Innovation Pédagogique et transition
Institut Mines-Telecom

Une initiative de l'Institut Mines-Télécom avec un réseau de partenaires

Sobriété numérique et acteurs de l’éducation : analyse croisée de leur sentiment de compétence et de leurs usages déclarés

Un article repris de http://journals.openedition.org/dms/9259

Selon l’Ademe, l’empreinte numérique contribue au changement climatique. L’éducation joue un rôle essentiel dans la promotion de la sobriété numérique. En 2022, une enquête a été menée afin de recueillir les perceptions de compétence ainsi que les usages auto-déclarés des enseignants en ce qui concerne leur maturité numérique. Les résultats révèlent leur manque d’expérience dans ce domaine, même s’ils reconnaissent généralement l’impact environnemental des technologies. Ils ne se sentent pas capables d’adopter des pratiques réflexives, comme l’utilisation de l’analyse du cycle de vie ou l’application de mécanismes écoresponsables lors des achats d’équipements. De plus, ils estiment ne pas être aptes à exercer des compétences numériques écoresponsables comme la collaboration en ligne ou la création de contenu numérique écoconçu. Bien que les participants aient des comportements écoresponsables en matière de consommation, d’autres domaines tels que la gestion de l’environnement, la navigation et la communication en ligne présentent des résultats plus mitigés. Ces lacunes peuvent être attribuées à un faible sentiment de compétence et à un manque de connaissances techniques. Ces constatations soulignent l’importance de la formation des professionnels de l’éducation. C’est pourquoi, sur la base de nos résultats, nous proposons des recommandations, notamment concernant la sensibilisation à la sobriété numérique et l’acquisition de compétences écoresponsables.

Un article de : Sarah Descamps, Karim Boumazguida, Gaëtan Temperman et Bruno De Lièvre.

Un article repris de la revue Distances et médiations des savoirs, une publication sous licence CC by sa

Un article de :
Sarah Descamps, Karim Boumazguida, Gaëtan Temperman et Bruno De Lièvre

Introduction

L’accélération de la crise climatique et la numérisation de la société dans son ensemble ont accru l’urgence de sensibiliser les citoyens aux impacts environnementaux des technologies numériques et de développer des pratiques respectueuses de l’environnement (Amichaud, 2021 ; Bordage, 2019 ; 2021 ; Boulet et al., 2020 ; Courboulay, 2021 ; Efoui-Hess, 2019 ; Vidalenc, 2019). Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) (2021), l’empreinte numérique représente 4 % des gaz à effet de serre mondiale. Pour un pays comme la France, 2,5 % de l’empreinte carbone nationale est liée au numérique et 10 % de la consommation électrique alimente l’utilisation des technologies (Ademe, 2022).

À la lumière de ces différents constats et conscients que l’éducation est un catalyseur de changement durable, cette contribution vise à présenter un état des lieux du sentiment de compétence et des usages déclarés en matière de sobriété numérique des acteurs de l’éducation afin de rédiger des recommandations pour la formation continue. Ces résultats sont issus d’une enquête réalisée en 2022 qui avait pour objectif de récolter des données concernant la maturité à la sobriété numérique perçue par les citoyens. À partir de ces données, nous avons extrait les informations concernant les sujets dont la profession était liée à l’enseignement.

Revue de la littérature

La sobriété numérique et sa place dans l’éducation

Outre l’enjeu sociétal de déployer la sobriété numérique dans toutes les sphères de notre société, la protection de l’environnement est une compétence numérique. En effet, elle est présente dans le DigComp (ou Digital Competence Framework for Citizens) qui est le cadre de référence des compétences numériques de la Commission européenne et qui recense 21 compétences numériques (Carretero et al., 2017). Ce cadre a servi d’inspiration pour d’autres référentiels tels que le Cadre de référence des compétences numériques (CRCN) en France ou le volet numérique du référentiel de Formation manuelle, technique, technologique et numérique (FMTTN) en Belgique du côté francophone. Ainsi, le DigComp indique que tous les citoyens devraient être « conscients de l’impact environnemental des technologies numériques et de leur utilisation » (§ 2). Comme pour le développement de toutes les autres compétences numériques (Brotcorne et Valenduc, 2009), la formation professionnelle tout au long de la vie a donc un rôle à jouer dans la sensibilisation à la sobriété numérique.

Avant toute chose, il semble essentiel de définir la sobriété numérique. En 2008, Bordage définit la sobriété numérique comme une approche de conception de services numériques plus sobres et des usages quotidiens modérés ayant pour objectif de réduire l’empreinte écologique des technologies de l’information et de la communication (TIC). En 2019, ce même auteur complète cette définition en y intégrant les dimensions de la prise de conscience des répercussions de nos habitudes quotidiennes, en adoptant une perspective empreinte de critique.

La sobriété numérique s’inscrit dans la thématique plus large qu’est le numérique responsable (Descamps et al., 2022a) qui prend en compte, en plus de l’environnement, les enjeux sociaux et écologiques. Il s’agit donc de mettre en œuvre un numérique plus solidaire et inclusif (Courboulay, 2021).

Afin que l’éducation au numérique soit en adéquation avec les impératifs du xxie siècle, tels que les transitions numériques et climatiques, il nous apparaît essentiel de considérer les enjeux environnementaux. Ainsi, diverses formations et outils pédagogiques ont été développés pour sensibiliser les citoyens aux impacts environnementaux des technologies. Ces ressources éducatives s’adressent à des publics diversifiés s’étendant du niveau primaire au secondaire jusqu’à l’adulte. Parmi ces ressources, nous pouvons relever la mallette pédagogique Conscience Numérique Durable [1] ou la Fresque du Numérique [2]. Il existe aussi des MOOC (Massive Open Online Course) abordant différentes composantes de la sobriété numérique comme les MOOC « Numérique Responsable » [3] de l’Institut du numérique responsable (INR), « Impacts environnementaux du numérique » [4] sur la plateforme France Université Numérique (FUN), « Eco-concevoir demain [5]5 (Perrot Bernardet et Parry, 2017) ou encore « Comment faire mieux avec moins, penser autrement avec la low-tech ? » [6]. Malgré l’émergence de certaines ressources pédagogiques, les offres de formation spécifiquement dédiées aux enseignants restent très rares.

