Innovation Pédagogique et transition
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Les pédagogies actives par problèmes et par projets à l’épreuve de la distance : questions à l’ingénierie

Un article repris de http://journals.openedition.org/dms/5586

Un article par Bernard Blandin repris de la revue Distances et Médiations des Savoirs, une publication sous licence CC by sa

Bernard Blandin, « Les pédagogies actives par problèmes et par projets à l’épreuve de la distance : questions à l’ingénierie », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 31 | 2020, mis en ligne le 16 octobre 2020, consulté le 03 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/dms/5586 ; DOI : https://doi.org/10.4000/dms.5586

Je tiens à remercier particulièrement, d’une part, Jean-Louis Allard et l’équipe de la Direction des Études de l’École d’Ingénieurs, qui ont contribué, par des documents internes auxquels j’ai eu accès, à la présentation actualisée de l’école et des pédagogies mises en œuvre ; et d’autre part, l’équipe qui participe à la recherche sur la période de confinement, Stéphanie Guibert, Céline Viazzi, Atika Mokhfi et Yann Serreau, qui ont réalisé une partie des entretiens dans lesquels j’ai puisé pour cette contribution.

Introduction

Le débat proposé par Distances et Médiations des Savoirs en 2020 porte sur l’ingénierie pédagogique. Il est introduit par le texte de Peraya et Peltier (2020a), mis en ligne la veille de l’annonce des mesures de confinement prises pour enrayer la pandémie générée par la Covid-19. La situation sanitaire a réorienté ce débat vers l’ingénierie en situation de crise, comme en témoigne le numéro suivant (Peraya et Peltier, 2020b ; Villiot-Leclercq 2020 ; Caron, 2020 ; Laurent, Dessus et Vaufreydaz, 2020) et celui-ci.

Ma propre contribution s’appuiera en partie sur cette situation particulière, dans la mesure où la mise à distance forcée de toutes les formes d’enseignement et d’apprentissage a été révélatrice de propriétés cachées de l’ingénierie pédagogique mise en œuvre à l’École d’ingénieurs CESI, qui ne s’était jamais posé explicitement la question de la mise à distance intégrale, et qui s’est révélée au final d’une grande robustesse et effectivité dans toutes les modalités appliquées pendant cette période inédite. Cette contribution utilise quelques éléments d’une recherche en cours, qui me permettent de répondre par des arguments, étayés par des faits, et pas seulement par des conjectures, à la question que je souhaitais traiter lorsque j’ai été invité à contribuer au débat : « Les changements observés touchent-ils à l’ingénierie pédagogique elle-même ou aux modèles de design, plus sensibles au contexte (approches pédagogiques, technologies utilisées, etc.) ? » (Peraya et Peltier, 2020a). Je reviendrai aussi sur le débat d’il y a deux ans, sur la « forme universitaire » (Peraya, 2018), et sur ce concept de « forme » qui me semble insuffisamment prise en compte par l’ingénierie, renouant avec des analyses faites il y a quelques années (Blandin, 2002 ; Blandin, 2006). Je ne suis d’ailleurs pas le seul à revenir sur cette notion : Bonfils, dans ce numéro, évoque aussi l’impact de la période récente sur l’évolution de la forme universitaire comme de la forme scolaire (Bonfils, 2020).

Cette contribution comprend quatre parties. Dans la première, je pose la question de la « forme » de la formation à distance. Je pose ensuite la question de celle de l’École d’ingénieurs CESI, et je présente ses pédagogies et l’ingénierie qui leur est associée. La troisième partie est consacrée aux constats issus d’une recherche en cours, menée auprès d’élèves et d’enseignants CESI pendant la période de confinement. La dernière partie apporte quelques éléments de réponse à la question posée ci-dessus.

Y aurait-il une forme implicite de la FAD ?

J’ai été frappé, en lisant les textes de cadrage et les premières contributions, par ce qui m’est apparu comme un parti pris, a priori non questionnable : la FAD se doit d’« enseigner en différé », ainsi que l’indique le premier paragraphe du texte introductif (Peraya et Peltier, 2020a) citant un texte plus ancien de Daniel Peraya (1994, p. 148). Dire que la FAD « enseigne en différé », c’est exclure d’emblée tout scénario de FAD impliquant des interactions synchrones, ce qui est explicitement dit dans le deuxième texte introductif : « Par ailleurs, la confusion entre « l’enseignement en ligne », particulièrement centré sur la mise à disposition de contenus et la communication unidirectionnelle synchrone (visioconférences), et la formation à distance [1] amène aujourd’hui légitimement étudiants et enseignants à remettre en question le modèle et la qualité de l’expérience d’apprentissage qu’il propose. » (Peraya et Peltier, 2020b). Ce point de vue est aussi celui d’Emmanuelle Villiot-Leclercq (2020) : « L’une des caractéristiques majeures de la formation à distance, le fait d’enseigner en différé [2], tel que souligné dans le texte de cadrage, s’est vue affaiblie par l’évolution technologique des systèmes d’enseignement en temps réel. »

