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Une formation d’enseignants incluant la concrétisation d’initiatives pédagogiques

16 décembre 2016 par Geneviève David Retours d’expériences 673 visites 0 commentaire

UNE FORMATION D’ENSEIGNANTS INCLUANT LA CONCRETISATION D’INITIATIVES PEDAGOGIQUES

Un programme en quatre semaines étayé par un projet pédagogique personnel

Résumé :
Dans une formation à la pédagogie pour les jeunes enseignants et comportant 4 modules d’une semaine, l’intégration d’un projet personnel modifiant leurs pratiques a été réfléchi de façon à améliorer l’efficacité de la formation, soutenir la motivation des enseignants, et les accompagner dans une activité réflexive.

Mots-clés : Formation des enseignants, initiatives pédagogiques, motivation, réflexivité.

Geneviève David

AgroParisTech, Paris, France


Un article publié au VIIIe Colloque des Questions de Pédagogie dans l’Enseignement Supérieur, Brest, 17, 18 et 19 Juin 2015.

I. INTRODUCTION

Les dispositifs de formation en pédagogie des enseignants du supérieur visent une amélioration des pratiques. Il reste souvent une question en suspens : quelle sera la mise en œuvre concrète des changements, une fois la formation effectuée ?
Le dispositif présenté comporte 2 originalités : il est composé de 4 modules d’une semaine étalés sur 5 à 6 mois (format peu répandu), et inclut obligatoirement l’élaboration d’un projet pédagogique propre à l’enseignant. Nous détaillons ici comment le projet est intégré dans la formation, et comment les choix faits contribuent à motiver les enseignants.

II. CONTEXTE ET PROBLEMATIQUE

II.1 Une action originale du Ministère en charge de l’Agriculture

Depuis 2001 le Ministère en charge de l’Agriculture, à travers sa Direction de l’Enseignement et de la Recherche (DGER), a pris conscience de l’intérêt d’améliorer les compétences pédagogiques des enseignants-chercheurs recrutés dans les établissements d’enseignement supérieur relevant de sa tutelle. Le recrutement s’effectue en effet essentiellement sur des compétences disciplinaires.
Chaque année le Ministère cofinance avec les établissements un cycle de formation de 4 semaines, cadré via une note de service publiée par la DGER, ce qui permet de créer une ligne budgétaire ; cette note est co-rédigée avec les différents organisateurs des cycles, définissant des principes communs, les modalités de réalisation variant selon les centres. La formation cible en priorité les enseignants nouvellement recrutés (depuis 3 ans) ; elle est ouverte aux autres enseignants en fonction des disponibilités, et fonctionne avec des groupes de 8 à 15 participants. La formation n’est pas obligatoire mais fortement recommandée ; les enseignants s’engagent à suivre l’intégralité des 4 semaines. Les enseignants prioritaires reçoivent personnellement un courrier d’information et d’inscription.
Les raisons invoquées pour ne pas s’inscrire sont souvent liées aux activités de recherche, et/ou des enseignements à assurer non déplaçables.
3 centres réalisent ces formations - AgroParisTech, AgroSup Dijon, et l’ENFA de Toulouse – avec 2 centres opérant par an.

II.2 Les principes-clés de la formation

Les principes-clés de structuration et relatifs aux compétences attendues des enseignants à l’issue de la formation sont :

  • Apprentissage centré sur l’étudiant : quelles compétences doit-il développer ?
  • Concevoir des enseignements cohérents (alignés) entre objectifs d’apprentissage, évaluation, et méthodes pédagogiques [Biggs, 1996],
  • Développer des méthodes de pédagogie active afin de favoriser la motivation des étudiants ainsi que l’acquisition des compétences visées.
  • Les 3 premiers modules d’une semaine sont ancrés sur des analyses de pratiques actuelles des enseignants, accompagnés d’apports théoriques, et utilisent diverses méthodes de pédagogie active.
  • Chaque enseignant réalise obligatoirement un projet pédagogique qui lui est propre ; le projet fait partie intégrante de la formation.
  • Lors du 4ème module, chaque enseignant présente son projet, qui est ensuite discuté avec le reste du groupe et l’animateur (1h30 à 2 heures pour chacun).
  • Les 4 modules sont espacés, et étalés sur plusieurs mois.