Le sentiment de compétences relatives à la sobriété numérique

Selon le rapport de Digital Wallonia (2021), la maturité numérique s’évalue en combinant à parts égales, le sentiment de compétence et les usages. Elle se définit comme le niveau de compétence dans l’utilisation et la compréhension des TIC. Le sentiment de compétence est la perception qu’à un individu de sa propre compétence et de son efficacité personnelle (Cosnefroy, 2007). Le sentiment de compétence joue un rôle sur la motivation, l’intérêt et l’engagement des apprenants (Bandura, 1995). De plus, le sentiment d’efficacité lié à la capacité d’agir et « est également présent dans la littérature en éducation à l’environnement » (Morin et al., 2019, § 22). Étant donnée notre volonté de rédiger des recommandations de formation pour les enseignants, il s’agit, particulièrement, d’une variable à prendre en compte.

Comme stipulé, l’aptitude à protéger l’environnement est l’une des compétences numériques inscrites dans le DigComp (Carretero et al., 2017). Mannila et ses collègues (2018) ont étudié le sentiment de compétence des enseignants par rapport à l’ensemble des compétences numériques. Dans cette étude, les participants devaient se positionner sur une échelle de Likert répartie sur 7 points. Les enseignants se sentaient moyennement (moyenne de 4 sur 7) capables d’estimer l’impact de leur utilisation des équipements numériques sur l’environnement.

Pour évaluer le sentiment d’auto-efficacité de cette compétence numérique qu’est la protection de l’environnement, il est nécessaire de la décomposer en sous-compétences, en comportements ou en tâches particulières. Boulet et ses collègues (2020) ont défini un référentiel au sujet du numérique écoresponsable à destination des enseignants de la filière informatique.

Dans ce panorama (Boulet et al., 2020), on retrouve un sous-domaine relatif à la compréhension des impacts environnementaux du numérique. Ainsi, il s’agit de comprendre les impacts directs (durant le cycle de vie, par type de matériel, par type d’usage), mais également les impacts indirects comme ceux sur la société ou la santé. Cette compréhension se reflète par une prise de conscience. Toujours dans ce référentiel, il est question de mesurer et d’évaluer l’impact environnemental d’un usage numérique. Pour ce faire, il est proposé d’utiliser la théorie de l’analyse du cycle de vie (ACV). L’analyse du cycle de vie est l’outil le plus complet et visuel pour évaluer l’impact des technologies sur toutes les composantes de notre société (écologique, social, santé, etc.) (Courboulay, 2021). « L’analyse de l’impact de nos modes de vie numériques » (Descamps et al., 2022a, § 25) est aussi l’une des trois composantes de la littératie de la sobriété numérique.

Toujours selon le Référentiel de connaissances pour un numérique écoresponsable (Boulet et al., 2020), il apparaît prépondérant de former les apprenants à la compréhension des normes, des labels et des réglementations liés au numérique responsable. Ce référentiel insiste également sur la nécessité pour eux d’être capables d’appliquer des mécanismes écoresponsables lors de l’achat d’outil technologique. Le dernier sous-domaine de ce référentiel (Boulet et al., 2020) encourage à l’adoption d’un numérique écoresponsable. Le numérique peut aussi permettre une meilleure compréhension du monde, une diminution des déplacements, un contrôle des ressources ou encore des bénéfices socio-environnementaux. Dans notre modèle de littératie de la sobriété numérique (Descamps et al., 2022a), cet aspect est également mis en avant. Dans ce modèle, nous mettons en évidence qu’il s’agit aussi de rechercher et d’identifier des solutions numériques pour protéger l’environnement, tout en exerçant son esprit critique et la nuance afin d’éviter le solutionnisme technologique (Abrassart et al., 2020 ; Lemetin, 2023).

Le panorama de connaissances pour un numérique écoresponsable met en évidence la capacité d’agir comme un élément à développer chez les apprenants (Boulet et al., 2020). La troisième dimension de la littératie de la sobriété numérique (Descamps et al., 2022a) consiste à utiliser le numérique de manière plus responsable notamment en appliquant la règle des 5R (Refuser – Réduire – Réparer – Réutiliser – Recycler). Pour s’éduquer à la sobriété numérique, il convient d’être capable d’agir et de développer des actions collectives pour réduire l’impact des technologies. Le cadre de compétences d’éducation relatives à l’environnement et au développement durable de la Fédération Wallonie Bruxelles (2013) met également en avant cet aspect. En effet, l’une des compétences demande de « développer et mettre en œuvre des projets environnementaux » (p. 12). Il y est conseillé de développer la capacité de « se motiver et motiver les autres à agir dans la perspective d’un développement respectueux de l’environnement » (p. 12).

Selon Descamps et al. (2022a) et Carretero et al. (2017), une éducation à la sobriété numérique se déploie aussi dans l’exercice des axes des compétences numériques du DigComp.

  • Pour l’axe Information and data literacy, il s’agit de former les individus à la recherche, l’évaluation et la gestion des informations, des données et des contenus numériques. Pour un numérique écoresponsable, il convient de rechercher des informations en minimisant son impact sur l’environnement, de gérer et d’organiser des espaces numériques de manière écoresponsable.

-* L’axe Communication and collaboration encourage les citoyens à communiquer et collaborer en ligne de manière plus responsable.

  • L’axe Digital content creation ambitionne de sensibiliser les citoyens à l’application des principes d’écoconception lors de création de contenu multimédia.
  • L’axe Safety concerne la protection des espaces numériques et des données. Ce sont aussi des compétences à développer pour un numérique écoresponsable. En effet, en protégeant et résolvant des problèmes techniques, il est possible de conserver son matériel plus longtemps.
  • L’axe Problem solving comprend l’identification des besoins et des réponses technologiques. Adapté à la sobriété numérique, il s’agit d’identifier des outils numériques plus respectueux de l’environnement. Cet axe de compétence demande d’utiliser créativement les technologies. Il est question d’utiliser de manière responsable les technologies afin de réduire son impact sur l’environnement.

Les usages

Comme stipulé pour analyser la maturité numérique (Digital Wallonia, 2021), les usages du numérique sont aussi à prendre en compte. De plus, comme le met en avant Bosler (2023), les pratiques individuelles sont en lien avec la médiation des savoirs en EMI. Elles sont donc à prendre en compte pour comprendre le passage de ses usages à des pratiques collectives. C’est pourquoi, grâce à une revue de la littérature (Ferreboeuf, 2018 ; Ademe, 2021 ; Ademe, 2022 ; Bordage, 2019, Bordage et Chatard, 2019 ; Efoui-Hess, 2019 ; Bordage, 2021 ; Courboulay, 2021), nous avons identifié les gestes qui permettent de réduire son empreinte numérique. Les usages écoresponsables s’articulent autour de quatre catégories (Descamps, Temperman et De Lièvre, 2022b) : la navigation en ligne, la communication en ligne, la gestion d’un environnement numérique et la consommation.

