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Pandémie de Covid-19 et institutionnalisation de l’enseignement à distance dans les universités québécoises

Un article repris de http://journals.openedition.org/dms/6815

Dans cet article, nous posons la question des impacts de la pandémie de Covid-19 sur l’institutionnalisation de l’enseignement à distance dans les universités québécoises. Nous comparons les logiques institutionnelles qui légitimaient l’enseignement à distance avant la pandémie avec les arguments qui sont avancés depuis le début de la pandémie et le recours « forcé » à ce mode d’enseignement. Nous basons notre analyse, d’une part, sur les publications gouvernementales et parapubliques avant la pandémie et, d’autre part, sur les articles de la presse québécoise publiés de mars 2020 à juin 2021. Cette analyse nous conduit à suggérer qu’une nouvelle logique institutionnelle est possiblement en émergence au sujet de l’enseignement à distance dans les universités traditionnelles, basée notamment sur la flexibilité, le choix et l’hybridité.

Un article repris de la revue Distances et médiations des savoirs, une publication sous licence CC by sa

Patrick Pelletier et Anne Mesny, « Pandémie de Covid-19 et institutionnalisation de l’enseignement à distance dans les universités québécoises », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 36 | 2021, mis en ligne le 16 décembre 2021, consulté le 27 décembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/dms/6815 ; DOI : https://doi.org/10.4000/dms.6815

Introduction

Alors qu’il était relativement marginal auparavant, l’enseignement à distance [1] est devenu, pendant la pandémie, le mode d’enseignement dominant, voire exclusif, dans les universités traditionnelles, c’est-à-dire les universités qui se sont fondées et développées en misant sur l’enseignement en présentiel, lequel représentait l’essentiel de leur offre d’enseignement. Le 13 mars 2020, la pandémie de Covid-19 a forcé les dix-sept universités traditionnelles du Québec à recourir dans l’urgence à l’enseignement à distance en raison du confinement et de l’impossibilité de l’enseignement présentiel. Au fil des mois, l’urgence a graduellement laissé la place à un apprivoisement de ce mode d’enseignement et à toute une série d’expérimentations plus ou moins heureuses. De nombreuses voix se sont élevées pour rendre compte des pratiques expérimentées, tenter de faire sens des changements introduits par l’enseignement à distance, en dénoncer les effets néfastes ou en souligner les bienfaits. Au moment où nous rédigeons cet article (novembre 2021), les universités connaissent leur seconde rentrée d’automne sous le signe de la pandémie. Alors que beaucoup de cours et d’activités en présentiel ont pu reprendre, l’enseignement à distance, après un an et demi de pratique, reste bien présent. Se pose de plus en plus la question de savoir quelle place lui accorder après la pandémie, lorsqu’un retour complet au présentiel sera possible.

Deux prédictions s’opposent à ce sujet. D’un côté, on pourrait assister à l’accélération de l’institutionnalisation de l’enseignement à distance puisque la pandémie a propulsé ce dernier de statut « d’enseignement de second choix » à une « possibilité raisonnable en premier choix » (Vidal, 2020). Certaines études semblent déjà indiquer que la pandémie a amélioré l’acceptabilité de l’enseignement en ligne (Audran et al., 2021). D’un autre côté, le fait que l’enseignement à distance durant la pandémie ait été un enseignement en urgence dans un contexte de crise sanitaire mondiale pourrait vouloir dire qu’il sera très difficile de dépasser les perceptions négatives associées à cette crise et à l’adoption de pratiques d’urgence souvent non conformes aux bonnes pratiques en matière d’enseignement à distance (Darby, 2021). Dans cette perspective, la pandémie aurait donc comme effet de freiner l’institutionnalisation de l’enseignement à distance dans les universités traditionnelles.

Dans cet article, nous posons la question de la place que les universités traditionnelles québécoises accorderont à l’enseignement à distance après la pandémie. Est-ce que l’adoption « forcée » de ce mode d’enseignement est le prélude ou le catalyseur d’une plus grande institutionnalisation de l’enseignement à distance dans les universités présentielles ? Est-ce que les logiques institutionnelles (Thornton, Ocasio et Lounsbury, 2012) qui légitimaient l’enseignement à distance avant la pandémie sont en train de se transformer ? Si oui, quelles sont les valeurs, normes et pratiques qui émergent ou prennent de l’importance ?

Dans la première partie de l’article, nous présentons le cadre théorique et méthodologique de la recherche. Sur le plan théorique, nous mobilisons le concept de logique institutionnelle issu de la théorie néo-institutionnelle sociologique [2] (Dimaggio et Powell, 1983). Sur le plan méthodologique, nous analysons les discours témoignant de ces logiques institutionnelles installées (avant la pandémie) ou en gestation (depuis le début de la pandémie) avec l’analyse du discours des publications gouvernementales et parapubliques pour les premières, et l’analyse des articles de la presse québécoise publiés de mars 2020 à juin 2021, pour les secondes. Dans la deuxième partie, nous présentons les quatre logiques institutionnelles qui prévalaient avant la pandémie, soit une logique d’internationalisation de la concurrence, de collaboration inter-organisationnelle, de réduction des coûts et d’accessibilité à l’éducation supérieure. La troisième partie est consacrée aux discours sur l’enseignement à distance depuis le début de la pandémie, et aux croyances, valeurs, normes et pratiques qui le légitiment ou le délégitiment. En analysant les arguments pour ou contre l’enseignement à distance qui sont relayés dans la presse québécoise, nous suggérons qu’une nouvelle logique institutionnelle est possiblement en émergence basée notamment sur la flexibilité et le choix. Finalement, dans la quatrième et dernière partie, nous analysons en quoi une telle logique se distinguerait des logiques institutionnelles antérieures et soulevons plusieurs enjeux associés à ces nouvelles valeurs et pratiques liées à l’enseignement à distance.

