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La flexibilisation comme reconnaissance de l’altérité

22 mai 2019 par Didier Paquelin Veille 1346 visites 0 commentaire

Colloque Questions de Pédagogie pour l’Enseignement Supérieur (QPES 2017), Juin 2017, France

Un article publié sous licence CC BY SA 4.0

Résumé

Reconnaître l’Altérité invite les acteurs de l’enseignement supérieur à accepter d’une part que d’autres voies de cheminement sont possibles au-delà de ce qui les a eux-mêmes construit, et d’autre part de faire confiance en l’Autre dans sa capacité à cheminer nous faisant à son tour découvrir d’autres possibles organisations pédagogiques. Si Ricoeur nous invite à se mettre à la place d’autrui, comprenons qu’il ne s’agit pas de faire à la place de cet Autre qu’est l’étudiant, mais d’avoir une attitude compréhensive de qui il est, de son projet, de ses capacités, de son contexte pour agir là où nous le pouvons en qualité de concepteur de dispositif de formation, de pédagogue, pour définir un environnement capacitant lui offrant des degrés de liberté de choix. Dès lors l’enjeu premier ne serait plus de savoir ce que les étudiants apprennent mais bien d’identifier ce qui est mis en place pour leur permettre de s’engager et de persévérer dans leur dynamique formative.
L’objet de cette contribution est de considérer cet autre qui est l’apprenant dans la conception et l’organisation de l’offre et des pratiques de formation. Pour ce faire présenterons trois niveaux deflexibilisation qui définissent un environnement capacitant offrant des possibles degrés de liberté du parcours de formation et des activités pédagogiques qui peuvent soutenir potentiellement la prise en compte des singularités des apprenants. Nous conclurons en rappelant l’importance de penser la flexibilisation sous un angle éco-systémique considérant à la fois les dimensions pédagogiques,organisationnelles, numériques et économiques.

Mots-clés : Altérité, Capabilité, Ecosystème, Environnement capacitant, Flexibilité

 