Les usages relatifs à la navigation en ligne

L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (2021 ; 2022) donne des clés pour agir. Il est possible de mettre en place des actions lors des recherches sur le web en allant au plus court (Ademe, 2021). L’utilisation des favoris et l’enregistrement des sites consultés régulièrement permettent de réduire son impact environnemental. Il est aussi possible d’adopter des comportements plus sobres en utilisant un moteur de recherche plus responsable, en ciblant sa recherche par l’utilisation de mots-clés pertinents ou encore en écrivant l’URL complète du site dans la barre du navigateur.

Le rapport de The Shift Project sur l’analyse de l’impact de l’usage des vidéos en ligne (Efoui-Hess, 2019) liste des recommandations précises. En effet, ce rapport met en avant que 80 % des flux de données en ligne sont consacrés aux vidéos. En 2019, le flux de vidéos en ligne engendrait 306 millions de tonnes de CO2 ce qui correspond à 20 % de l’empreinte numérique. Pour réduire cet impact, il existe différents comportements à adopter : limiter son usage du streaming, réduire la résolution des vidéos lors du visionnage ou encore désactiver la lecture automatique des vidéos.

L’Ademe (2021) propose des comportements probants à adopter pour réduire les consommations électriques du numérique par exemple en limitant son nombre d’onglets ouverts ou en évitant de charger des pages inutiles pour réduire son impact environnemental. Enfin, toujours pour réduire son empreinte numérique lors de la navigation en ligne, il est aussi possible d’utiliser un bloqueur de publicité (Bordage, 2021).

Les usages relatifs à la communication

Selon l’Ademe (2021), il est possible de réduire son impact sur l’environnement en maîtrisant les flux et le stockage des données. Des actions peuvent être menées lors de la communication en ligne pour une meilleure gestion des mails : réduire son nombre de mails envoyés pour réduire son flux de données ; vider sa boîte mail pour supprimer les données inutiles stockées dans les centres de données, se désabonner aux newsletters pour éviter un flux de mail inutile ou encore compresser les pièces jointes lors de l’envoi d’un mail afin de réduire sa taille. Dans son rapport, The Shift Project (Ferreboeuf, 2018) conseille de « favoriser l’échange de documents bureautiques via une plateforme partagée » (p. 39). Il existe aussi des espaces de dépôts temporaires à privilégier lors de l’envoi de pièces jointes.

La communication en ligne peut également se faire sous la forme de flux vidéo comme la vidéoconférence. The Shift Project (Efoui-Hess, 2019) recommande de diminuer notre impact lié à ce flux de données, par exemple en allumer sa caméra uniquement quand c’est nécessaire lors des visioconférences. Pour réduire l’impact des flux vidéo, il est possible de mettre en place des principes d’écoconception comme en réalisant des capsules vidéo en basse définition afin de réduire le flux de données lors du visionnage. Lors de la communication en ligne et la création de contenu, il est possible de mettre en place d’autres principes d’écoconception (Bordage et al., 2019), par exemple, en optimisant la qualité des visuels produits ou encore en évitant de surcharger les créations numériques. Enfin, il est recommandé de communiquer et sensibiliser les autres au sujet des impacts environnementaux du numérique (Bordage, 2021).

Les usages relatifs à la gestion d’un environnement

Pour une gestion plus écoresponsable des environnements numériques, l’Ademe (2019a) propose plusieurs conseils. Tout d’abord, pour limiter les consommations électriques, il est possible d’utiliser le mode économie d’énergie de son appareil et de réduire la luminosité.

Des actions peuvent être menées au niveau du stockage des données (Ademe, 2019a). Au niveau de la gestion d’un environnement, l’utilisateur peut supprimer les logiciels non désirés installés sur son appareil afin de le garder plus longtemps ou encore trier ses données personnelles afin de réduire les données consommant de l’énergie. Cette agence préconise aussi de préférer le stockage local au cloud. Pour ce faire, il est conseillé de réfléchir à la nécessité du stockage sur le cloud en stockant uniquement les éléments utiles afin de réduire les données stockées dans les centres de données. Un autre usage probant est le stockage des documents sur un disque dur externe afin de ne pas dégrader la mémoire de nos appareils.

De plus, d’autres comportements sont à adopter au niveau du type de connexion (Bordage, 2021 ; Ferreboeuf, 2018). Il est recommandé de privilégier la connexion Internet filaire de type Ethernet par rapport au Wifi et de privilégier le Wifi aux données mobiles. Bordage (2021) conseille aussi d’éviter les téléchargements inutiles et de paramétrer ses appareils pour contrôler et supprimer les consommations cachées des applications.

Les usages relatifs à la consommation numérique

Pour des comportements écoresponsables lors de la consommation numérique, Courboulay (2021) propose de se servir de la règle des 5R (Refuser – Réduire – Réparer – Réutiliser – Recycler). Ainsi, il conviendra de refuser l’achat de matériel et de service numérique pour réduire son empreinte. Pour une modération, l’Ademe (2019a) préconise de s’équiper léger et d’acheter du matériel adapté aux besoins. Pour ce faire, le consommateur peut limiter le nombre d’équipements numériques ou d’objets connectés. Le rapport de The Shift Project (Ferreboeuf, 2018) prescrit d’allonger la durée de vie des équipements d’une part en réparant ses équipements avant d’en racheter un nouveau, d’autre part, en privilégiant l’achat de matériel reconditionné ou d’occasion pour réduire son empreinte numérique. De nombreux auteurs (Ademe, 2019a ; Bordage, 2019 ; Bordage, 2021 ; Courboulay, 2021) insistent aussi sur l’importance du recyclage. En effet, il existe des centres qui récupèrent nos déchets d’équipements électriques et électroniques.

L’Ademe (2019a) propose de limiter les consommations électriques en débranchant le chargeur de son appareil dès que celui-ci est rechargé. De même, elle préconise de limiter ses achats en ligne. En effet, le e-commerce suscite une multiplication des trajets qui augmente la production de CO2. Une consommation plus responsable du numérique se retranscrit également par une optimisation des impressions par exemple en paramétrant l’impression ou en imprimant uniquement quand c’est nécessaire. Enfin, il s’agit d’utiliser les logiciels en ligne plus écoresponsables. Pour les enseignants, il existe, par exemple, La Digitale [7] (Zimmert, 2022), une boîte à outil éducatif libre, responsable en termes de sobriété numérique.

Méthodologie

Cette recherche se concentre sur l’évaluation de la préparation des acteurs de l’éducation envers la sobriété numérique. Notre attention se porte d’une part sur leur perception de compétence et d’autre part sur leurs pratiques déclarées. Afin de mener cette évaluation, nous avons conçu une enquête spécifique qui a été diffusée sur les réseaux sociaux (Facebook, LinkedIn, etc.).