Cadre théorique et méthodologique

Notre démarche emprunte à la théorie néo-institutionnelle sociologique (Dimaggio et Powell, 1983) qui soutient que les organisations sont imbriquées dans des réseaux de croyances, de valeurs et de normes qui les amènent à adopter les pratiques les plus légitimées par les institutions de leur environnement. En cela, les organisations sont le produit des institutions qui les influencent dans leurs représentations de la réalité. Le concept de logique institutionnelle renvoie aux systèmes de croyances et de valeurs historiquement situés et socialement partagés qui conditionnent la quête de légitimité des organisations auprès des institutions (Thornton, Ocasio et Lounsbury, 2012). Le concept amène à explorer les raisons et les manières par lesquelles les universités québécoises en viennent à juger légitime l’enseignement à distance comme pratique à intégrer à leurs offres d’enseignement.

Pour la théorie néo-institutionnelle, les organisations évoluent dans des environnements caractérisés par la coexistence de différentes logiques institutionnelles, ce qui leur procure une latitude sur le plan stratégique (Greenwood et al. 2011). En fonction des ressources dont elles disposent, des problématiques qu’elles cherchent à résoudre ou encore des opportunités qu’elles tendent à saisir, les organisations effectuent un « bricolage » des logiques institutionnelles de leur environnement (Christiansen et Lounsbury, 2013). Elles priorisent certaines logiques au détriment d’autres (Lee et Lounsbury, 2015), préférant celles correspondant à leurs croyances traditionnelles et valeurs professionnelles (Greenwood, Suddaby et Hinngs, 2002) et leurs aspirations identitaires (Kodeih et Greenwood, 2014).

Afin de dégager les logiques institutionnelles de l’enseignement à distance avant la pandémie, nous avons analysé les discours des différentes institutions gouvernementales et parapubliques québécoises : gouvernement du Québec (GQ), ministère de l’Éducation (MEQ), Conseil supérieur de l’éducation [3] (CSE) et Conférence des recteurs et principaux des universités [4] (CREPUQ), au sujet d’enseignement à distance dans les universités présentielles [5]. Notre intérêt est de comprendre pourquoi (les raisons : les croyances et valeurs) et comment (les manières : les stratégies) ces universités devaient, selon ces institutions, développer l’enseignement à distance comme pratique.

Par une approche inductive d’analyse du contenu de ces publications (Miles et Huberman, 2003), nous avons relevé sur la période 1994-2020 les convergences et les divergences entre les discours institutionnels de légitimation de l’enseignement à distance et les pratiques des universités. Cela nous a conduits à distinguer quatre grandes logiques institutionnelles, que l’on a confronté ensuite aux pratiques documentées des universités québécoises en matière d’enseignement à distance durant la même période, afin d’apprécier le degré d’appropriation ou de « déploiement » de ces logiques institutionnelles.

Pour tenter de cerner les normes, croyances, valeurs et pratiques qui sont véhiculées au sujet de l’enseignement à distance depuis le début de la pandémie, nous avons analysé les discours de la presse grand public et de la presse spécialisée en éducation supérieure. Nous avons sélectionné les articles qui portaient sur l’enseignement supérieur ou sur l’enseignement à distance dans les universités depuis le « début » de la pandémie (13 mars 2020, date de la fermeture des universités au Québec et du début du premier confinement) jusqu’à la fin juin 2021, soit après une année universitaire complète d’enseignement à distance « forcé ». Nous avons analysé les articles parus durant cette période dans la presse généraliste québécoise ou canadienne (journaux « La Presse » et « Le Devoir » et le site web de Radio-Canada) et dans la revue professionnelle canadienne en ligne « Affaires universitaires », la seule revue canadienne professionnelle en éducation supérieure. Ce sont au total 71 articles qui ont été retenus (voir la liste des articles en Annexe 3).

Nous avons analysé ces articles selon trois grandes dimensions :

 Les parties prenantes qui ont la parole dans les articles et dont les arguments et perspectives sont relayées (à qui donne-t-on la parole ?). Nous avons distingué sept parties prenantes : (a) les étudiants (qui s’expriment à titre individuel ou en tant que représentants de différents regroupements ou syndicats d’étudiants comme l’Union étudiante du Québec ou la Fédération canadienne des étudiantes et des étudiants) ; (b) les enseignants (qui s’expriment à titre individuel ou en tant que représentants de différents regroupements ou syndicats d’enseignants comme la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec, la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université, l’association canadienne des professeurs d’université) ; (c) les directions d’université (recteurs, vice-recteurs, doyens, vice-doyens, directeurs d’établissement ou de programmes) ; (d) le gouvernement (gouvernement du Québec, en particulier le Premier ministre et la ministre de l’Enseignement supérieur) ; (e) les experts en éducation ou en enseignement à distance (professeurs en sciences de l’éducation, professeurs spécialistes en enseignement à distance, titulaires de chaires de recherche sur le numérique en éducation, etc.) ; (f) les parents et (g) les autres. Pour presque tous les articles, il était facile d’identifier une partie prenante qui dominait ; pour quelques articles, quand la « voix » était vraiment partagée entre deux parties prenantes, l’article était codé pour ces deux parties prenantes [6].