Autant le dire clairement : de même qu’il y a une « forme scolaire » ou une « forme universitaire » (Peraya, 2018), il me semble que l’on peut parler d’une « forme de FAD », que l’on distinguera d’autres « systèmes formels d’apprentissage » (Blandin, 2002) tels que l’enseignement en ligne ou la classe virtuelle… La « forme de FAD » dont il est question, jusqu’ici, dans ce débat, privilégie une logique d’enseignement différé, et fait appel à des méthodes d’ingénierie pour atteindre les effets escomptés de cet enseignement en différé : scénarisation, médiatisation, médiation. La construction de dispositifs de cette forme repose sur des professionnels aux compétences particulières, comme l’indique Caron dans sa contribution (2020), en évoquant « le postulat API ». Pour les auteurs des différentes contributions, les autres formes d’enseignement différé mises en œuvre dans l’urgence apparaissent comme des variantes dégradées de la forme canonique qu’une « ingénierie de transition » (Villiot-Leclercq, 2020) permettrait d’approcher ou de reconstituer.

Je suis d’accord sur le fait que la FAD, pour permettre le déroulement des processus d’apprentissage, impose plusieurs contraintes à ses concepteurs, du fait de la mise à distance, dont celle de la scénarisation des apprentissages, celle de la médiatisation, et celle de la médiation et nécessite donc de la part des acteurs de la FAD des compétences spécifiques d’ingénierie et d’accompagnement. Toutefois, ces contraintes ne me paraissent pas réservées à la formation à distance, et je postule qu’il peut y avoir d’autres formes pédagogiques permettant d’apprendre efficacement à distance, comme on le verra dans la suite de ce texte.

L’École d’ingénieurs CESI : une forme spécifique

Créé en 1958 par des entreprises, CESI comprend trois Écoles principales : l’École d’ingénieurs, l’École supérieure de l’alternance, et l’École de formation des managers. Je ne m’intéresserai dans cette contribution qu’à l’École d’ingénieurs, qui représente environ la moitié de l’activité de formation du groupe et un gros quart des effectifs d’apprenants.

Aujourd’hui, l’École d’ingénieurs CESI est une école en cinq ans, avec cycle préparatoire intégré. Répartie sur 25 sites, elle accueille, en 2020, 6575 étudiants, sous statut d’étudiant (26%), d’apprenti (71%) et en formation continue (3%), majoritairement dans trois filières principales (généraliste, BTP, informatique). L’encadrement est assuré par 596 personnes, dont 423 enseignants permanents. L’ensemble des parcours est basé sur des pédagogies actives (par problèmes et/ou par projets), mises en œuvre au niveau national d’une manière synchrone pour chaque filière (Allard, 2018). C’est ce qui fait la spécificité de l’École.

À côté des dispositifs qui font l’objet de cette contribution, l’École d’ingénieurs CESI accueille aussi environ 900 élèves dans douze Mastères Spécialisés (MS) accrédités par la Conférence des grandes écoles, qui ne seront pas évoqués dans cet article.

Le projet pédagogique de l’École est orienté vers la réussite des étudiants, et vise à la fois la formation de la personne et celle de l’ingénieur dans un environnement international. Les pédagogies actives permettent le développement de la personne et de ses « compétences transversales » (Allard, 2018), ce qui est renforcé, tout au long de leur cursus, par un accompagnement individualisé, leur permettant de construire et mettre en œuvre leur projet professionnel, comme fil conducteur de leur formation.

Côté développement de l’ingénieur, les cursus tiennent comptent de l’évolution des compétences requises par les entreprises, traduites en objectifs d’apprentissage. Ces objectifs d’apprentissage sont croisés, dans une matrice, avec les contenus des curricula, et donnent lieu à une évaluation régulière. Les projets sont conçus pour permettre l’acquisition des objectifs d’apprentissage du référentiel. 2 à 4 projets permettent d’atteindre les objectifs d’acquisition de connaissances et de compétences d’un semestre, complétés par d’autres activités telles qu’apports de connaissances, expérimentations, mémoires, périodes en entreprise ou stage, période à l’étranger, initiation à la recherche, cours de langue, séminaires de développement personnel, activités associatives…

Le principe adopté par l’école est la synchronicité des cursus de chaque filière sur tous les campus les proposant. Pour réaliser ce principe, chaque projet est scénarisé selon un type de scénario standardisé (voir sections suivantes), et les ressources nécessaires pour les élèves (présentation du projet, des étapes, des livrables attendus, supports de cours ou d’exercices…) comme pour les enseignants (guide et supports d’animation, planning des phases du projet, corrections d’exercices…) sont médiatisées et mises à disposition sur une plateforme Moodle. Cette plateforme héberge aussi les épreuves d’évaluation des connaissances, des forums permettant aux enseignants d’échanger sur leur expérience d’animation, ou de proposer des améliorations pour la prochaine itération d’un projet… Les élèves doivent déposer sur la plateforme leurs livrables ou des présentations (photos, vidéos…) de leurs livrables si celui-ci est matériel (maquette, prototype fonctionnel…).