Digital Wallonia (2021) définit la maturité numérique comme étant le « niveau de compétence […] dans la manipulation et la compréhension des outils numériques » (p. 34). Il s’agit donc d’associer à parts égales, le sentiment de compétence et le niveau d’utilisation du numérique. Le concept de maturité est retenu, car il prend en compte ces deux dimensions qui permettent d’adopter une véritable posture durable. En effet, déployer la sobriété numérique n’implique pas seulement de reconnaître l’impact environnemental, mais il convient aussi de pratiquer un usage responsable (Bordage, 2019 ; Descamps et al., 2022a). Comme dans le baromètre de Digital Wallonia (2021), chacun de ces champs se compose systématiquement en deux séries d’items spécifiques à la sobriété numérique : l’une relative aux sentiments de compétence (15 items) et l’autre, relative aux usages déclarés (40 items).

À travers différentes analyses descriptives, nous étudions le sentiment de compétence des acteurs de l’éducation en matière de de la maturité de sobriété numérique ainsi que leurs usages écoresponsables des technologies. Pour ce faire, ces actions ont été regroupées en quatre catégories (Descamps et al., 2022b) : la navigation en ligne, la communication, la gestion d’un environnement numérique et la consommation numérique.

Afin de compléter cette analyse à plat, nous avons effectué des corrélations entre les 55 items. Nous ne présenterons que les corrélations les plus significatives, c’est-à-dire les corrélations supérieures à .5. En effet, nous avons pu constater que les corrélations au sein d’une même dimension sont étroitement liées. Pour évaluer ces corrélations, nous nous appuyons sur l’échelle de De Landsheere (1979) qui interprète les coefficients de corrélation de la manière suivante : r = 0.40 à 0.60 : corrélation marquée, mais sans conclusion solide ; r = 0,60 à 80 : bonne corrélation.

Questions de recherche

Les formations à distance visant à sensibiliser les citoyens et les professionnels de l’enseignement à l’impact environnemental des TIC sont de plus en plus répandues (Perrot Bernardet et Parry, 2017 ; Descamps et al., 2022b). La thématique de la sobriété numérique devient également un enjeu sociétal (Amichaud, 2021 ; Bordage, 2021 ; Courboulay, 2021 ; Efoui-Hess, 2019 ; Vidalenc, 2019). Néanmoins, l’étude de Mannila (2018) relative au sentiment d’auto-efficacité des enseignants par rapport à l’ensemble des compétences numériques met en lumière que la protection de l’environnement faisait partie des résultats les plus faibles. Par conséquent, il nous semble légitime de nous questionner sur la situation actuelle. Notre état des lieux s’articulera donc autour de deux questions de recherche principales :

Q1 : Comment se caractérise le sentiment de compétence des acteurs de l’éducation par rapport aux différentes composantes de la sobriété numérique ?

Q2 : Quels sont les usages numériques écoresponsables déclarés par les acteurs de l’éducation ?

Échantillon

3053 acteurs de l’éducation ont spontanément répondu à notre enquête qui était initialement destinée à tous les citoyens. Concernant les caractéristiques générales des sujets, 67,9 % sont des femmes (N = 36) et 32,1 % sont des hommes (N = 17). Leur moyenne d’âge est de 40,4 ans. Nos participants à l’enquête sont majoritairement belge (90,6 %).

Profil professionnel des acteurs de l’éducation

31Notre échantillon comprend les différentes catégories d’enseignants : 3,8 % provenant du préscolaire, 13,2 %, du primaire, 17 % du secondaire inférieur (équivalent du collège en France), 11,3 % du secondaire supérieur (équivalent lycée) et 18,9 % issus de l’enseignement supérieur (Hautes écoles et universités). La catégorie « autre » regroupe d’autres types d’acteurs de l’éducation tels que des conseillers pédagogiques, des technopédagogues ou chercheurs en éducation ou encore des éducateurs. Cette catégorie inclut également du personnel éducatif qui n’enseigne pas.

Figure 1 : Graphique répartissant les répondants selon leur fonction dans l’enseignement

Notre enquête proposait au sujet de spécifier la ou les disciplines enseignées. Nous avons classé ses disciplines par catégories. Les disciplines les plus enseignées par nos participants sont du domaine de l’éducation aux technologies (13,2 %) ou de l’enseignement des sciences humaines (13,2 %). Parmi les autres domaines disciplinaires, des répondants enseignent la pédagogie (7,6 %), les sciences (5,7 %), les mathématiques (5,7 %), l’éducation physique (3,8 %), l’éducation à la citoyenneté (1,9 %), le français (1,9 %) et l’art (1,9 %).

Précisons, également, que 32,1 % des sujets disent exercer une profession en lien avec les technologies : technopédagogues, enseignants chargés de cours dans le domaine du numérique, enseignants qui utilisent les TIC en classe. À moindre mesure, seulement 5,7 % des participants précisent avoir un métier en lien avec l’environnement ou l’écologie comme en étant membres de la cellule développement durable.

Sensibilité au numérique, à l’écologie et à l’impact du numérique sur l’environnement

Afin de préciser le profil de notre public par rapport à leur sensibilité au numérique, à l’écologie et à la thématique de la sobriété numérique, chaque participant de l’enquête devait se positionner sur une échelle de Likert allant de 0, correspondant à « Pas du tout d’accord », à 3, correspondant à « Tout à fait d’accord ». En effet, particulièrement quand on aborde les enjeux écologiques, la sensibilité des sujets influence leur comportement (Zaiem, 2005) et de surcroît leur participation à l’enquête.

Figure 2 : Le degré de sensibilité des acteurs de l’éducation en fonction des différentes thématiques : le numérique, l’écologie et la sobriété numérique

La très grande majorité de nos sujets déclare être « Tout à fait d’accord » (68,8 %) ou « D’accord » (22,6 %) avec le fait qu’ils sont sensibles aux thématiques en lien avec les technologies et à l’impact du numérique sur l’être humain (X̄ = 2,62 ; σ = 0,63). Les répondants portent aussi de l’intérêt à l’écologie et la protection de l’environnement (« Tout à fait d’accord » = 77,4 % ; « D’accord » = 17 % ; X̄ = 2,72 ; σ = 0,57).