Introduction

La thématique centrale proposée dans le cadre de l’édition 2017 du Colloque QPES revient sur une dimension centrale du couple enseignement-apprentissage : la place de l’autre. Cet Autre qui est multiple, celui qui n’est pas moi-même, qui par notre différence me situe en qualité d’enseignant et d’apprenant dans une relation dialogique aux symétries variables, me questionnant dans mon propre rapport à moi-même et à autrui. Considérer l’autre n’est pas comme le rappelle Ricoeur (1990) le considérer comme étranger, mais de se penser « soi-même » en tant qu’autre signifiant que l’autre est constitutif de ma propre identité : sans étudiant qu’est l’identité de l’enseignant ? Comment en tant qu’apprenant je construis mon identité par rapport à l’enseignant, à mes pairs ? Ce « moi » qui s’exprime peut tout à la fois être l’enseignant ou l’apprenant. Cette mise à la place de l’autre deviendrait un principe éthique de la relation éducative pour un « bien vivre ensemble pédagogique », propice à la construction d’une alliance pédagogique fondée sur une entreprise commune, la réussite éducative. C’est d’ailleurs ce qu’exprime les théories pédagogiques relatives à l’apprentissage, cherchant à répondre à la question posée par Michel Saint Onge (1993) dans son ouvrage « Moi j’enseigne, mais eux apprennent-ils ? ». Si Ricoeur nous invite à se mettre à la place d’autrui, comprenons qu’il ne s’agit pas de faire à la place de cet Autre, mais d’avoir une attitude compréhensive de qui il est, de son projet, de ses capacités, de son contexte pour agir là où nous le pouvons en qualité de concepteur de dispositif de formation, de pédagogue, pour définir un environnement capacitant (Falzon, 2007). Cet environnement vise à rendre possible le développement du « pouvoir d’agir » et de la « capabilité » du sujet apprenant, vue comme un vecteur de modes de fonctionnement exprimant la liberté, pour un individu, de choisir entre différentes conditions de vie (Sen, 1985). Appliquée à l’enseignement, cette notion invite à permettre à l’apprenant de choisir entre différentes possibilités organisationnelles et contextuelles de son projet de formation.
Cela suppose tout à la fois que l’altérité soit doublement reconnue et considérée, d’une part comme reconnaissance faite à l’Autre de son pouvoir d’agir, et d’autre part comme nécessité faite à l’organisation pédagogique d’offrir latitude et liberté à l’apprenant pour qu’il puisse exprimer ses choix, seuls et/ou accompagné. Reconnaître l’Altérité invite les acteurs de l’enseignement supérieur à accepter que d’autres voies de cheminement sont possibles au-delà de ce qui les a eux-mêmes construit, et faire confiance en l’Autre dans sa capacité à cheminer nous faisant à son tour découvrir d’autres possibles. Dès lors l’enjeu premier ne serait plus de savoir ce que les étudiants apprennent mais bien d’identifier ce que qui est mis en place pour leur permettre de s’engager et de persévérer dans leur dynamique formative, d’évolution de soi, tant dans le champ des savoirs et compétences disciplinaires, que dans le champ ouvert des compétences transversales dont nombreux sont les acteurs qui en reconnaissent l’importance pour permettre aux étudiants, aux sujets de vivre dans un monde d’incertitudes.
L’objet de cette contribution est de considérer cet autre qui est l’apprenant dans la conception et l’organisation de l’offre et des pratiques de formation. Pour ce faire nous mobiliserons la notion de flexibilité pour identifier quels sont les possibles degrés de liberté du parcours de formation et des activités pédagogiques qui peuvent soutenir potentiellement la prise en compte des singularités des apprenants.
Nous apporterons quelques propositions de réponse au questionnement suivant : comment dans un monde en mouvement, les établissements de l’enseignement supérieur peuvent-ils s’adapter, penser et mettre en acte un renouveau pédagogique fondé sur la flexibilité en réponse à l’évolution des attentes et des besoins des étudiants ? Comment trouver l’équilibre entre la survalorisation de l’étudiant d’un côté et sa négation, voire son rejet de l’autre ? Ces questions sont d’autant plus sensibles dans un contexte de massification (augmentation des effectifs étudiants dans l’enseignement supérieur français de 2% depuis 6 ans) dans lequel la prise en compte des singularités apparaît comme difficile face à une exigence de soutenabilité économique et organisationnelle de l’offre de formation. Le défi est sans doute d’oser repenser l’organisation pédagogique conventionnelle, relevant de principes de rationalisation fondés principalement sur une logique de transmission et d’unicité des apprenants pour offrir un ensemble de possibles à partir desquels pourront être actualisée par ces derniers des situations qui leur permettront la réalisation de leur projet de formation.
Après un bref retour sur certaines caractéristiques des étudiants de l’enseignement supérieur nous aborderons la notion de flexibilité et ses déclinaisons. Nous appuierons le propos en mobilisant des éléments d’analyse des pratiques de flexibilisation développés à l’Université Laval (Québec).

Qui sont ces apprenants ?

L’apprenant du XXIème siècle est un étudiant connecté, un sujet pour qui appartenance et socialisation sont deux organisateurs de son activité, dont la formation. Son objectif premier est d’obtenir un diplôme et de vivre des expériences professionnelles en cours de formation pour renforcer son employabilité future. Il attend que lui soient proposées des modalités pédagogiques qui articulent pratique et théorie pour donner sens à cette dernière. Il aime les défis et les challenges pédagogiques. Son utilisation du numérique pour ses activités d’apprentissage est conventionnelle.
Il apprécie une diversité de lieux d’apprentissage dans et hors campus. Son attente de soutien et d’accompagnement est d’autant plus élevée que son sentiment d’auto-efficacité est faible. C’est un étudiant qui doit pour s’engager et persévérer dans ses études développer des capacités d’organisation, de gestion du stress, de développement de la confiance en soi et de concentration sur des tâches là où une certaine tendance à la dispersion (ou multitasking) et à la recherche d’immédiateté viendraient perturber sa trajectoire de formation. La notion d’appartenance et les pratiques de socialisation sont des facteurs d’engagement.
Ces caractéristiques générales ne doivent pas faire oublier la multiplicité de facteurs qui participent de l’engagement et de la réussite des étudiants (Romainville et Michaud, 2013) et qui de fait questionnent les besoins de différenciation pédagogique. Des travaux portant sur les composantes de l’engagement et de la persévérance des étudiants, montrent par exemple, au delà des variables académiques, l’influence de variables contextuelles liées aux conditions de vie des étudiants (exemple : taille du logement, durée quotidienne des transports, sentiment d’aisance financière, etc.) (Paquelin, 2015), rappelant que tous ne sont pas dans les mêmes conditions initiales et qu’une réponse formative unique trouve de fait ses limites.
Pour faire face à la diversité de besoins et d’attentes, mais également pour accompagner l’étudiant dans son projet d’orientation, voire de réorientation, il importe de réfléchir à des propositions organisationnelles qui viendraient soutenir une variété de dynamiques formatives et de parcours de formation.