La filière informatique et l’Apprentissage par problèmes

La filière informatique a été conçue sur le modèle de l’Apprentissage par problèmes (APP), en s’appuyant sur les travaux et les conseils de collègues de l’UQAM (Mauffette et Poliquin, 2001) et de l’École Polytechnique de Louvain (Raucent et al., 2004). L’école, baptisée alors eXia, a démarré en 2004, avec 160 étudiants sur dix sites en parallèle. Les cursus ont été conçus par les enseignants recrutés spécifiquement, et formés à l’APP par les collègues de Montréal et de Louvain (Allard et Mauffette, 2007). Ils sont constitués d’une succession de situations présentant des problèmes à résoudre, issus de la vie professionnelle du domaine. Chaque situation vise des objectifs d’apprentissage précis et explicites, qui doivent être atteints par tous les participants, même s’ils travaillent en groupe. Elle se décompose en trois grandes étapes (Raucent et al., 2010).

  • Le « Prosit Aller » (pour Problem situation) est une séance collective encadrée par les enseignants jouant le rôle de « tuteurs », d’une durée d’une à deux heures. Cette phase a pour objectif d’analyser et de clarifier le problème présenté par les tuteurs et de construire, par groupe d’une trentaine d’élèves, un plan d’action pour le résoudre.
  • « L’Activité d’études et de recherche (AER) » (durée de 1 à 2 journées) a pour but, d’une part, d’acquérir individuellement les notions identifiées comme nécessaires à la résolution du problème, et d’autre part de proposer et de confronter entre les membres du groupe, les solutions possibles au problème. Pendant cette phase, les élèves sont en autonomie par groupe de six, organisés autour de quatre rôles (animateur, gardien du temps, secrétaire, scribe) ; ils peuvent utiliser les outils et ressources qui leur sont propres, en plus de celles fournies sur Moodle. Les « tuteurs » peuvent être sollicités pour apporter des compléments d’information.
  • Le « Prosit Retour », séance collective encadrée par les « tuteurs », d’une durée d’une à deux heures. Cette phase vise à valider les solutions proposées par les groupes, et à faire le bilan des apprentissages individuels et collectifs.

Ces trois phases constituent les grandes étapes du scénario pédagogique APP. D’autres activités s’intercalent avec ces différentes phases dans l’emploi du temps de la semaine : cours de langue, activités associatives, évaluation de connaissances, travaux dirigés, bilans / retours d’expériences… de sorte qu’il n’y a jamais plus de deux cycles Prosit en une semaine. L’eXia est aujourd’hui intégrée à l’École d’Ingénieurs, et poursuit l’utilisation de cette démarche qui a fait ses preuves.

Les autres filières et l’Apprentissage actif par problèmes et projets

La démarche APP développée à l’eXia a été expérimentée entre 2010 et 2012 dans les cours de physique de première année du cycle généraliste (Blandin, 2010 ; Poutot et al., 2012 ; Blandin et al., 2013 ; Ageorges et al., 2014). Ces expérimentations ont montré les limites d’une mise en œuvre partielle de l’APP, même si elle était intégrée dans plusieurs disciplines. L’École d’ingénieurs a donc décidé de passer à une autre échelle, et de revoir dans un premier temps la totalité des cursus des cycles ingénieurs des filières généralistes et BTP (Allard, 2018), en introduisant une démarche d’apprentissage actif par problèmes et par projets (A2P2). Cette démarche se distingue de l’APP en ce qu’elle est pluridisciplinaire, que chaque projet contient plusieurs itérations, et dure entre 1 et 5 semaines. Comme pour l’APP, les ressources nécessaires aux élèves comme aux tuteurs sont sur une plateforme Moodle, et les livrables produits doivent aussi être rendus sur cette plateforme. Comme pour l’APP, un projet A2P2 comprend trois phases, mais les scénarios sont différents (Milgrom et al., 2014).

  • Une phase de lancement (entre 1 et 2 heures), collective et tutorée. Elle a pour but de créer les groupes projets (6 élèves), de répartir les rôles au sein des groupes (les mêmes que pour l’APP), de clarifier les termes du projet, de discuter le besoin auquel il répond, de définir précisément les livrables.
  • Une phase de réalisation (entre 1 et 5 semaines), décomposée en plusieurs « boucles » ou itérations permettant d’apprendre tout en faisant avancer le projet. Chaque boucle reprend le modèle de « la roue de Deming », en 4 étapes : 1) PLAN : on décide ce que l’on cherche à atteindre, ce que l’on va faire, et comment on va le faire. 2) DO : on fait ce qui a été décidé comme cela a été décidé. 3) CHECK : on examine ce qui a été réalisé à la lumière de ce que l’on souhaitait atteindre. 4) ACT : on consolide ce qui a été atteint sous forme de synthèse si les objectifs ont été atteints, et on passe à la phase suivante ; on recommence si les objectifs n’ont pas été atteints. Cette phase de réalisation se déroule en autonomie, mais chaque étape a ses échéances, qu’il faut respecter, ce qui rythme le processus d’une manière stricte. L’activité des élèves est suivie par le tuteur, sur le même principe que pour l’APP, et il peut à tout moment être sollicité, ou intervenir en fonction de ce qu’il a observé. Comme pour l’APP, les élèves sont libres d’utiliser, dans les phases en autonomie, les outils et les ressources qu’ils souhaitent, en plus de celles préconisées, afin de produire les livrables attendus.
  • Une phase de clôture (1 journée). La phase de clôture permet aux groupes de présenter le travail qu’ils ont réalisé, de faire la preuve de leurs apprentissages, de recevoir une évaluation et un retour sur leur travail, et de faire le bilan de l’expérience du groupe et de chacun.