En ce qui concerne leur sensibilité aux impacts environnementaux des technologies et à la sobriété numérique, la majorité porte de l’intérêt à cette thématique (« Tout à fait d’accord » = 54,7 % ; « D’accord » = 30,2 %). Cet item récolte des résultats légèrement plus faibles que les autres (X̄ = 2,38 ; σ = 0,79) et 1,9 % des sujets estiment ne pas du tout être sensible à la sobriété numérique. Pour rappel, cette enquête a fait l’objet d’une participation spontanée. Les répondants avaient donc initialement un certain intérêt par rapport à notre thématique pour répondre au questionnaire.

Analyse des résultats

Analyse du sentiment de compétence des enseignants concernant la sobriété numérique

La figure 3 illustre la perception de compétence de nos sujets envers divers éléments (Items du questionnaire). Ces items ont été construits en croisant les différents documents-cadres pour identifier les composantes du sentiment de compétence relative à la sobriété numérique (Descamps et al., 2022a ; Digital Wallonia, 2021 ; Boulet et al., 2020 ; Carretero et al., 2017 ; Fédération Wallonie Bruxelles, 2013). Nos participants devaient se positionner sur une échelle de Likert allant de 0 à 3 : 0 correspondant à « aucune capacité » et 3 à de « très bonnes capacités » dans ce domaine. Sur la figure 3, leurs sentiments de compétence sont ordonnés de manière décroissante, du plus élevé au plus bas. Les sondés ont en moyenne un sentiment de compétence de 1,14 (σ = 0,63), c’est-à-dire qu’ils s’estiment peu performants dans le domaine de la sobriété numérique.

Figure 3 : Le sentiment de compétence des acteurs de l’éducation en matière de sobriété numérique (%)

L’item qui obtient le sentiment de compétence le plus élevé concerne la compréhension de l’impact environnemental de nos modes de vie numériques (X̄ = 1,74 ; σ = 0,84). Ce résultat peut s’expliquer par la diffusion, ces dernières années, de cette problématique dans la sphère médiatique et scientifique (Ferreboeuf, 2018 ; Bordage, 2019, Efoui-Hess, 2019 ; Bordage, 2021 ; Courboulay, 2021). Bien que ce soit le sentiment de compétence le plus élevé, ils se considèrent néanmoins relativement compétents (28,3 %) ou déclarent un niveau intermédiaire (47,2 %) à cet égard.

Ensuite, les acteurs de l’éducation estiment aussi être capables de communiquer en ligne (X̄ = 1,45 ; σ = 0,89), gérer et organiser des environnements numériques de manières responsables (X̄ = 1,42 ; σ = 0,93). Ils pensent également être capables de protéger et résoudre des problèmes techniques pour conserver leur matériel (X̄ = 1,38 ; σ =0,90), ainsi que de communiquer pour sensibiliser autrui aux impacts environnementaux du numérique (X̄ = 1,28 ; σ = 0,86).

Cinq items obtiennent des résultats moyens. En effet, les acteurs de l’éducation ne se sentent pas forcément capables d’appliquer des mécanismes écoresponsables lors de l’achat d’outil numérique (m = 1,23 ; σ = 0,86), d’appliquer la règle des 5R (m = 1,15 ; σ = 0,82) ou encore de collaborer en ligne de manière écoresponsable (m = 1,13 ; σ = 0,90). De plus, nos sujets n’estiment pas forcément savoir utiliser de manière responsable les technologies afin de réduire son impact sur l’environnement (m = 1,09 ; σ = 0,74) et évaluer l’impact environnemental d’un usage numérique à l’aide de l’analyse du cycle de vie (m = 1,06 ; σ = 0,91).

En ce qui concerne les sentiments de compétence les plus faibles, nos participants ne se sentent pas capables de rechercher des informations en minimisant leur impact sur l’environnement (X̄ = 0,96 ; σ = 0,88) et d’identifier des technologies plus respectueuses de l’environnement (X̄ = 0,87 ; σ = 0,83). La figure 3 montre également qu’ils ont de faibles connaissances pour identifier des solutions numériques pour protéger l’environnement (X̄ = 0,85 ; σ = 0,82), ainsi que pour agir et développer des actions collectives pour réduire l’impact des technologies (X̄ = 0,70 ; σ = 0,80).

Enfin, l’application des principes d’écoconception lors de création de contenu multimédia est le sentiment de compétence le plus faible (X̄ = 0,70 ; σ = 0,72). En effet, 45,3 % des sujets n’ont aucune connaissance dans ce domaine. Il est possible d’expliquer ce résultat par le fait qu’il n’existe pas à l’heure actuelle, à notre connaissance, de formation ou de ressource pour concevoir du contenu pédagogique appliquant les principes d’écoconception.

Les corrélations entre les items relatives aux sentiments de compétence sont étroitement liées et significatives. Nous souhaitons donc mettre en avant les corrélations les plus marquées, tout en faisant preuve de prudence, car elles sont pour la plupart comprises entre r = 0.4 et r = 0.6 et ne peuvent donc pas faire l’objet de robuste conclusion (De Landsheere, 1979).

Le sentiment de compétence face à la compréhension de l’impact environnemental des technologies de nos sujets est corrélé avec plusieurs autres variables. Un sujet qui comprend se sentira plus capable de sensibiliser autrui (r = .562 ; p = < .001), de faire appel à l’analyse du cycle de vie comme outil d’analyse (r = .555 ; p = < .001), d’identifier des solutions numériques qui protègent l’environnement (r = .546 ; p = < .001), de gérer un environnement numérique de manière écoresponsable (r = .522 ; p = < .001), de communiquer en ligne de manière écoresponsable (r = .506 ; p = < .001) ou encore de rechercher des outils numériques plus respectueux. (r = .504 ; p = < .001). La compréhension de l’impact de nos modes de vie sur l’environnement est d’ailleurs liée à la mise en œuvre d’une utilisation écoresponsable des technologies numériques (r = .602 ; p = < .001). L’analyse des données montre qu’il y a un besoin de comprendre pour se sentir capable d’agir.

De même, le sentiment d’être capable de mettre en œuvre une utilisation du numérique écoresponsable est en lien avec de nombreux autres sentiments de compétence. Quand nos participants se sentent compétents à utiliser de manière écoresponsable les technologies numériques, ils se sentent aussi capables d’identifier des solutions numériques qui protègent l’environnement (r = .745 ; p = < .001), d’identifier des outils numériques respectueux de l’environnement (r = .681 ; p = < .001), de rechercher une information en ligne en minimisant l’impact sur l’environnement (r = .679 ; p = < .001).