La flexibilité : quelles déclinaisons ?

L’enjeu premier pour répondre à cette problématique de l’altérité que traduit cette diversité de besoins, pour tenir compte de l’étudiant comme acteur de son projet et de sa trajectoire, est pour un établissement d’enseignement supérieur, d’être en capacité de pouvoir diversifier les possibles, d’offrir des degrés de liberté d’action et de décision qui autorisent une singularisation des parcours de formation. En effet, comment penser l’exercice du pouvoir d’agir et de décider de l’apprenant dans un système fermé qui lui demande de s’inscrire à une année sans pouvoir ajuster minimalement le rythme de formation, le nombre de crédits ECTS suivis, certaines modalités de formation (présence, distance). Pour le dire autrement, cet enjeu consiste à passer d’une logique d’une offre de formation à une logique de co-design des parcours formatifs qui prennent en compte les attentes et les besoins des étudiants. La flexibilité peut être définie comme une caractéristique d’une organisation éducative qui offre la possibilité aux étudiants d’adapter et de personnaliser certaines composantes de l’organisation pédagogique en tenant compte de caractéristiques singulières pour atteindre des objectifs et développer des compétences communes. Les degrés de liberté offerts à l’apprenant visent à diminuer le taux d’abandon pour des raisons notamment d’inadéquation entre l’organisation pédagogique proposée et les possibilités de l’apprenant de s’organiser minimisant ainsi certaines contraintes (exemple : incompatibilité calendaires) ou difficultés (exemple : capacité à s’engager dans l’ensemble des activités d’apprentissage). Cette possibilité théorique de flexibilisation a été notamment présentée par Leclerc et al. (1988) qui ont proposé treize niveaux de ce qu’ils nommaient l’individualisation des programmes, montrant ainsi l’amplitude des possibilités de flexibilisation. Cette notion s’inscrit dans un filiation marquée par l’apparition et la popularisation du terme « ouverture » définie comme « un mode d’organisation pédagogique diversifié s’appuyant pour tout ou partie sur des apprentissages à distance, en autoformation et pouvant alterner des séquences individuelles et collectives » (Bendouba, 1998). Les définitions ont été précisées au cours des dernières années, et tout particulièrement dans le cadre de conférences de consensus sur les formations ouvertes et individualisées. Cette notion d’ouverture est abordée initialement dans un contexte de formation dite à distance telle que la définit le collectif de Chasseneuil pour qui « Une formation ouverte et à distance est un dispositif organisé, finalisé, reconnu comme tels par les acteurs, qui prend en compte la singularité des personnes dans leurs dimensions individuelle et collective et qui repose sur des situations d’apprentissage complémentaire et plurielles en terme de temps, de lieux, de médiations pédagogiques humaines et technologiques, et de ressources » (Collectif de Chasseneuil, 2001). Ce n’est que récemment que le terme de flexibilité est apparu dans la sphère éducative, souvent lié à celui d’agilité. Passant du monde professionnel à celui de l’éducation, il convient d’en préciser le périmètre. L’objet de cette contribution n’est pas de revenir sur les origines des termes pour parvenir à statuer sur leur éventuel degré de synonymie mais simplement de partager quelques éléments de cadrage. Il n’en reste pas moins que la mise en acte de ces notions d’ouverture, d’individualisation [1] suppose d’identifier ce qui, dans l’organisation actuelle de l’offre de formation de l’enseignement supérieur et des pratiques pédagogiques, peut être flexibilisé au niveau de l’ensemble du dispositif de formation qu’il soit en présence ou à distance. Pour répondre à la prise en compte de l’altérité telle qu’abordée précédemment, la flexibilité devient alors une composante intrinsèque de l’offre de formation et porte potentiellement sur le temps (rythme, durée), sur l’espace (campus, hors campus), sur les modes d’apprentissage (individuel, collectif) et les objectifs de formation. Pour ce faire il convient de revoir les normes qui organisent les parcours pédagogiques afin d’offrir des possibilités de choix à l’étudiant, de quitter une approche linéaire pour penser des passerelles entre différents cheminements, et l’accompagner vers la réussite. L’enjeu est de définir de nouvelles rationalités organisationnelles dans un contexte de soutenabilité pédagogique et économique.