De la même façon que pour l’APP, d’autres activités s’intercalent dans l’emploi du temps consacré au projet. Cette démarche est mise en œuvre depuis 2015 pour les filières ingénieurs généraliste et BTP (Saveuse et al., 2017), et depuis cette année pour la filière S3E, ainsi que pour les mineures de la deuxième année du cycle préparatoire.

L’ingénierie à l’École d’ingénieurs CESI

La démarche globale d’ingénierie CESI est celle du CDIO [3] dont CESI est un des membres français. L’ingénierie de formation s’appuie sur les branches et les entreprises partenaires pour définir des référentiels de compétences et valider les nouvelles formations d’ingénieurs qui seront proposées à la CTI. Ces référentiels sont ensuite traduits sous forme d’objectifs d’apprentissage et de grilles Rubrics pour leur évaluation sous la responsabilité de la Direction des Études, qui a aussi en charge l’ingénierie pédagogique. Elle est réalisée par un « bureau d’études (BE) » composé d’enseignants experts des différents campus, et d’ingénieurs pédagogiques. Le BE a pour mission la conception des « prosits » ou des « projets » en mode APP ou A2P2, leur scénarisation, leur médiatisation, et leur déploiement en s’appuyant sur des méthodes et des outils standardisés (chaine de production Scenari, plateforme Moodle, gabarits pour les différents types de ressources...). Le BE a aussi en charge la formation des enseignants à l’accompagnement des nouveaux projets ou des projets modifiés, et il est garant de la mise à disposition de la documentation et des outils pédagogiques.

Environ 30% des projets ou des prosits sont modifiés chaque année, pour tenir compte des remontées des campus lors de l’année précédente (modifications mineures), et de l’apparition éventuelle de nouvelles technologies ou de nouveaux process (modifications majeures pouvant aller jusqu’à la reconception complète du prosit ou du projet). La mise en œuvre d’un nouveau projet (ou prosit) a toujours lieu simultanément sur l’ensemble des campus proposant la filière où ce projet est intégré. Elle fait l’objet de Retours d’expérience quotidiens, réunissant à distance tous les enseignants accompagnant le projet, afin de pouvoir réagir en temps réel aux problèmes signalés.

L’ingénierie pédagogique CESI est donc concentrée dans une structure unique, dont les membres travaillent d’une manière collaborative, en réseau, sur tout le territoire. Elle utilise des structures de scénarios standards (APP et A2P2), des outils de réalisation et de déploiement standardisés. Elle est dotée de mécanismes d’ajustement à court terme (retour d’expérience en temps réel lors du déploiement initial) et à moyen terme (capitalisation des retours d’expérience en vue d’une révision annuelle). Elle se poursuit donc dans l’usage.

L’épreuve de la distance au moment du confinement

Les scénarios pour les projets du mois de mars et des mois suivants étaient sur Moodle et les rendez-vous réguliers qu’ils exigent entre les élèves et leurs enseignants – tuteurs étaient déjà programmés. Les ressources existaient et étaient accessibles pour les élèves et les enseignants – tuteurs sur Moodle. Certains outils de communication existaient aussi, dont l’e-mail, chaque élève CESI étant tenu d’avoir son ordinateur portable, et étant doté, dès son inscription, d’une adresse institutionnelle (pnom@viacesi.fr) lui permettant d’accéder aux outils de l’intranet (ENT administratif, plateforme Moodle, outils MS-Office 365…).

La fermeture des écoles avait été anticipée. Le basculement à distance des formations n’a soulevé qu’une seule question, celle de la manière d’assurer les rendez-vous quotidiens et les interactions entre les élèves et les enseignants – tuteurs. Elle a été vite réglée, car tout le monde avait accès à MS-Teams, qui était déjà utilisé dans certaines filières, notamment la filière informatique. Cet outil pouvait servir de classe virtuelle, et, grâce à la fonctionnalité de création de « canaux » au sein d’une même « équipe », permettait de recréer les sous-groupes projets au sein d’un « groupe classe » animé par un enseignant – tuteur.

Après que la Direction des systèmes d’information se fut assurée que le réseau interne pouvait supporter la charge de connexions simultanées, sous la coordination de la Direction des études, chaque enseignant – tuteur a créé son équipe et les canaux des sous-groupes sur MS-Teams, y affectant ses élèves, et a ensuite planifié les rendez-vous quotidiens. La plupart des enseignants, habitués au travail collaboratif à distance, n’ont pas eu de problèmes. Des formations à distance sur l’utilisation de MS-Teams ont été programmées au début du confinement pour renforcer les compétences de ceux qui le souhaitaient.

De ce fait, le lundi 16 mars, tous les élèves avaient reçu un mail leur expliquant le dispositif à distance, et le rappel des rendez-vous avec leurs enseignants – tuteurs pour la semaine sous forme d’item d’agenda contenant le lien vers leur classe virtuelle.