 La position de l’article vis-à-vis de l’enseignement à distance : neutre, favorable ou défavorable. Les articles « neutres » sont ceux qui étaient strictement factuels (ils présentaient les mesures adoptées par le gouvernement pour lutter contre la pandémie sans dimension ou visée argumentative au sujet de l’enseignement à distance), soit cherchaient à donner une vision équilibrée des bienfaits et des limites de l’enseignement à distance, soit suggéraient qu’il était prématuré de se prononcer sur les effets de l’enseignement à distance durant la pandémie. Les articles favorables ou défavorables étaient ceux qui avaient une dimension ou une visée argumentative (Amossy, 2021) au sujet de l’enseignement à distance. Certains articles cherchaient à faire accepter une thèse bien définie et à persuader le lecteur de bienfaits ou d’effets néfastes de l’enseignement à distance. D’autres, sans s’afficher comme « une entreprise de persuasion », « font partager un point de vue sur le réel, renforcent des valeurs, orientent la réflexion » (Amossy, 2000, p. 25) et finissent par donner une « couleur » positive ou négative à l’enseignement à distance (par exemple lorsqu’on suggère qu’opposer distance et présentiel est un faux débat et que la question est ailleurs : « une bonne pédagogie est essentielle à l’enseignement, qu’il soit en ligne ou en personne » article 34). À l’exception de trois articles, tous ont pu être codés comme étant soit neutres, soit favorables, soit défavorables. Deux articles présentaient des arguments de parties prenantes différentes dont certaines étaient favorables et d’autre défavorables, sans chercher à les concilier et sans pencher vers l’une ou l’autre position. Ces articles ont donc été codés à la fois comme « favorable » et comme « défavorable » [7].

 Les pratiques concrètes décrites et mises de l’avant au sujet de l’enseignement et de l’enseignement à distance. Les arguments favorables ou défavorables déployés dans les articles étaient souvent appuyés par le compte-rendu de pratiques précises mises en place.

Pour raffiner l’analyse, nous avons distingué trois périodes : une première couvre les mois de mars à fin août 2020, soit depuis la fermeture des universités le 13 mars 2020, le premier confinement et le basculement en urgence vers l’enseignement à distance, jusqu’à la rentrée universitaire de l’automne 2020 sous le signe d’un enseignement à distance quasi généralisé. La deuxième s’étend de début septembre à fin décembre 2020 et renvoie donc à la session d’automne 2020 presque entièrement à distance, mais moins dans l’urgence et avec les « apprentissages » des mois précédents. Enfin, la troisième couvre les mois de janvier à juin 2021, soit les sessions d’hiver et d’été 2021, caractérisées par un retour limité au présentiel et la perspective d’un retour plus massif au présentiel pour la rentrée de l’automne 2021.

L’analyse des articles nous a permis de dégager certaines valeurs, croyances, normes et pratiques associées à l’enseignement à distance dans les universités québécoises depuis le début de la pandémie. Par rapport aux logiques institutionnelles établies qui soutenaient l’enseignement à distance avant la pandémie, cette analyse permet de circonscrire le « bricolage » actuel d’une nouvelle forme de légitimation de l’enseignement à distance.

Les logiques institutionnelles de l’enseignement à distance dans les universités québécoises traditionnelles avant la pandémie

Les spécificités du champ institutionnel universitaire québécois

Le champ institutionnel universitaire québécois est constitué de dix-huit universités, organisations qualifiées de semi-publiques évoluant dans un contexte de quasi-marché créé par l’État québécois (Demers, Bernatchez et Umbriaco, 2019). Dix de ces universités sont des constituantes du réseau de l’Université du Québec (UQ) qui, depuis sa création en 1968, est voué à favoriser l’accessibilité à l’enseignement supérieur. L’une de ces constituantes, la TÉLUQ fondée en 1972, se consacre entièrement à l’enseignement à distance. Les huit autres universités (dont trois anglophones) sont dites « à charte ». Les dix-huit universités québécoises ont une grande autonomie sur les plans académique et budgétaire, notamment en matière de développement de l’enseignement à distance. Les définitions, méthodologies et indicateurs employés étant variables d’une université à l’autre, il est difficile d’avoir un portrait précis de la place qu’y occupe l’enseignement à distance (CSE, 2015). Différentes données nous permettent néanmoins de définir un certain niveau d’institutionnalisation.

En dehors des mandats confiés à l’Université TELUQ depuis sa fondation, il n’existe pas d’engagement explicite étatique en matière d’enseignement à distance au Québec avant 2018. Dans la foulée du dévoilement de la « Stratégie numérique du Québec », le gouvernement du Québec a déposé un Plan d’action en éducation et enseignement supérieur privilégiant le déploiement d’un campus numérique national. En 2020, il est établi qu’il visera à « optimiser l’expérience étudiante et la fluidité des parcours ; regrouper l’offre de formation à distance pour en accroître l’attractivité ; favoriser les partenariats et le développement concerté de l’offre pour le bénéfice de tous ; valoriser les bonnes pratiques, le partage et la mutualisation des ressources ; créer des lieux d’échanges, collaborer et innover par l’expérimentation et la recherche » [8]. En 2021, différents projets d’environnement numérique d’apprentissage proposés sous le mode de la collaboration inter-universitaire étaient financés [9] mais aucun d’entre eux n’étaient des cours ou des programmes à distance crédités.

Selon le gouvernement du Québec, en 2017, seize universités québécoises, dont la TÉLUQ proposaient des cours (2457) et des programmes (424 dont 404 à la formation régulière) à distance, offerts majoritairement en mode asynchrone (72% de l’offre). Onze universités utilisaient des mécanismes d’évaluation et d’accréditation de leur offre à distance. Environ le quart des universités avaient mis en place des unités vouées à l’enseignement à distance (Julien et Gosselin, 2016). Puis, cinq avaient modifié les conventions collectives de leurs professeurs afin d’introduire des clauses favorisant le développement de l’enseignement à distance. D’autres universités prévoyaient le faire. Différentes déclinaisons du vocabulaire associé à l’enseignement à distance du terme (enseignement à distance, virtuel, numérique, en ligne, flexible et hybride) sont mobilisées dans les derniers plans stratégiques de 14 universités (voir en Annexe 2).