II.3 Contexte de la mise en œuvre sur le centre AgroParisTech

La formation a été organisée à AgroParisTech 7 fois entre 2001 et 2013, dont 5 fois sous ma responsabilité, - et le sera en 2015. J’ai clarifié le fil rouge et la structuration entre analyse des pratiques et apports théoriques. Notamment j’ai intégré le projet pédagogique dès le 1er module ; les analyses de pratiques menées s’inscrivent majoritairement dans les projets des enseignants. Cela n’était pas le cas dans les premières versions de la formation. Le projet était alors conçu comme une application de la formation, venant après les 3 premiers modules. Tout le travail sur le projet était fait en dehors des périodes en présentiel. Les consignes demandaient aux enseignants de faire le lien avec les apports de la formation. Ayant suivi la session de 2002, j’ai vécu la charge de travail supplémentaire, et la difficulté de mener une analyse réflexive sans y avoir été vraiment préparée.
L’article détaille la manière dont le projet est inclus dans la formation ; les choix qui ont été faits visent à améliorer l’efficacité de la formation, soutenir la motivation des enseignants, les accompagner dans une activité réflexive, et éventuellement réduire la charge de travail hors présentiel liée au projet.

III. CARACTERISTIQUES PRINCIPALES

L’élaboration et la soutenance du projet sont obligatoires pour valider la formation.

III.1 Le choix et l’ampleur du sujet de projet : par l’enseignant

Dès le démarrage de la formation, chaque enseignant doit avoir choisi une unité d’enseignement (UE) particulière dans laquelle il intervient, pour son projet : un enseignement qui lui pose problème, et/ou qui est en chantier de réflexion à court terme et sur lequel il devra de toute façon travailler, qu’il en aie ou non la responsabilité. Cela peut concerner un de ses propres enseignements, ou un « héritage » à reconcevoir, ou une UE nouvelle à créer. Le cadre de départ est donc le plus souvent une UE de quelques dizaines d’heures ; l’enseignant est amené à préciser un thème qu’il va approfondir pour élaborer des améliorations. Ce thème est discuté avec l’animatrice, mais reste de son choix, ainsi que l’étendue du projet (nombre de séances ou heures, modes de pédagogie.)

III.2 L’intégration dans les 3 premiers modules

L’enseignant est guidé dans la réalisation d’un diagnostic de pertinence et de cohérence sur l’ensemble de l’UE qu’il a choisie en projet. Cette activité vient en synergie des mises en travail et apports théoriques sur « concevoir un enseignement (pertinent et cohérent) » ; elle constitue une contextualisation, permettant ensuite dé-contextualisation, et re-contextualisation. Dans chaque module au minimum une journée est consacrée au projet.
Le premier module aborde les thèmes de l’enseignement aligné et centré sur l’apprenant ; la réalisation d’un plan de cours, la rédaction des objectifs d’apprentissage, les paramètres de la motivation.
Sur leur projet, les enseignants réalisent un diagnostic de pertinence, -quels étudiants, quels besoins, au regard des objectifs affichés- ; ils critiquent et re-rédigent les objectifs d’apprentissage de leur UE, et discutent entre pairs leurs propositions. Un premier regard est également porté sur les modalités d’évaluation.

Le deuxième module développe divers aspects de l’évaluation (des acquis des étudiants, des enseignements, les modalités, les outils..).
Sur leur projet, les enseignants examinent le degré de cohérence entre les objectifs et évaluation initiaux et en rédige le diagnostic. Sur les objectifs d’apprentissage améliorés qu’ils ont rédigés, ils élaborent au minimum une première version d’évaluation qui serait cohérente. Elle est discutée entre pairs. Un cas (ou 2) est discuté tous ensemble avec l’animatrice. Un premier regard est également porté sur la cohérence avec les méthodes pédagogiques.
Une grille critériée d’évaluation du projet pédagogique est construite en commun. Elle permet d’examiner la mobilisation des concepts et méthodes vus dans la formation, pour le diagnostic de l’ancien et pour les nouvelles propositions, ainsi que la réflexivité dont fait preuve l’enseignant.

Le troisième module apporte des compléments sur les méthodes de pédagogie active, - dont plusieurs ont déjà été expérimentées dans les modules précédents-.
Sur leur projet, les enseignants complètent leur diagnostic d’état initial en détaillant le degré cohérence des méthodes utilisées au regard des objectifs d’apprentissage et de l’évaluation. Ils élaborent des propositions d’amélioration, éventuellement sur une partie seulement de l’UE, discutées entre pairs.

III.3 Les soutenances des projets

Elles ont lieu environ 2 mois après le dernier module. Tout le groupe assiste aux présentations. L’enseignant doit fournir un diaporama avec commentaires qui est présenté (45 ‘) et discuté (45 ‘ à 1heure). Les participants sont d’abord invités à commenter, poser des questions. Le feed-back est complété par les membres du jury.

IV. BILAN CRITIQUE ET PERSPECTIVES

Depuis cette réforme tous les enseignants soutiennent leur projet ; auparavant 1 ou 2 enseignants par groupe ne le finalisaient pas.
L’engagement dans les tâches du projet est très fort. Le tableau 1 présente comment les règles choisies pour la conduite des projets alimentent positivement des composantes importantes de la motivation, selon le modèle expectancy - value [Eccles et Wigfield, 2002], complété sur l’expectancy [Bandura, 1997], modèle présenté par Mariane Frenay lors de la formation en 2009, et suivantes.

Tableau 1 : Composantes de la motivation alimentées positivement par les règles de conduite des projets.
Composantes de la motivation Règles choisies pour la conduite des projets

Espérance de réussite (expectancy)

Sentiment d’efficacité personnelle Le projet a une certaine ampleur (réflexion sur plusieurs mois) ; améliorer la pertinence et la cohérence des enseignements augmente les compétences ; la soutenance constitue un des « produits finis » et le feed-back souligne les acquis ; la grille commune d’évaluation permet l’auto-évaluation sur le projet et sur la réflexivité développée.
Perception de la difficulté de la tâche Réduire la difficulté : le sujet et l’ampleur du projet est choisi par l’enseignant. Le projet est intégré à la formation dès le début. Le diagnostic est segmenté ; les références théoriques sont apportées dans la foulée des questionnements.
Perception du potentiel de support académique et social lors de l’apprentissage Soin apporté à créer un climat de confiance. Au moins 1 jour par module consacré au projet. Feed back entre pairs, et de l’animatrice. Soutenances avec un temps de feed back important.

Valeur perçue de la tâche (value)

Utilité (valeur extrinsèque) Le projet est obligatoire pour valider la formation.
Intérêt (valeur intrinsèque) Le sujet est choisi par le participant. Le projet concerne directement, ses tâches d’enseignant. Il apporte du nouveau, du changement pour l’enseignant.
Importance Le projet aide les jeunes recrutés à résoudre une ou des situations qui les préoccupent (ils sont encore proches des étudiants et très sensibles à leurs réactions).
Coût (conséquences négatives) Le coût en travail hors présentiel est potentiellement réduit par le temps consacré au projet pendant les modules.

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La création d’un climat de confiance dans le groupe est essentielle. Les échanges entre pairs sont très porteurs et riches à condition que chacun puisse parler des erreurs qu’il fait sans être dévalorisé, mais au contraire aidé.
Ainsi intégrés de la formation, les projets sont non seulement une application, mais aussi une source de questionnement des théories présentées.
Développer l’autonomie et la réflexivité chez les jeunes enseignants nous apparaît également essentiel. Pour chaque thématique, la première étape consiste à identifier les pratiques des enseignants, avec des regards croisés entre eux à 2 ou 4, permettant des prises de conscience, des questionnements, discutés ensuite tous ensemble. Puis, suite aux apports théoriques, chacun réexamine ses pratiques dans le cadre de son projet, et rédige un diagnostic sur le thème en question - ce qui va / ce qui ne va pas -, et une première version de propositions de changement, discutée en binôme. Ainsi chacun donne et reçoit un feed-back mobilisant les éléments théoriques présentés. Au fil des modules, chacun réalise et rédige le diagnostic initial de pertinence et de cohérence – alignement- de l’enseignement objet de son projet, en mentionnant les références théoriques mobilisées (consigne donnée). Les nouvelles propositions sont étayées de la même manière. L’élaboration des critères d’évaluation du projet est faite avec le groupe, occasion supplémentaire de prise de recul, et produisant un outil d’autodiagnostic.

Le coût en travail hors présentiel ne semble pas avoir été réduit car en fait les enseignants développent des projets plus ambitieux, pour certains même dans une ampleur qu’on n’aurait pas osé demander à des jeunes en début de carrière.

Actuellement les enseignants formés ne sont ensuite pas suivis ou accompagnés. Certains des projets sont testés en réel par les enseignants pendant la formation, d’autres le sont après, sans possibilité de feed-back formalisé. Ce public très motivé est demandeur d’échanges et d’accompagnement individualisé. Une réflexion est en cours pour instaurer au moins une journée d’échanges par an.

V. CONCLUSION

Même avec un public de jeunes enseignants motivés au départ, et une activité a priori motivante telle qu’un projet, il s’avère déterminant de définir des règles de conduite du projet qui maximisent la motivation. La majorité d’entre eux a effectivement réagit par un fort engagement dans les tâches et une plus forte ambition de leur projet.

RÉFÉRENCES

Bandura, A. (1997). Self-efficacy. The exercise of control. New York. Freeman.

Biggs, J. (1996). « Enhancing teaching through constructive alignment ». Higher Education, 32, 347-64.

Eccles, J.S., Wigfield, A. (2002). « Motivational beliefs, values, and goals. » Annual Review of Psychology, 53,1, pp. 109-132.

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