La flexibilité : quels niveaux d’exercice ?

En premier lieu rappelons que la flexibilisation suppose l’acceptation par l’ensemble des acteurs (enseignants, étudiants, famille, etc.) qu’un parcours ne répond pas à un déterminisme préexistant, fut-il disciplinaire, mais résulte d’une co-construction qui s’effectue au long du cheminement suite à des évènements internes ou externes au sujet apprenant qu’est l’étudiant.

Tableau 1 : niveaux et axes flexibilisation
Résumé
Niveau Axe de flexibilisation
Niveau macro : flexibilisation des parcours Adaptation du rythme de la formation (temps plein vs temps partiel)
Possibilité de rétractation
Passerelle entre parcours
Passage intégré
Reconnaissance des acquis
Inscription inversée
Niveau meso : flexibilisation des modalités Hybridation au sein d’une unité d’enseignement Bi-modalité : hybridation d’unités d’enseignement sur campus et à distance
Co-modalité : « co-présence » pour une même unité d’enseignement d’apprenants en présence, à distance synchrone et asynchrone.
Niveau micro : flexibilisation des activités pédagogiques Alternance activités centrées sur l’enseignement et d’autres sur l’apprentissage
Possibilité de proposer plusieurs activités pédagogiques pour un même objectif d’apprentissage

La flexibilité ici entendue comme la possibilité de l’exercice d’une différenciation des parcours des étudiants afin de les accompagner au mieux dans la réussite académique et éducative de leur projet, peut se décliner à trois niveaux que nous allons présenter (cf. tableau 1) : 1) niveau macro ou niveau du parcours, 2) niveau meso ou niveau des modalités et 3) niveau micro ou niveau des activités d’enseignement/apprentissage.
Ces trois niveaux, définis à partir de l’analyse des pratiques de flexibilisation développées à l’Université Laval ont en commun de chercher à soutenir l’étudiant dans son engagement et sa persévérance et peuvent être combinés au sein d’une même formation.

Niveau macro : flexibilisation du parcours
La flexibilisation du parcours concerne plus particulièrement ce qui a trait à la temporalité de la réalisation de ce dernier et aux choix des unités d’enseignement suivies. L’étudiant a la possibilité de réaliser son parcours de formation sur une durée variable en lui offrant des alternatives pour ajuster le nombre d’unités d’enseignement auxquelles il est inscrit en fonction de ses disponibilités et capacités. Ainsi un étudiant peut obtenir le nombre de crédits nécessaires à la validation de son parcours sur une durée variable, par exemple de 3 à 5 ans en minimisant les risques d’échecs liés à une charge de travail trop importante par rapport à son contexte, ses capacités. Cette flexibilisation se différencie du semestre rebond en cela, qu’elle s’exerce avant que l’étudiant soit en échec. Cette possibilité suppose que l’étudiant puisse étudier à temps partiel selon un statut qui lui soit reconnu comme tel et non plus uniquement comme étudiant dispensé à qui revient la charge de faire face à son choix de ne pas suivre les cours. La flexibilité suppose l’exercice de la part de l’institution d’un éthique de la responsabilité afin que les degrés d’ouverture proposés soient efficients pour l’apprenant et ne renforce pas son stress et son anxiété. Pour l’accompagner dans cette flexibilité certaines universités étrangères autorisent les étudiants à se désinscrire d’une unité d’enseignement dans la limite d’une période établie sans aucune conséquence sur la suite de son cheminement, avec remboursement des frais d’inscription afférents.
Cette flexibilisation peut également être déclinée d’un semestre à l’autre, d’une année à une autre [2] en autorisant des réorientations sans perdre le bénéfice des crédits antérieurement acquis. Par exemple, les crédits obtenus sont conservés et au final contributifs à un diplôme multidisciplinaire.
Le choix des certaines unités d’enseignement dites optionnelles pour un cheminement donné peuvent contribuer à des réorientations en cela qu’elles permettent à l’étudiant de découvrir d’autres champs que ceux de son parcours principal et de choisir une nouvelle voie si besoin contribuant ainsi à un orientation active. Elle peut être envisagée dans une logique de reconnaissance d’acquis antérieurs que permet la valorisation des acquis de l’expérience, dans une démarche rétrospective offrant ainsi la possibilité à l’étudiant de suivre uniquement les unités d’enseignement manquantes pour l’obtention du diplôme. La logique d’anticipation peut soutenir l’exercice de la flexibilisation comme le traduit l’exercice du passage intégré qui contribue à une accélération du parcours. Par exemple à l’Université Laval, les options d’accélération des études permettent aux étudiants qui en démontrent la capacité de cheminer plus rapidement dans leurs parcours d’études aux cycles supérieurs. Le passage intégré à la maîtrise permet à un étudiant de 1er cycle de s’inscrire à des cours de 2e cycle lors de son cheminement au baccalauréat [3], selon certaines conditions. Certains crédits validés au 1er cycle sont reconnus au 2e cycle. Une autre déclinaison de la flexibilisation du parcours s’apparente à ce qui est nommé l’inscription inversée telle que l’utilisation de MOOC par exemple le permet. Les apprenants qui finalisent leur parcours au sein d’un MOOC, obtiennent un certificat qui peut être reconnu pour s’engager dans un parcours en bénéficiant également de crédits validés. Ce niveau macro de la flexibilisation suppose une approche globale des parcours qui anticipe les possibilités et conditions de changement de trajectoire de formation.