Par ailleurs, le sentiment de compétence face à l’utilisation responsable est aussi corrélé de manière marqué avec les sentiments de compétence concernant la gestion d’un environnement numérique (r = .599 ; p = < .001), l’application des principes d’écoconception (r = .560 ; p = < .001), la mise en place d’actions collectives (r = .564 ; p = < .001), la sensibilisation des autres (r = .545 ; p = < .001), l’évaluation de l’impact environnemental d’un usage numérique à l’aide de l’analyse du cycle de vie (r = .538 ; p = < .001) ou encore la communication en ligne de manière plus responsable (r = .504 ; p = < .001).

État des lieux des usages écoresponsables des technologies des enseignants

Lors de notre enquête, les usages déclarés des acteurs de l’éducation ont été récoltés en fonction de quatre dimensions d’usages : la navigation en ligne, la communication, la gestion de l’environnement numérique et la consommation numérique. Les participants devaient se positionner sur une échelle de Likert allant de 0, correspondant à « jamais », à 3, signifiant « quotidiennement » ou « à chaque fois ». Notons qu’il peut exister un décalage entre les pratiques déclarées et les pratiques effectives (Damar, 2018). Les 4 dimensions d’usages sont classées de l’item obtenant les meilleurs résultats à l’item obtenant les plus faibles résultats. Nous avons calculé des coefficients de corrélation entre chacun des usages écoresponsables présentés ci-dessous et entre ces pratiques déclarées et les sentiments de compétence. La majorité des corrélations étant trop basse, nous avons retenu uniquement les résultats supérieurs à r = 0.5.

La consommation numérique

La première catégorie présente les résultats relatifs à la consommation numérique de manière écoresponsable de nos acteurs de l’éducation (figure 4). En comparaison aux autres catégories, les usages de cette dimension obtiennent la meilleure moyenne (X̄ = 1,82 ; σ = 0,58), c’est-à-dire que les participants déclarent mettre en place ces usages de temps en temps. = 1,28 ; σ = 0,86).

Figure 4 : Les usages écoresponsables en matière de consommation
numérique des acteurs de l’éducation (%)

Le geste le plus représenté chez nos acteurs de l’éducation est l’impression écoresponsable, par exemple en imprimant de manière recto verso (X̄ = 2,60 ; σ = 0,66). 67,9 % réalisent cette action systématiquement. Un des participants précise dans l’espace ouvert qu’il s’agit d’ailleurs « d’une directive de l’école ».

Nous observons que la majorité des items de cette catégorie présentent une moyenne assez élevée et de bons résultats. Ainsi, nos sujets déclarent débrancher le chargeur de leurs appareils technologiques dès que celui-ci est rechargé pour réduire sa consommation (X̄ = 2,15 ; σ = 1,03), limiter leur nombre d’équipements afin de réduire la production de matériels (X̄ = 2,13 ; σ = 0,94) et réparer leur équipement avant d’en racheter un nouveau pour allonger leur durée de vie (X̄ = 2,09 ; σ = 0,84). Il tente aussi de refuser l’achat de matériel et de service en ligne (X̄ = 1,98 ; σ = 1,07), de limiter leurs achats en ligne (X̄ = 1,91 ; σ = 0,95) et de réduire leur nombre d’objets connectés (X̄ = 1,83 ; σ = 1,09). Concernant ce dernier comportement, nous observons qu’il est corrélé avec l’action de débrancher les équipements numériques quand le chargement est atteint (r = .517 ; p = < .001).

Deux items récoltent des résultats plus disparates. En effet, 18,9 % des participants déclarent recycler leurs appareils numériques systématiquement, 37,7 % de temps en temps et 28,3 % ne le font jamais (X̄ = 1,47 ; σ = 1,10). De même, les résultats sont mitigés concernant l’achat de matériel reconditionné ou d’occasion (X̄ = 1,43 ; σ = 1,10). Une des participantes précise « ne plus se tourner vers le reconditionné, car elle a été déçue ». Il y a d’ailleurs, un lien de corrélation entre le fait de privilégier l’achat de matériel reconditionné ou d’occasion et le sentiment d’être capable d’appliquer des mécanismes écoresponsables (r = .576 ; p = < .001). Enfin, 73,6 % de nos acteurs de l’éducation déclarent ne jamais utiliser de logiciels en ligne de manière écoresponsable (X̄ = 0,58 ; σ = 1,06).

La gestion d’un environnement numérique

La deuxième catégorie d’usages concerne la gestion écoresponsable d’un environnement numérique. Le positionnement moyen des sujets sur l’échelle de Likert par rapport à ces actions est de 1,74. En comparaison aux autres items, il s’agit de l’idée où les personnes expriment l’avis le plus hétérogène (σ = 74).

Figure 5 : Les usages écoresponsables en matière de gestion d’environnement numérique des acteurs de l’éducation (%)

Sur la figure 5, nous constatons que l’usage le plus diffusé et réalisé systématiquement, par nos participants (58,5 %) est de privilégier le réseau Wifi aux données mobiles (X̄ = 2,40 ; σ = 0,91). Parmi les actions ayant les meilleurs résultats, on retrouve également la suppression des logiciels non désirés installés sur les appareils pour rallonger leur durée de vie (X̄ = 2,19 ; σ = 0,68). En effet, 56,6 % réalisent cette action de temps en temps et 32,1 % la réalisent quotidiennement.

De plus, 43,4 % utilisent quotidiennement le mode économie d’énergie de son appareil et 37,7 % l’emploient de temps en temps (X̄ = 2,11 ; σ = 1,01). 37,7 % des sondés déclarent réduire la luminosité des écrans pour économiser de l’énergie de manière systématique et 34 % de temps en temps (X̄ = 1,89 ; σ = 1,14). D’ailleurs, le sentiment de compétence relative à la gestion et à l’organisation écoresponsables des environnements numériques est corrélé avec l’utilisation du mode économie d’énergie (r = .570 ; p = < .001) et la réduction de la luminosité des écrans (r = .513 ; p = < .001). Ces deux usages sont d’ailleurs étroitement liés (r = .619 ; p = < .001). 35,9 % évitent systématiquement les téléchargements inutiles et 32,1 % essayent de le faire de temps en temps (X̄ = 1,79 ; σ = 1,18).

Les usages suivants obtiennent des résultats assez disparates. En effet, concernant le stockage sur le cloud, 24,5 % essaient systématiquement de n’y stocker que les éléments utiles, 37,7 % le font de temps en temps et 28,3 % ne le font jamais (X̄ = 1,58 ; σ = 1,15). Les résultats sont aussi mitigés pour le tri des données personnelles (X̄ = 1,45 ; σ = 1,25) et le stockage des documents sur un disque dur externe (X̄ = 1,45 ; σ = 1,19). D’ailleurs, ces deux pratiques déclarées sont corrélées (r = .588 ; p = < .001). Nos répondants n’expriment pas un avis positif concernant le paramétrage des appareils numériques pour contrôler et supprimer les consommations cachées des applications (X̄ = 1,40 ; σ = 1,17). Dans le même sens, 43,4 % des répondants ne privilégient pas la connexion Internet filaire de type Ethernet au Wifi (X̄ = 1,15 ; σ = 1,17). Une des participantes précise que le « Wifi est plus pratique ». Concernant la gestion des environnements numériques, un de nos sujets signale de manière globale que « tout le monde n’a pas les compétences techniques pour avoir ses usages ».