En ce qui concerne les effets de cette réingénierie « d’urgence » (Villiot-Leclercq, 2020), qui a consisté à introduire un outil de médiation numérique pour remplacer les interactions en présentiel, je laisse la parole à trois élèves des trois filières principales, pour donner leur point de vue sur le dispositif à distance. Il s’agit d’extraits d’entretiens menés en visioconférence au cours du mois d’avril 2020. La question à laquelle ils répondent ici était : qu’est-ce qui a changé ou n’a pas changé avec la mise à distance ? Les relances de l’enquêteur sont omises.

« Est-ce que c’est parce qu’on l’a commencé en présentiel le projet et que du coup on est restés sur la structure tout le long ou c’est parce qu’elle se prêtait bien à la distance ? Je ne sais pas. Mais la structure du projet, euh… que ce soit en présentiel ou à distance, n’a pas changé. C’est-à-dire qu’on avait la phase de planification de la boucle. On avait la phase de Do, donc la phase où on travaillait sur la boucle. Et ensuite, on avait notre phase de Check avec les profs. Et la phase d’Act où on modifiait en fait. Donc on va dire la forme globale n’a pas changé, les points principaux n’ont pas changé. […] On a toujours délivré sur Moodle, etc. En fait, on a toujours eu le… les cours ont toujours été numériques, donc en soi ça n’a pas été un souci. […] Mais sinon tout ce qui est rendu, tout ce qui est le fond de la… du CESI, ça reste le même. On rend toujours sur Moodle, on communique toujours par mail avec les profs… même si avant on communiquait aussi en présentiel, mais on communique toujours aussi par mail avec les profs. On continue à s’échanger par des moyens numériques, les Drive, etc., euh… le travail entre nous au sein du groupe, etc. Donc ça, ça n’a pas changé ça. » (Apprenant A02, FISA BTP, Montpellier).

« Les cours sur Moodle, que ça soit à la maison ou en cours, c’est les mêmes, donc ça pour le coup ça se conserve. On utilisait aussi Teams, pas forcément pour s’appeler, mais pour mettre tous nos dossiers et tous nos fichiers partagés dessus. Du coup, ça aussi ça ne changeait pas. Enfin après, d’autres éléments, ce n’est pas des éléments physiques, mais par exemple tout ce qui est plan, etc., planification et traitement du projet, ils sont plus ou moins équivalents sur place qu’en télétravail. Par exemple, la planification, on fait un point pour planifier ce qu’on va faire. Bon, évidemment, en prenant en compte le fait qu’on soit en confinement. Et ensuite, on réalise le projet… on réalise le projet comme si on était en cours. Hormis le fait que, comme je l’ai expliqué au début, il y a juste l’environnement qui change et voilà. Et je pense c’est l’un des facteurs qui fait que… enfin c’est le facteur déterminant pour moi qui fait que c’est différent de travailler… enfin différent de travailler en cours ou à la maison. Mais sinon, sur le principe, c’est un peu… la pédagogie fait qu’elle peut être appliquée à la maison aussi. La plupart du temps, la pédagogie fait en sorte qu’en plus des cours en classe, on a pas mal de cours en autonomie. Enfin « de cours »… on a pas mal de temps en autonomie pour réaliser les projets. Et du coup je suppose que le fait qu’on soit souvent en autonomie, c’est plus facile pour nous de pouvoir travailler à la… enfin plus facile pour nous de travailler à la maison dans le sens où on est en autonomie. […] Sachant que vu qu’on n’est pas sur place, on peut travailler par exemple… enfin comment dire… au-delà des horaires du CESI, on peut s’arranger comme on veut vu qu’on est en autonomie. […] Donc c’est pour ça, la pédagogie CESI est plus… comment dire, serait plus apte pour être appliquée au télétravail. » (Apprenant A11, FISA Généraliste, Nice).

« J’ai pas été étonné à ces… enfin, rassuré d’abord, et puis ensuite pas très étonné puisque par exemple, notamment sur les outils qu’on utilise, le fait de continuer l’ensemble des Prosit et de ces choses-là… via Teams, finalement dans le fonctionnement ça change pas énormément. La seule chose c’est qu’on est à distance du coup et qu’on se connecte via cet outil-là, mais c’est déjà quelque chose qu’on utilisait, pas forcément les outils de visioconférence, mais les outils de partage de documents, de channels de conversation… tout ça on l’utilisait déjà, en centre. Donc c’était la suite logique de se dire « bah voilà, on va continuer comme ça » et… voilà. Après, c’est plus que de la logistique. […] le travail de groupe puisque ça se fait toujours, ça, ça ne change pas. La proximité aussi avec l’équipe pédagogique, là aussi on a toujours possibilité de les contacter facilement. La partie « être acteur de son apprentissage », c’est-à-dire d’aller faire ses recherches soi-même, la partie un peu travail en autonomie, ça, ça change pas non plus puisque là aussi on l’a. Et à la limite, là-dessus je dirais même que c’est un peu plus… enfin, en tout cas pour ma part, je suis un peu plus efficace sur cette partie-là. Le fait d’être confiné, du coup on est moins aussi… comment, moins distrait que quand on est en présentiel par exemple dans une promo de 30. Donc du coup on a un espace de travail un peu plus privilégié, un peu plus calme. Et du coup, ouais, je suis un peu plus efficace sur les parties de temps de travail en autonomie. […] Je réfléchis, mais… non, même la méthode… la méthodologie qu’on utilise… en Prosit, ou même l’organisation des Prosit n’a pas vraiment changé. C’est toujours la même chose, et on arrive à maintenir le même mode de fonctionnement. La seule chose c’est que vraiment on est… on ne se voit plus directement quoi. Mais sinon, ça a pas beaucoup changé. » (Apprenant A14, FISE Informatique, Arras).

Ce que ces pédagogies font à l’ingénierie et aux modèles

Les élèves le disent clairement : à part le fait d’être chez eux et de ne plus se voir en face à face, « ça n’a pas beaucoup changé ». Ce qu’ils constatent en disant cela, c’est que le dispositif pédagogique reste le même à distance qu’en présentiel, malgré quelques limites du « être ensemble à distance », et notamment la difficulté de percevoir la communication non verbale, ce qui est aussi noté par Bonfils (2007 ; 2020). Et que hormis le fait de ne plus être sur le campus CESI avec leurs camarades, ils peuvent continuer leur formation sans changer les habitudes de travail qu’ils ont acquises. Autrement dit, les dispositifs, tels qu’ils ont été conçus, sont restés les mêmes malgré le changement de modalité.

Et pourtant, les pédagogies actives telles que mises en œuvre à CESI n’ont pas été conçues dans l’idée d’être pratiquées à distance. La situation inédite provoquée par la Covid-19 a montré qu’elles pouvaient l’être avec succès, simplement en activant l’utilisation de quelques fonctionnalités existantes de l’outil MS-Teams®, qui n’étaient pas utilisées auparavant.

Ces pédagogies sont loin de la forme canonique de la formation à distance, « l’enseignement différé », puisqu’elles privilégient le processus « apprendre » au processus « enseigner ».

Qu’est-ce qui fait que ces dispositifs (APP ou A2P2) sont, de fait, « nativement » multimodaux ? Il me semble que la réponse réside dans leur modèle sous-jacent. A la question posée par Peraya et Peltier « Les changements observés touchent-ils à l’ingénierie pédagogique elle-même ou aux modèles de design, plus sensibles au contexte (approches pédagogiques, technologies utilisées, etc.) ? » (2020a), je peux répondre maintenant que si une nouvelle « forme » de formation à distance s’est révélée opérationnelle, cela tient donc à son modèle, que je vais expliciter ci-dessous. J’utilise à dessein le terme de « forme », que j’ai longuement discuté (Blandin, 2002) et qui, pour moi, dans le contexte de la formation, « se matérialise à la fois comme configuration spatiale, comme organisation d’activités instrumentées dans le temps, comme relations du sujet apprenant avec d’autres acteurs ainsi qu’avec des objets » (Blandin, 2002, p. 204). Le modèle dont il sera question prend en compte ces différentes dimensions.

Un modèle structurant, partiellement ouvert, insensible à la modalité

Les dispositifs APP et A2P2 partagent de nombreuses caractéristiques dans chacune des dimensions de la « forme ».

La configuration spatiale commune est celle appelée « SCALE-UP » (Beichner et Saul, 2003 ; Allard, 2018), du nom du projet qui l’a conçue, à savoir des salles contenant de petites unités de travail en groupe projet, autour d’une table équipée d’un écran commun au groupe, sur lequel chaque membre du groupe peut connecter son ordinateur, et disposant d’autres outils, numériques ou non (paperboard, par exemple). A CESI, les groupes sont généralement constitués de 6 élèves ; 5 tables, soit 30 élèves, sont supervisées par un binôme de tuteurs. Elles peuvent être regroupées dans un grand espace, ou au contraire isolées dans une salle… Cette configuration peut être aisément reproduite dans un espace virtuel comme MS-Teams® – une équipe et 5 sous-groupes (canaux) – qui offre de nombreuses fonctionnalités de communication, de partage d’écran, de travail collaboratif sur des documents, etc.