Niveau meso : flexibilisation des modalités
La flexibilisation des modalités d’enseignement et d’apprentissage exprime la possibilité offerte à l’étudiant inscrit à une formation, de combiner à la fois des unités d’enseignement suivies en présence et d’autres à distance. Cette bi-modalité de l’offre de formation répond aux besoins que rencontrent certains étudiants qui ne peuvent pour diverses raisons suivre les cours sur campus, tels, par exemple, les étudiants salariés, ou qui préfèrent apprendre chez eux lorsqu’ils s’agit de cours où les activités transmissives sont majoritaires. Cela n’implique pas que toute une formation soit à distance, mais que les unités d’enseignement les plus propices soient proposées selon une double modalité offrant ainsi le choix à l’étudiant de suivre les cours sur campus ou à distance. Cette ouverture rencontre l’intérêt des étudiants comme en atteste le cas de l’Université Laval à Québec qui depuis une vingtaine d’années à développé cette bi-modalité. Dans cet établissement, un étudiant sur deux suit au moins un cours à distance, et cette modalité représente 18 % de l’ensemble des crédits délivrés en 2015-2016.
La co-modalité complète cette flexibilisation. Elle est définie par la co-présence pendant un même cours, à un même horaire, d’étudiants en présence et à distance via des dispositifs de communication synchrone. La médiatisation des activités d’apprentissage et des ressources offre également la possibilité de suivre ce même cours à distance en mode asynchrone tout en bénéficiant d’échanges avec des étudiants qui suivent le cours dans l’un des deux autres modes.
Niveau micro  : flexibilisation des activités d’enseignement/apprentissage
La flexibilisation des activités d’enseignement/apprentissage vise à diversifier les pratiques pédagogiques au sein d’une même unité d’enseignement afin de rejoindre la diversité des modes et styles d’apprentissage des étudiants. Un équilibre peut ainsi être trouvé entre les pédagogies transmissives et les pédagogies actives. Il se traduit par l’hybridation de modalités du panel pédagogique qui peuvent soutenir les activités d’apprentissage. C’est par exemple dans cette dynamique que la classe inversée peut prendre tout son sens.

Numérique et flexibilité, quelles interactions ?

L’exercice de la flexibilisation convoque un ensemble d’outils et de services numériques qui permettent par la médiatisation de certaines activités de diversifier les espaces-temps de l’enseignement et de l’apprentissage, de proposer des outils d’aide au cheminement des étudiants dans leurs parcours.
La gestion du besoin de flexibilisation des parcours peut être anticipé par le déploiement d’outils de positionnement qui donnent la possibilité à l’étudiant et à l’équipe pédagogique avant l’entrée dans l’enseignement supérieur (exemple Faq2sciences, https://www.faq2sciences.fr/) de valider leur projet. De même l’analyse des traces d’activités [4] collectées dans les environnements numériques d’apprentissage peuvent contribuer à la gestion de la flexibilisation des parcours, et à l’accompagnement des étudiants dans leur persévérance aux études. Cette pratique des learning analytics contribue au dépistage précoce des étudiants en possible difficulté d’apprentissage. Ces modalités de suivi numérique relèvent de l’adpative learning en permettant à l’équipe pédagogique de mieux connaître le profil de l’étudiant et de proposer des activités de remédiation voire une réorientation de leur parcours initial.