La navigation en ligne

La figure 6 représente les usages déclarés de nos sujets en ce qui concerne leur navigation en ligne. La moyenne des positionnements est de 1,47 (σ = 0,66).

Figure 6 : Les usages écoresponsables en matière de navigation en ligne des acteurs de l’éducation (%)

L’action qui récolte le meilleur résultat est le fait de cibler sa recherche en utilisant des mots-clés pertinents pour réduire son impact environnemental (X̄ = 2,28 ; σ = 0,84). En effet, 45,3 % indiquent le faire à chaque fois qu’ils réalisent une recherche. Le même pourcentage de participants c’est-à-dire 45,3 % signifient qu’ils utilisent quotidiennement les favoris pour y enregistrer les sites consultés régulièrement (X̄ = 2,09 ; σ = 1,06) et emploient un bloqueur de publicité (X̄ = 1,85 ; σ = 1,25).

Plusieurs items obtiennent des résultats plus mitigés. Particulièrement la rédaction complète de l’URL dans la barre du navigateur (X̄ = 1,49 ; σ = 1,15). En effet, 20,8 % le font à chaque fois, 39,6 % le font parfois et 32,1 % ne le font jamais. 43,4 % des participants ne désactivent jamais la lecture automatique des vidéos (X̄ = 1,43 ; σ = 1,37). 41,5 % des sondés n’essayent jamais d’éviter de charger des pages inutiles (X̄ = 1,28 ; σ = 1,23) et 45,3 % ne tentent pas de limiter leur nombre d’onglets ouverts pour réduire sa consommation énergétique (X̄ = 1,25 ; σ = 1,25). D’ailleurs, ces deux comportements déclarés sont corrélés (r = .718 ; p = < .001). 47,2 % des sujets n’utilisent pas un moteur de recherche plus écoresponsable (X̄ = 1,13 ; σ = 1,26). À ce propos, un participant précise dans l’espace commentaire que « les moteurs de recherche responsables ne sont souvent pas aussi efficaces que Google ».

En ce qui concerne le visionnage des vidéos en ligne, alors que ce dernier a un impact considérable sur l’environnement, à cause de son usage intensif (Efoui-Hess, 2019), les participants ne mettent pas vraiment en place des actions écoresponsables. En effet, la majorité des sondés, c’est-à-dire 54,7 %, ne limite pas son usage du streaming pour réduire sa consommation énergétique (X̄ = 0,94 ; σ = 1,15). Ils ne réduisent pas n’ont plus la résolution des vidéos pour réduire leurs impacts environnementaux (« jamais » = 50,9 %) (X̄ = 0,92 ; σ = 1,07).

La communication

La catégorie qui obtient la plus faible moyenne des positionnements sur l’échelle de Likert concerne la communication (X̄ = 1,14 ; σ = 0,63).

Figure 7 : Les usages écoresponsables en matière de communication
numérique des acteurs de l’éducation (%)

Comme le montre la figure 7, les répondants expriment un avis positif par rapport à deux usages. Ainsi, 45,3 % des participants se désabonnent systématiquement aux newsletters pour éviter un flux de mail inutile (X̄ = 2,17 ; σ = 0,98) et 50,9 % n’allument pas leur caméra, lors des visioconférences, uniquement quand cela est nécessaire (X̄ = 2,00 ; σ = 1,19). 56,6 % vident, de temps en temps, leur boîte mail pour supprimer les données inutiles et réduire les données dans les centres de données (X̄ = 1,83 ; σ = 0,99).

Certaines actions sont envisagées de manière plus variable par notre échantillon. En effet, 28,3 % des sondés ne réduisent jamais le nombre de mails envoyés pour réduire leur flux de données, 32,1 % le font de temps en temps et 26,4 % le font systématiquement (X̄ = 1,57 ; σ = 1,17). Ce comportement est corrélé de manière marquée avec l’attention apportée à limiter le chargement des pages inutiles lors de la navigation en ligne (r = .560 ; p = < .001). En ce qui concerne l’action de communiquer et sensibiliser autrui au sujet des impacts environnementaux du numérique, 34 % ne le font jamais et 34 % le font de temps en temps (X̄ = 1,26 ; σ = 1,08). D’ailleurs, cette action est en lien avec différents sentiments de compétence en termes de sobriété numérique : communiquer pour sensibiliser autrui aux impacts environnementaux du numérique (r = .581 ; p = < .001) ; identifier des solutions numériques qui permettent de protéger l’environnement (r = .532 ; p = < .001) ; utiliser de manière écoresponsable les technologies (r = .519 ; p = < .001) ; comprendre l’impact environnemental de nos modes de vie numériques (r = .518 ; p = < .001).

45,3 % de nos acteurs de l’éducation ne pensent pas éviter de surcharger les créations numériques afin de réduire la consommation de données (X̄ = 1,25 ; σ = 1,24). 43,4 % ne compressent jamais les pièces jointes lors de l’envoi d’un mail afin de réduire la taille du mail (X̄ = 1,06 ; σ = 1,12). 50,9 % ne privilégient jamais des espaces de dépôts temporaires pour l’envoi de pièces jointes (X̄ = 0,96 ; σ = 1,07).

Plus de la moitié des sujets, c’est-à-dire 66,1 %, ne réduit jamais la qualité des visuels produits afin de réduire la consommation de données (X̄ = 0,66 ; σ = 1,04). Cette pratique déclarée est corrélée avec le fait d’éviter de surcharger les créations numériques (r = .594 ; p = < .001). Presque les trois quarts des participants (73,6 %) ne réalisent jamais des capsules vidéo en basse définition afin de réduire le flux de données lors du visionnage (X̄ = 0,49 ; σ = 0,89). Nous constatons d’ailleurs que ce comportement est en lien (bonne corrélation) avec la réduction de la qualité des images et des diaporamas dans un but de sobriété numérique (r = .692 ; p = < .001). Enfin, deux enseignants réagissent dans l’espace commentaire : l’un pour préciser qu’il n’a « pas les compétences techniques » pour mettre en place cet usage et l’autre précise qu’il « ne connaît pas les petites actions pour optimiser sa vidéo de manière écoresponsable tout en gardant la qualité de la vidéo ».