Les activités instrumentées sont organisées dans le temps et structurées par les étapes et sous-étapes de la démarche. Le dispositif APP alterne une phase collective tutorée (Prosit Aller), une phase de travail en autonomie pour chaque groupe (AER) avec des interventions possibles du tuteur, une phase collective tutorée de restitution (Prosit Retour). Le dispositif A2P2 comporte une phase collective tutorée de lancement du projet (tout le groupe), une phase de réalisation qui comporte plusieurs boucles PDCA (réalisée en équipes), une phase de restitution collective tutorée (tout le groupe). Pendant la phase de réalisation, chaque boucle PDCA comprend une étape PLAN ou le tuteur intervient pour s’assurer que le travail à réaliser est clair, que les rôles sont définis, que les apprentissages attendus sont identifiés, que les livrables sont définis. L’étape DO est réalisée par le groupe en autonomie. Le tuteur doit toutefois s’assurer au moins une fois par jour que le travail avance. Dans l’étape CHECK, le tuteur intervient pour s’assurer que le travail réalisé est correctement évalué, qu’il atteint les objectifs fixés pour la boucle… Dans l’étape ACT, le tuteur intervient aussi pour s’assurer notamment de la pertinence des modifications entreprises. Le travail des apprenants alterne donc des séquences en autonomie et des rendez-vous avec les tuteurs, pour une part définis à l’avance, qui rythment la journée, de même que les rendez-vous pour les autres activités. Ces rythmes sont inchangés à distance… Les rendez-vous se déroulent alors en visioconférence ou audioconférence avec partage d’écran et de documents. Pendant les périodes en autonomie, les apprenants sont libres d’utiliser les outils qu’ils souhaitent. Et ils ne s’en privent pas… Pour échanger entre eux, les informaticiens utilisent souvent Discord (outil privilégié des communautés de joueurs en ligne), mais ils ne sont pas les seuls. Les généralistes et le BTP utilisent préférentiellement Messenger ou WhatsApp. Tous utilisent aussi MS-Teams, où ils créent leurs propres groupes, ainsi que Google Drive ou Dropbox pour partager des documents. Au final, on arrive à une structuration temporelle des activités qui s’appuie, en présentiel comme en distanciel, sur une palette d’outils à la fois institutionnels et propres aux groupes d’apprenants, qui composent un système instrumental (Bourmaud, 2006) complexe, mais dont les usages sont bien définis : l’ENT et le mail @viacesi.fr servent aux échanges administratifs et avec les enseignants – tuteurs ; la plateforme Moodle héberge les ressources, les contrôles de connaissances, et permet de rendre les travaux ; MS-Teams organise les échanges à distance ; les outils personnels sont utilisés pour les échanges entre pairs et pour organiser le travail collaboratif pendant les phases d’autonomie. Le prescriptif et le non prescriptif sont donc ici clairement articulés, et cela est possible parce que les périodes de travail en autonomie sont prévues et clairement délimitées.

Les relations des apprenants avec les différents acteurs sont très codifiées et s’appuient aussi sur des outils bien identifiés. En présentiel, les échanges avec les enseignants, à propos des projets ou d’autres composants de la formation se déroulent d’une manière informelle, soit directement dans les salles SCALE-UP, soit dans les couloirs ou le bureau de l’enseignant. Dans le format distanciel, c’est le mail institutionnel qui est privilégié en dehors des échanges programmés via MS-Teams, qui permet des interactions en temps réel, en audio ou en visioconférence. Pour les échanges entre apprenants, il faut distinguer d’un côté les échanges fonctionnels au sein du groupe projet des échanges avec les autres camarades de la promotion (et plus rarement, des échanges avec d’autres apprenants du campus). Au sein du groupe projet, ce sont les échanges de vive voix qui sont privilégiés en présentiel. Toutefois, les documents de travail sont partagés via un outil tel que Google Drive ou Dropbox ou équivalent. Dans une configuration distancielle, chaque groupe choisit les outils de communication qui lui conviennent : des outils institutionnels comme MS-Teams, ou des outils personnels comme Discord, Messenger ou WhatsApp. Ils utilisent parfois les deux en parallèle en fonction de la nature des échanges. Pour les échanges avec les autres camarades de promotion ou du campus, les rencontres en présentiel dans les lieux ouverts du campus (cafeteria, espaces extérieurs…) sont privilégiées, en début de journée, lors des pauses ou en fin de journée. Mais de nombreux échanges ont aussi lieu sur des réseaux numériques tels que ceux cités précédemment, même lorsque les élèves sont sur le campus. Dans la configuration distancielle, ce sont les réseaux numériques existants qui sont privilégiés. Fréquemment, on trouve des communautés au niveau d’une promotion et au niveau du campus, qui s’appuient (ou pas) sur une même plateforme. Une partie importante des apprenants étant sous statut d’apprenti, il existe une troisième catégorie d’acteurs avec lesquels les apprenants sont en relation, les salariés de leurs entreprises, et notamment leurs tuteurs. En configuration normale, les apprenants sont dans les locaux de leur entreprise pendant les périodes d’alternance, et les relations avec les différents acteurs de l’entreprise se déroulent selon les règles formelles et informelles de l’entreprise, et avec les outils de l’entreprise. Il y a très peu d’échanges avec l’entreprise pendant les périodes sur le campus. La crise sanitaire de la Covid-19 a modifié cela, que les apprentis soient en télétravail ou en chômage technique. Les relations avec les acteurs de l’entreprise ont alors lieu par mail et par téléphone.

En résumé, dans les dispositifs APP et A2P2, les espaces réels sont structurés pour permettre le travail en groupe et en sous-groupe, et cette structure peut aisément se transposer dans un espace virtuel ; le déroulement des actions est organisé dans le temps sous forme d’alternance entre des périodes encadrées et des périodes en autonomie, qui restent les mêmes en présentiel et en distanciel ; les relations de l’apprenant avec les différents acteurs sont codifiées et instrumentées d’une manière spécifique, et des compléments numériques aux échanges en présentiel sont déjà en place, qui peuvent prendre le relais en cas de nécessité. La forme des dispositifs est donc bien indépendante de la modalité, et se conserve dans le passage du présentiel au distanciel.