De 1995 à 2016, l’augmentation des inscriptions-cours à distance est évaluée à 239% dans trois universités : TÉLUQ, Université de Montréal et Université Laval (Parr, 2017). Cette dernière est majoritairement responsable de la progression. Depuis 2012, on y retrouve le plus grand nombre d’inscriptions-cours à distance au Québec et une politique de formation à distance ayant pour principes la libération des professeurs pour la conception de cours à distance ou hybrides et leur inclusion, lorsque diffusés, dans leur tâche normale d’enseignant. Différents incitatifs financiers et d’accompagnement ont été mis en place (Paquelin, 2016). En 2013, « Poursuivre le développement et l’adaptation des programmes en présentiel et en ligne en affirmant le leadership de l’Université Laval comme établissement bimodal … » et « Accentuer la flexibilité des programmes et de l’offre de cours, et diversifier les horaires pour s’adapter aux réalités étudiantes et favoriser la conciliation études-travail-famille » [10] étaient les objectifs priorisés dans le plan stratégique 2013-2017. L’Université Laval est la seule université traditionnelle au Québec qui inscrit l’enseignement à distance dans son identité même, puisqu’elle se définit depuis quelques années comme une université bimodale qui combine enseignement en présence et enseignement à distance. En 2021, elle proposait 1 000 cours en ligne et 125 programmes à distance [11].

Sur la base des discours institutionnels québécois (GQ, MEQ, CREPUQ et CSE), nous avançons que la légitimité de l’enseignement à distance reposait avant la pandémie sur quatre logiques institutionnelles : (1) l’accroissement et l’internationalisation de la concurrence ; (2) la collaboration inter-organisationnelle ; (3) la réduction des coûts et 4) l’accessibilité à l’enseignement supérieur.

Nous verrons que ces logiques reposent le plus souvent sur une rhétorique fortement déterministe : les technologies sont une fin en soi, une réponse à un avenir incertain et il est nécessaire que la société québécoise s’y adapte. Chaque logique pose comme un fait ou une nécessité qui sont pourtant questionnables, particulièrement lorsqu’associés aux traits distinctifs et interdépendants de l’industrialisation de l’éducation identifiés par Mœglin (2016) : l’idéologisation (les discours contiennent des récits mobilisateurs pour répondre à l’évolution des sociétés), la technologisation (les discours prescrivent des pratiques et des usages modelés sur la dimension matérielle des outils et médias qui leur est intrinsèque) et la rationalisation (les discours définissent la concentration des moyens financiers, humains et techniques comme critères de rendement et de rentabilité des pratiques).

L’accroissement et l’internationalisation de la concurrence

L’enseignement à distance est associé à une stratégie de positionnement dans un marché international qui semble avoir peu interpellé ces 25 dernières années les universités et la population étudiante du Québec.

En 1994, le CSE prévient que « les universités québécoises courent le risque de se faire damer le pion par les universités américaines si elles ne développent pas, dans les plus brefs délais, une offre de cours plus étendue sous forme multimédia et à distance » (p. 43). Pour la CREPUQ en 1996, l’enseignement à distance permet « de rejoindre des populations très diversifiées et lointaines » (p. 15), ce qui place « les universités dans un contexte de concurrence internationale entièrement inédit, aux effets difficiles à prévoir » (p. 15). En 2000, le CSE pointe une concurrence accrue « à la fois entre les établissements et entre les pays », avec l’arrivée de nouveaux organismes de formation motivés par la lucrativité. Il invite les universités québécoises à se tailler une place « dans l’univers de la formation en ligne, et qu’elle assume un certain leadership à cet égard dans la francophonie » (p. 115).

En 2018, le GQ cherche à positionner les universités par le déploiement de son campus numérique national, à défaut de quoi les étudiants iront voir ailleurs : « l’atténuation des frontières traditionnelles de l’enseignement supérieur ouvre la voie à de nouveaux marchés pour le recrutement étudiant. Or, encore faut-il que l’offre québécoise se démarque pour attirer les étudiants internationaux et retenir les étudiants québécois, qui se tournent de plus en plus vers des établissements hors Québec pour suivre des cours et des programmes à distance » (GQ, 2018, p. 8).

Ainsi, il semble quasiment impossible de questionner la « réalité » de cette concurrence internationale accrue, tant semble forte la croyance que l’éducation supérieure est devenue un marché où seuls les plus innovants pourront survivre et prospérer [12]. Pourtant, avant la pandémie, les signes que les universités québécoises faisaient face à une concurrence mondiale de plus en plus forte étaient pour le moins ambigus. Par exemple, le MEQ reconnaissait en 2003 que « la demande d’inscription en provenance de pays étrangers n’a pas été très forte » ; il invoquait des contraintes réglementaires ainsi que les « coûts élevés de scolarité qu’il faut imposer à tout étudiant étranger » (Audet, 2012, p. 52). En 2015, le CSE ne pouvait dénombrer, même sommairement, les étudiants qui suivent du Québec une formation à distance offerte par un établissement situé hors Québec. Ainsi, « Interrogés à ce sujet, les représentants d’universités québécoises soutiennent que la « menace » que peuvent représenter les formations à distance offertes à l’étranger s’apparente davantage à un mythe qu’à une réalité. Concrètement, ils n’observent pas de désenchantement ou de désaffiliation des Québécois à l’égard des universités québécoises au profit d’établissements étrangers » (p. 66).