Conclusion

La flexibilisation répond ainsi à un besoin de proximité organisationnelle des étudiants reconnaissant la diversité de leurs attentes et de leurs besoins. L’ouverture permise par la flexibilisation permet ainsi l’individualisation des parcours de formation des étudiants fondée sur l’adaptation des rythmes d’apprentissage et des modalités pédagogiques, exercice d’une agilité pédagogique. Réussir un tel projet de différenciation des parcours et des pratiques d’enseignement et d’apprentissage suppose une approche globale qui prend en compte les différentes dimensions de l’offre pédagogique. L’ensemble des acteurs (scolarité, équipes pédagogiques, services informatiques, services d’orientation, services d’aides aux étudiants) doivent ainsi être engagés dans un projet commun et interagir pour assurer la cohérence entre ces dimensions pour accompagner l’étudiant dans la réussite de son parcours. Pour ce faire il importe qu’une véritable stratégie soit portée par la gouvernance de l’établissement afin d’assurer le passage à l’échelle et de mobiliser des ressources humaines et matérielles pour soutenir les enseignants dans l’évolution de leur pratique, de leurs valeurs éducatives et de leur identité professionnelle, d’autant plus qu’il s’agit de développer la flexibilité à un niveau meso ou macro.
La condition première de la réussite d’actions de flexibilisation est la reconnaissance par l’institution éducative et les enseignants du principe d’un étudiant acteur de son projet de formation.
Reconnaître cette altérité contribue au développement chez l’étudiant de son désir de savoir et sa volonté de connaître, et d’être reconnu par uniquement comme cet Autre « étudiant » mais cet Autre moi-même, adulte et responsable.

Bibliographie

Bendouba, A. (1998). Les formations ouvertes : vers une économie de la formation. Actualité de la formation permanente, n° 156, septembre-octobre 1998

Collectif de Chasseneuil (2001). Accompagner des formations ouvertes, Paris : L’Harmattan.

Falzon, P. (2007). Enabling safety : issues in design and continuous design. Cognition, Technology and Work, 10(1), 7-14.

Leclerc, G., Nadeau, J.-R., Sauvé, L. et Poulin, N. (1988). Grille d’évaluation du niveau d’individualisation des programmes (GENIP). GRIIP : Document interne.

Paquelin, D. (2015). Attentes et pratiques des étudiants. Rapport interne Ministère de l’Éducation Nationale de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

Ricoeur, P. (1990). Soi-même comme un autre. Paris : Seuil.

Romainville, M., Michaut, C. (eds) (2012). Réussite, échec et abandon dans l’enseignement supérieur. Bruxelles : De Boeck.

Saint Onge, M.  (1993). Moi j’enseigne, mais eux apprennent-ils ? Montréal : Beauchemin.

Sen, A. (1985). Commodities and Capabilities. Oxford : Elsevier Science Publishers

Licence : CC by-sa

Portfolio

Notes

[1En 1996, l’AFNOR proposa une norme portant sur la définition d’une formation ouverte (FD X 50-751). Quelques années plus tôt une équipe québécoise proposa la grille d’évaluation du niveau d’individualisation des programmes (GENIP) qui présentait 13 degrésde flexibilité potentiels pour les programmes (Leclerc et Poulin, « Manuel explicatif de la grille d’évaluation du niveau d’individualisation des programmes, 1998). D’autres approches telles que GEODE viennent compléter ces propositions en présentant14 degrés de flexibilité (https://hal.inria.fr/file/index/docid/489395/filename/GEODE.pdf).

[2Pour exemple le projet Pluripass porté par l’université d’Angers (http://www.univ-angers.fr/fr/formation/pluripass.html).

[3Par simplification, le baccalauréat peut-être considéré dans le système québécois comme l’équivalent de la licence dans le système français.

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