Une ingénierie continuée dans l’usage

Au-delà de l’indépendance du modèle au regard de la modalité, un autre élément a, semble-t-il, contribué à la réussite du plan de continuité de l’activité : l’implication de tous les enseignants dans l’ingénierie. Ceux-ci sont, en effet, habitués, à chaque lancement d’un nouveau prosit ou d’un nouveau projet, à chaque révision d’un prosit ou d’un projet existant, à participer à distance au Retour d’Expérience institutionnalisé par la Direction des études, et, d’une manière générale à signaler, dans le cadre du système qualité, les anomalies qu’ils peuvent détecter lors de la mise en œuvre du prosit ou du projet dans leur groupe (faute d’orthographe, consigne peu claire, ressource difficile à télécharger pour certains élèves…). Chaque enseignant est ainsi associé, de fait, au processus d’ingénierie, qu’il ait ou non participé à la conception du prosit ou du projet, que celui-ci soit ou non dans son champ d’expertise. Grâce à ces pratiques, l’ingénierie se poursuit dans l’usage, et n’est pas réservée aux membres du bureau d’études.

Au moment de la crise sanitaire et de la décision de basculer à distance, il a été demandé à chaque enseignant de contribuer à la reconfiguration des dispositifs par la transposition de ses salles SCALE-UP dans l’espace virtuel de MS-Teams®, et par l’envoi d’invitations dans ces salles virtuelles pour les rendez-vous déjà programmés avec ses élèves. Il leur a été aussi demandé de participer aux réunions de Retour d’Expérience, afin de s’assurer du bon fonctionnement des dispositifs ainsi reconfigurés. « L’ingénierie de l’urgence », dans ce cas, apparaît comme une œuvre collective organisée en continuité dans l’usage, et non un bricolage (Villiot-Leclercq, 2020).

Conclusion

Les pédagogies actives, jusqu’ici, n’étaient pas parties prenantes dans le débat de la mise à distance. L’expérience de CESI, lors de la crise sanitaire, a mis en lumière le fait que ces pédagogies, avec les technologies numériques actuellement disponibles, fonctionnent aussi bien à distance qu’en présentiel, du fait de leur forme très structurée dans l’espace, dans le temps, et dans les modes d’interaction.

L’ingénierie pédagogique mobilisée pour les concevoir est très proche de celle nécessaire à la conception des dispositifs de formation à distance, et les outils utilisés à CESI comme support de ces pédagogies sont aussi utilisés ailleurs comme supports de formation à distance. Et pourtant, la forme résultant est différente. C’est donc bien le modèle qui est ici en cause.

Le cas présenté interroge aussi quelques caractéristiques de la formation à distance traditionnelle : par exemple, son modèle implicite se référant à « l’enseignement différé », car les dispositifs présentés ici privilégient le processus « apprendre » au processus « enseigner » et fonctionnent néanmoins à distance. Il interroge aussi les théories de la formation à distance : Annie Jézégou soutient que les conditions favorables à l’apprentissage autodirigé dans le cadre de la formation à distance sont un faible contrôle pédagogique et un fort degré d’ouverture (2008). Or l’exemple étudié est un dispositif avec un faible degré d’ouverture et un fort contrôle pédagogique, et ce dispositif non seulement permet, mais semble favoriser l’apprentissage autodirigé lorsqu’il est mis à distance, comme l’indique l’apprenant A14. Sont aussi questionné le rôle et le statut des tuteurs, qui dans ces dispositifs de pédagogies actives (Raucent et al., 2010 ; Milgrom et al., 2014), sont différent de ceux des tuteurs en formation à distance traditionnelle (Depover et al., 2011).

Pour finir, Isabelle Savard, dans ce numéro, évoque plusieurs points qui lui paraissent de nature à faire évoluer les « pratiques en technologies éducatives et en formation à distance ». J’en retiendra trois : la « transformation des rôles […] de l’enseignant transmetteur de savoirs à l’enseignant guide ou mentor, qui accompagne l’étudiant actif dans ses apprentissages » ; le développement de l’autonomie de l’apprenant, qui « de nos jours, […] réfère souvent à la capacité de l’apprenant à prendre part à la planification de son parcours d’apprentissage » et l’ingénierie collaborative, qu’elle considère comme « un défi pour la conception de cours à distance » dans le futur (Savard, 2020). Les pédagogies actives et l’ingénierie collaborative telles que pratiquées à CESI constitueraient-elle donc un modèle d’avenir de la formation à distance ? Ces quelques points devraient alimenter le débat.

Bibliographie

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Notes

Articles du même auteur

Ethnographie du jeu vidéo en ligne : plaidoyer pour une position d’« insider » [Texte intégral]
À propos de « L’expérience virtuelle. Jouer, vivre, apprendre dans un jeu vidéo » par Vincent Berry, Presses universitaires de Rennes, 2012.
Paru dans Distances et médiations des savoirs, 3 | 2012-2013

Licence : CC by-sa

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