La collaboration inter-organisationnelle

Dès le milieu des années 1990, la collaboration est présentée comme le moyen clé pour répondre à la concurrence internationale accrue et donner au Québec une chance de s’y positionner en matière d’enseignement à distance. Il s’agit de collaborer pour développer des « contenus » de grande qualité au lieu de dupliquer des contenus de moindre qualité quand chaque université travaille dans son coin à développer une offre d’enseignement à distance.

Le CSE (1996) soutient que « la concurrence entre établissements produit une dispersion considérable des efforts et des chevauchements en matière de formation à distance […] la dispersion des activités de formation à distance […] empêche de faire des économies d’échelle qui pourraient se traduire par une plus grande accessibilité des services de formation à un plus grand nombre d’adultes » (p. 76). Pour la CREPUQ en 1996, il convient de « repenser les modes de concertation et de coopération interuniversitaire à l’intérieur du réseau universitaire québécois, afin que ces établissements puissent faire face à la compétition et répondre à la demande, compte tenu du fait que toutes deux deviendront de plus en plus fréquemment de l’extérieur » (p. 9). Le GQ soutient en 1998 que : « si, dès à présent, le Québec n’investit pas dans l’élaboration, basée sur la collaboration, de contenus universitaires de haut niveau, l’effet pourrait être lourd de conséquences » (p. 34). La CREPUQ précise en 1999 que les partenariats représentent une voie d’avenir « indéniable » pour le rayonnement du Québec en Afrique, voire en Amérique latine, et que « la position du Québec comme plaque tournante naturelle entre l’Amérique et l’Europe représente un atout qui devrait être mis à profit » (p. 9). En 2007, la CREPUQ soutient que les partenariats permettent aux universités québécoises de « se positionner sur l’échiquier international marqué par une tendance de plus en plus soutenue vers le partage de contenus » (p. 8). Néanmoins, la collaboration entre universités québécoises ne va pas de soi et les institutions reconnaissent les enjeux qu’elle soulève : « Comment chaque université tirera-t-elle son épingle du jeu dans les changements qui s’annoncent ? Les universités pourront-elles s’entraider en s’appuyant sur l’expertise que certaines d’entre elles ont pu développer (la Télé-université, par exemple) ou au contraire se feront-elles toutes concurrence sur Internet pour attirer de nouvelles « clientèles » ou fidéliser celles qu’elles ont déjà ? » (CSE, 2000, p. 115).

Bien que le GQ soutienne en 2018 que la création du campus numérique favorisera la collaboration entre les universités, il ne semble pas du tout clair qu’elles y soient favorables, elles qui, au cours des dernières années, ont peu collaboré et se sont concurrencées en mettant en place des activités d’enseignement à distance (Julien et Gosselin, 2016). Dans une étude sur les écoles de gestion québécoises, il été montré que le développement de trois programmes à distance développés en partenariat afin de répondre aux pressions institutionnelles légitimant la collaboration a été ardu en raison de la difficile conciliation des modes de fonctionnement des partenaires, de la faible disponibilité des collaborateurs, du manque de soutien des administrations et de la faiblesse de l’expertise pédagogique (Pelletier, 2013). Ces partenariats n’ont pas duré. On évoque de mauvaises évaluations de marché, tant à l’échelle nationale qu’internationale, ce qui n’est pas sans questionner l’autre logique institutionnelle ayant guidé ces collaborations : la réduction des coûts.

La réduction des coûts

En 1996, le CSE expose le potentiel offert par les modes d’enseignement qui s’appuient sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication « comme une solution permettant de réduire la croissance des coûts ; parce qu’il supporterait de nouvelles formes de partage du travail d’enseignement et d’encadrement qui seraient moins coûteuses » (p. 460). Ces nouvelles formes du travail enseignant soulèvent toutefois des « inquiétudes à propos de l’emploi, du risque de voir diminuer le nombre de professeurs, des relations entre les professeurs et les étudiants et de l’accessibilité de ces nouvelles technologies » (p. 46).

En 1999, le GQ soutient dans un document sur la formation continue que l’enseignement à distance « est moins coûteux que le mode traditionnel d’enseignement » (p. 65), argument réitéré en 2000 par le CSE. En 2015, cette même institution met cependant « en garde les décideurs et acteurs universitaires contre une recherche d’économies au détriment de la qualité de la formation » (p. 126). En 2017, le GQ soutient, à propos du campus numérique, que « le partage des expérimentations, des apprentissages et des innovations permettra de réduire les coûts, de reproduire des succès, de mieux gérer les risques et de gagner en cohérence » (p. 24).

Il y a peu de données permettant d’évaluer de manière précise les coûts de l’enseignement à distance de sorte que, comme le précise le CSE en 2015, « les points de vue des administrateurs au sujet des économies possibles grâce à la formation en ligne relèvent surtout de l’impression » (p. 34). On peut cependant avancer que l’enseignement à distance implique des (ré)investissements technologiques majeurs (achat, mise à jour permanente et significative des équipements et des infrastructures) et que le soutien, l’accompagnement et la formation des professeurs aux implications techno-pédagogiques de la distance représentent des coûts substantiels, tout comme la conversion ou la conception de programmes en ligne, ainsi que l’encadrement et le soutien aux étudiants. C’est dans une perspective à long terme et par la croissance des inscriptions que des économies peuvent être possibles (CSE, 2015).

La logique d’une réduction de coûts est attirante dans la mesure où les universités québécoises ont été, comme bien d’autres, soumises à des réductions de leur financement public, lequel représente la majeure partie de leur budget, et qu’elles ont atteint certaines limites dans leur capacité d’accueil sur campus (Julien et Gosselin, 2016). La formation à distance est liée à une forme industrialisée de productivité et de rentabilité de l’acte éducatif (Guillemet, 2004 ; Mœglin, 2016). Par ailleurs, l’amalgame croissant entre enseignement à distance et enseignement en ligne a renforcé l’idée que « des dizaines de milliers d’étudiants pourraient rejoindre des programmes d’enseignement supérieur à moindre coût, par rapport à l’enseignement en classe » (Guri-Rosenblit en 2005, p. 18, traduction libre), ce qui nous amène à la dernière logique institutionnelle concernant l’accessibilité à l’enseignement supérieur.

L’accessibilité à l’éducation supérieure

Depuis 1966 [13], l’accessibilité (sociale, géographique et financière) à l’enseignement supérieur est une valeur fondamentale des universités québécoises (Bertrand, 2010). Avant l’avènement des technologies de l’information et de la communication, il est reconnu que l’enseignement à distance « a permis de répondre à des besoins de formation initiale ou continue d’individus qui ne pouvaient se prévaloir des services offerts dans le cadre de l’enseignement traditionnel : adultes au travail, mères au foyer, handicapés physiques, enfants malades, populations éloignées de toute ressource scolaire, etc. » (CSE, 2000, p. 57). L’accessibilité sur le plan géographique « fait l’objet d’un large consensus dans les milieux universitaires … » (p. 108). Il en est de même pour l’accessibilité financière « dans la mesure où les étudiants qui recourent à l’enseignement à distance « peuvent conserver leur emploi ou éviter certaines dépenses liées, par exemple, aux déplacements, aux déménagements ou aux frais de garde d’enfants » (p. 109).

Le MEQ dépose en 2000 une politique des universités québécoises qui invite celles-ci à « s’assurer de l’accessibilité géographique aux études universitaires, notamment par la présence de l’université dans les régions et par le développement de la formation à distance » (MEQ, 2000, p. 22). En 2012, la CREPUQ souligne que cet enseignement ne suffit pas pour répondre aux objectifs d’accessibilité : « les établissements [devant] aussi sortir de leurs campus principaux pour aller là où sont les bassins d’étudiants ». (p. 4). En 2020, le GQ soutient que l’enseignement à distance est l’un des moyens identifiés pour accroitre l’accessibilité. Il faut l’utiliser « comme un moyen et non une fin en soi, avec un esprit pédagogique critique et en tenant compte de l’accès très inégal aux technologies numériques sur le territoire québécois » (GQ, 2020, p. 32).

L’enseignement à distance est donc présenté comme l’une des voies privilégiées pour assurer l’accessibilité à l’enseignement supérieur au Québec. Et comme le montre Paquelin (2014), « Il s’agit moins aujourd’hui de gérer la question de la distance géographique, de l’empêchement classique à suivre des cours en présentiel, que de mettre à disposition des supports et activités pédagogiques dans un environnement numérique qui accompagne l’évolution des pratiques de formation des étudiants et de leur rapport à l’institution » [14]. L’enseignement à distance devient une réponse à des besoins de proximité et d’ajustements entre les espaces-temps de la formation, de la vie professionnelle et de la vie familiale et personnelle (Paquelin, 2016). Comme nous le verrons plus loin, il devient davantage question de flexibilité que d’accessibilité.

Le recours forcé de toutes les universités québécoises à l’enseignement à distance avec la pandémie s’insère donc dans des logiques institutionnelles préexistantes qui mettaient de l’avant l’internationalisation de la concurrence, la coopération inter-organisationnelle, la réduction des coûts et l’accessibilité. Dans ce qui suit, nous nous tournons vers les discours tenus au sujet de l’enseignement à distance depuis le début de la pandémie. Au-delà d’une mesure d’urgence imposée en réponse à une crise sanitaire majeure, comment l’enseignement à distance est-il légitimé et quelle place prévoit-on lui accorder après la pandémie ?

L’enseignement à distance dans les universités québécoises depuis le début de la pandémie

Afin d’explorer les valeurs, normes, croyances et pratiques associées à l’enseignement à distance depuis le début de la pandémie, nous nous sommes intéressés aux discours véhiculés au sujet de l’enseignement à distance au Québec depuis le début de la pandémie dans la presse québécoise grand public et spécialisée en éducation supérieure. Le Tableau 1 présente la répartition des articles analysés15 en fonction de leur positionnement neutre ; favorable ou défavorable sur l’enseignement à distance et en fonction des parties prenantes à qui l’on donne la parole et de la période considérée.

Tableau 1. Le positionnement des articles analysés sur l’enseignement à distance (mars 2020 à juin 2021)

Durant la période 1 (13 mars à fin août 2020), le discours concernant l’enseignement à distance est plutôt neutre et factuel : ce sont essentiellement les directions d’universités qui prennent la parole pour expliquer le basculement en urgence vers l’enseignement à distance et les mesures prises pour assurer la continuité des apprentissages. Cette « neutralité » s’amenuise et disparaît à mesure que les premiers effets concrets de la pandémie et de l’enseignement à distance généralisé se font sentir et sont documentés. Durant la deuxième période (début septembre à fin décembre 2020), le discours sur l’enseignement à distance est majoritairement négatif et renvoie surtout aux problèmes d’isolement et de santé mentale des étudiants, problèmes relayés par les étudiants eux-mêmes et par les enseignants. À partir de janvier 2021, le discours est beaucoup plus équilibré avec une augmentation des articles qui sont plutôt favorables à l’enseignement à distance ; se dégage de plus en plus l’idée qu’il y a des pratiques d’enseignement à distance à conserver après la pandémie et que l’avenir est aux modes d’enseignement hybrides qui combinent présence et distance.

« Contre » l’enseignement à distance après la pandémie

Une grande partie des articles recensés, et les arguments du gouvernement en particulier, partent du principe que l’enseignement à distance est une mesure d’urgence et compensatoire temporaire durant la pandémie et que l’objectif est de retourner le plus rapidement et complètement possible à l’enseignement présentiel.