Conclusion et recommandations

Notre étude questionne le sentiment de compétence et les usages déclarés en matière de sobriété numérique des acteurs de l’éducation. Nous sommes conscients que ces usages peuvent différer des pratiques effectives (Damar, 2018) et que les sujets de notre étude ne sont pas représentatifs de l’ensemble des enseignants en Belgique francophone. Néanmoins, les résultats de nos analyses nous permettent de mettre en avant quelques pistes de recommandation qui nous semblent pertinentes pour l’offre de formation destinée aux professionnels de l’éducation.

Globalement, les sujets interrogés se considèrent comme novices dans le domaine de la sobriété numérique. Bien qu’ils aient une compréhension générale de l’impact environnemental des technologies, ils ne saisissent pas pleinement sa complexité, ne se sentent pas nécessairement capables d’utiliser de manière raisonnée des outils tels que l’analyse du cycle de vie, d’appliquer des mécanismes écoresponsables lors de l’achat d’équipements, de mettre en pratique la règle des 5R (Réduire, Réutiliser, Recycler, Réparer, Refuser) ou d’identifier des alternatives plus respectueuses de l’environnement. De plus, ils n’estiment pas être en mesure d’adopter des comportements écoresponsables dans l’exercice d’autres compétences numériques telles que la collaboration en ligne, la recherche d’informations. Nous constatons aussi qu’il existe des corrélations entre le sentiment de compréhension de l’impact environnemental du numérique et le fait de se sentir capable d’utiliser et d’agir pour un numérique écoresponsable. Ces résultats corroborent les travaux Morin et ces collègues (2019), qui mettent en avant que le sentiment d’efficacité personnelle est en relation avec le sentiment d’efficacité collective et le pouvoir d’agir.

67L’analyse corrélationnelle complémentaire à notre analyse descriptive nous a montré qu’il y a des corrélations marquées (voire de bonnes corrélations) entre les différents sentiments de compétence relative à la sobriété numérique. Ainsi, il apparaît important de renforcer le sentiment de compétence des professionnels de l’éducation, qui déclarent s’estimer peu compétents à l’égard de l’ensemble des composantes de l’éducation à la sobriété numérique. En effet, même si la majorité des enseignants interrogés sont conscients que les technologies ont un impact sur l’environnement, ils éprouvent de réelles difficultés à agir pour réduire leur incidence. Ce constat pose question, car, comme l’avancent Salite et Pipere (2006), l’aspect environnemental est une dimension du développement durable des enseignants. Pour ces auteurs, cités par Selvi (2010), « les connaissances, attitudes et compétences concernant le système écologique et l’environnement […] peuvent être définies comme des compétences environnementales » des enseignants. Il nous semble donc fondamental de faire acquérir des comportements (numériques) plus sobres à intégrer notamment au sein des autres compétences numériques. Une fois compétents dans ces domaines, les enseignants seront en mesure de transmettre ces pratiques à leurs élèves. Aussi, lors de scénarisation de formation relative à l’impact du numérique sur l’environnement, il s’agirait de faire concorder les compétences ciblées et les usages écoresponsables recommandés, car notre analyse corrélationnelle ne montre que très peu de corrélation marquée entre ces deux dimensions.

Ensuite, en ce qui concerne les usages, Daniel (2013) qui a étudié l’engagement des individus pour le développement durable stipulait que « le confort, la praticité sont aussi des motivations à prendre en compte » (§ 44) dans la mise en place de comportement responsable. Nous faisons le même constat. Si certains enseignants déclarent avoir des pratiques écoresponsables en matière de consommation numérique, nous nos analyses montrent que les actions effectuées sont principalement pragmatiques (impression en recto verso, débrancher son chargeur, etc.), voire économiques, plutôt que véritablement écologiques (recyclage des appareils, utilisation de logiciels écoresponsables, etc.). Il nous semble tangible d’émettre l’hypothèse que l’aspect économique peut être une motivation dans la mise en place de certains gestes. La sobriété (numérique) par une recherche de consommation plus économe peut se présenter d’une part, comme moyen d’action sur le système économique et d’autre part, permettre un arrangement des modes de vie et de consommation (Aspe et Jacqué, 2016).

Les autres catégories, la gestion d’un environnement, la navigation en ligne et la communication en ligne obtiennent des résultats plus mitigés. Ces résultats sont en lien avec le faible sentiment de compétence relative à l’exercice des compétences numériques de manière écoresponsable. Certains gestes, rarement mis en place par les participants, comme le paramétrage d’un équipement, sont assez techniques. On peut donc émettre l’hypothèse que certains usages numériques écoresponsables ne sont pas mis en place par méconnaissance technique (Papi, 2012). Notre étude avait pour volonté de diagnostiquer le sentiment de compétence et les usages écoresponsables des acteurs de l’éducation. Une des perspectives de recherche serait maintenant d’étudier les raisons de la mise en place ou de la non-mise en place de tels ou tels usages écoresponsables.

Plus spécifiquement, en ce qui concerne l’écoconception, nous constatons que les enseignants ont un faible sentiment de compétence qui se traduit par des usages limités dans leurs pratiques professionnelles. Ils ne semblent pas formés aux principes d’écoconception inhérents à la conception de contenus numériques (ex. création de supports technopédagogiques volumineux en termes de données). À l’instar de ressources comme celles développées par Bordage et al. (2019) pour l’écoconception de sites web, il nous paraît pertinent d’outiller les enseignants et de les sensibiliser à ces bonnes pratiques.

Enfin, nous pensons que favoriser le développement du sentiment de compétence des acteurs de l’éducation par la mise en place d’actions collectives à l’échelle des établissements pourrait favoriser une adoption du numérique responsable. Selon nous, ce type de démarche nécessite un accompagnement tel que celui proposé par le label de la DRANE de Lyon (Douheret, 2022) qui vise à développer le numérique responsable dans les établissements scolaires aussi bien dans la gouvernance, la communication, la formation, les équipements et l’utilisation des technologies.

Licence : CC by-sa

Notes

[1https://fra.conscience-numerique-durable.org/. Consulté le 3 octobre 2023.

[2https://www.fresquedunumerique.org/. Consulté le 3 octobre 2023.

[3https://www.academie-nr.org/. Consulté le 3 octobre 2023.

[4https://www.fun-mooc.fr/fr/cours/impacts.... Consulté le 3 octobre 2023.

[7https://ladigitale.dev/. Consulté le 3 octobre 2023.

Vos commentaires

Répondre à cet article

Qui êtes-vous ?
[Se connecter]
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom