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