La raison principale mise de l’avant pour rejeter l’enseignement à distance est l’isolement social des étudiants qu’il implique : cet isolement entraîne ou exacerbe des problèmes de santé mentale (stress, anxiété, dépression, détresse psychologique) ainsi qu’une perte de motivation et de sentiment d’appartenance à un collectif universitaire :

« L’enseignement à distance ne remplace aucunement en qualité celui en présence. […] Nous espérons grandement que les directions des écoles supérieures proposeront très vite de retourner à l’enseignement majoritairement en présentiel, qui remplit un besoin vital pour le développement psychosocial et émotionnel de nos jeunes citoyens. [...] » (article 55)

C’est bien souvent l’enseignement à distance en situation d’urgence, d’incompétence et de manque de ressources, plus que l’enseignement à distance lui-même, que l’on rejette (« On n’est pas des spécialistes de la formation en ligne […] On fait de notre mieux, mais on n’est pas des spécialistes de ça » article 19). Du côté des enseignants, on pointe du doigt la « rapidité de la transition vers l’enseignement à distance, [les] difficultés à mener leurs recherches, [la] conciliation travail-famille, [les] inquiétudes sur la qualité de l’enseignement et [le] niveau de stress beaucoup plus élevé […] alors que la charge de travail a augmenté de façon considérable » (article 15).

Une bonne partie des articles qui sont défavorables à l’enseignement à distance peinent à faire la différence entre l’enseignement à distance en contexte de pandémie et hors contexte pandémique. Il est pourtant clair que l’isolement est davantage lié à la pandémie qu’aux cours à distance. Début février 2021, lorsque le gouvernement annonce une reprise de certaines activités en présentiel dans les universités, c’est la sortie de l’isolement et les aspects sociaux « hors cours » qui sont célébrés avant tout. Cet aspect n’est pas anodin, car il ouvre la porte à un possible argument pour intensifier l’enseignement à distance après la pandémie : dans un contexte où les étudiants ont retrouvé leur vie sociale et leur vie de campus, on peut penser qu’avoir leurs cours ou une partie de leurs cours à distance n’entraînerait plus ces problèmes de santé mentale.

Très peu d’articles s’attachent à « faire le tri » entre les aspects négatifs de l’enseignement à distance qui sont liés au contexte pandémique et ceux qui sont indépendants de la pandémie. Ceux qui le font soutiennent que, « depuis plusieurs années, nous voyons monter en puissance une idéologie qui célèbre la migration vers le virtuel et la technopédagogie comme une panacée, sans qu’aucune étude sérieuse démontre son efficacité pédagogique réelle » (article 61). Du côté des enseignants, l’enseignement à distance implique de façon générale « une augmentation de la tâche [des enseignants], une réduction à la baisse des contenus qu’il est possible de transmettre, une perte sur le plan de la collaboration avec les collègues dans les départements et la communauté collégiale, et une augmentation du plagiat » (article 61). Avec la pédagogie « numérisée », « c’est la dimension collective des relations éducatives, en particulier dans leurs manifestations affectives et politiques, qui se voit supprimée » (article 66). Enseignants et étudiants soutiennent également que les problèmes d’équité associés à l’enseignement à distance (accès à Internet et aux ressources technologiques, notamment) sont un trait structurel et ne se limitent pas à la pandémie. Par ailleurs, les étudiants déclarent préférer les cours en présentiel aux cours à distance pour « le sentiment d’appartenance et les relations amicales, […] les signaux sociaux, (…) la motivation, (…) la concentration, (…) la confidentialité, la « routine et la discipline » et (…) la « synergie du campus » que les cours en présentiel permettent (article 45) et questionnent la valeur d’un diplôme obtenu à distance en raison notamment de la tricherie associée aux évaluations dans des cours à distance (articles 26 et 42).

Puisque, d’une part, on prône le retour au présentiel et que, d’autre part, la pandémie qui perdure continue d’imposer des restrictions, on voit émerger début 2021 des arguments pour un mode hybride qui donnerait aux étudiants le choix d’être en présentiel ou à distance, et qui permettrait à tous ceux qui le souhaitent d’être en présentiel :

« Il est temps que les étudiants reviennent sur les bancs d’école et retrouvent une vie sociale. (…) Il n’est pas question de forcer les étudiants à retourner en classe. Certains peuvent avoir des raisons de santé de rester en isolement, tandis que d’autres sont retournés vivre dans leur région natale. Il faut donc miser sur une formule hybride, où les étudiants auront le choix de suivre le cours sur place ou à distance » (article 54)

Étant donné l’amalgame qui est fait entre enseignement à distance en général et problèmes directement liés à la pandémie (isolement social, anxiété, mauvais design des cours et des évaluations à distance déployés), et étant donné que presque la moitié (48%) des articles ont un positionnement défavorable à l’enseignement à distance, il n’est donc pas du tout sûr que la pandémie occasionne une accélération de son institutionnalisation. Cependant, le discours qui lui est favorable contient plusieurs éléments clés qui pourraient changer la donne.

« Pour » l’enseignement à distance après la pandémie

Environ un tiers (31%) des articles analysés sont favorables à l’enseignement à distance et laissent entendre que plusieurs pratiques issues de l’expérimentation forcée durant la pandémie devaient perdurer après. Passés les mois d’urgence et d’improvisation de la première période (mars à août 2020), il devient de plus en plus question de « pérenniser les bonnes pratiques nées de la pandémie » (article 50). Plusieurs arguments sont mis de l’avant. Le premier est qu’il n’y a en réalité pas de différences entre enseignement à distance et présentiel ; les deux obéissent aux mêmes principes pédagogiques, les deux exigent une bonne conception et les deux sont aussi efficaces lorsqu’ils se conforment aux bonnes pratiques de design pédagogique :

« Une bonne pédagogie est essentielle à l’enseignement, qu’il soit en ligne ou en personne. De tout temps, l’enseignement fructueux et de grande qualité s’est appuyé sur la pédagogie. Cette réalité est encore davantage avérée dans l’apprentissage à distance. [...] La pandémie a contribué à raffermir notre sentiment d’adhésion à la qualité de l’apprentissage et de l’enseignement de même qu’à attirer notre attention sur les facteurs clés qui sont garants d’une formation de niveau postsecondaire de grande qualité. » (article 34)

Ces articles mettent de l’avant différents experts en pédagogie ou en enseignement à distance qui soulignent notamment que « l’enseignement en temps de pandémie n’était pas réellement de l’enseignement à distance. C’était de l’enseignement en situation de crise » (article 67). Certains enseignants dénoncent aussi le fait que les pratiques d’enseignement à distance dépeintes dans certains articles – l’envoi de documents aux étudiants sans interaction, des séances synchrones qui reproduisent le pire d’un enseignement « magistral », etc. – « ne sont pas inhérentes à l’enseignement à distance ni ne sont universellement adoptées » et arguent qu’« il serait bien de présenter les bons coups et les avantages de l’enseignement à distance ». Par exemple, ils notent que, dans les cours en ligne, « l’interaction est possible », il y a « une augmentation du nombre d’étudiants qui participent (à notre surprise, il faut l’avouer) depuis que nos cours sont à distance » et « la présence en classe depuis le début du trimestre s’approche de 100% » (article 29). En somme, certains enseignants soutiennent que « si nous avions été préparés à enseigner à distance, le tableau aurait été fort différent et nous aurions pu constater les avantages plutôt que ses travers » (article 60).

Un second argument est que, dans certains contextes et pour certains étudiants, l’enseignement à distance est non seulement équivalent en qualité à l’enseignement en présentiel, mais encore, qu’il lui est même préférable. Certains étudiants plus âgés préfèrent et tirent parti de l’apprentissage en ligne, pour la flexibilité et la conciliation travail/ famille/ études qu’il permet. C’est donc la logique de l’accessibilité de l’enseignement à distance qui est reprise ici et qui s’intensifie :

« Les universités ont réalisé que l’apprentissage en ligne peut contribuer à la diversification de leur population étudiante. Principalement parce que les cours en ligne permettent à un plus grand nombre d’étudiants d’apprendre à moindre coût. Les étudiants qui sont capables d’apprendre à distance de manière efficace n’ont pas à supporter les coûts du transport quotidien, du logement et des plans repas. En outre, l’apprentissage en ligne permet aux étudiants qui vivent hors campus de gagner du temps en n’ayant pas à se déplacer. À court terme, cela favorise également les étudiants qui, auparavant, auraient pu reporter la poursuite de leurs études supérieures dans un établissement éloigné en raison des inconvénients de la distance. Ce mode d’enseignement permet en somme aux universités de réfléchir à la diversité de leurs populations étudiantes et de tenir compte de certains besoins spécifiques. » (article 64)

Dans ces articles favorables à l’enseignement à distance, il est beaucoup question des étudiants qui préfèreraient cet enseignement, mais les étudiants eux-mêmes sont peu nombreux à prendre la parole à ce sujet. Lorsqu’ils le font, ils mettent l’accent essentiellement sur la conciliation travail/ études/famille et sur la commodité des cours à distance pour leur gestion du temps :

« En faisant le MBA à distance, je me sens moins stressée par rapport à l’organisation de mon temps, dit-elle. La qualité de la pédagogie est la même et je n’ai plus à me rendre à mes cours trois soirs par semaine. J’aimerais que ça devienne une formule hybride. Je pense qu’on pourrait rejoindre encore plus de monde. On parle de conciliation travail-famille dans les entreprises. Pourquoi les universités ne le feraient-elles pas pour les étudiants du deuxième cycle ? Cela dit, le contact humain doit demeurer. » (article 65)

On en vient ici au troisième argument clé du discours favorable à l’enseignement à distance : il s’agit désormais de miser à la fois sur le mode présentiel et sur le mode à distance et de donner aux étudiants le choix du mode qui leur convient. Il n’est donc pas question de « revenir en arrière » ; il s’agit « d’utiliser les nouveaux acquis pour proposer une offre plus diversifiée » (article 44), en misant notamment sur des cours hybrides et comodaux. Il s’agirait donc de se garder d’un « totalitarisme pédagogique – qui consisterait à ne jurer que par le tout-en-présentiel ou le tout-en-ligne » (article 69). L’heure est à la souplesse, à la flexibilité, à l’hybridité, au choix :

« On voit émerger une demande pour le maintien de la disponibilité des modalités de formation à distance. Ces étudiants ne veulent pas forcer tout le monde à rester en mode pandémie : ils désirent simplement continuer leur formation à distance plutôt que de revenir en présentiel-synchrone. Les infrastructures sont là, les pédagogies ont été adaptées… pourquoi leur retirerait-on ce choix ? » (article 71)

Les personnes qui s’expriment dans ces articles parlent de « coupure historique » (article 71) et soutiennent que « ce qui aurait pu n’être qu’une série de changements éphémères adoptés en temps de crise est en passe de laisser une empreinte indélébile dans le fonctionnement des établissements » (article 70). On prédit que « les dirigeants qui s’obstinent à prôner le retour intégral au présentiel pour protéger leur fonds de commerce risquent d’essuyer un coup dur » (article 69).

Alors que la majorité des articles sont défavorables à l’enseignement à distance, l’examen de l’ensemble des arguments suggère qu’au-delà des effets négatifs strictement liés à la pandémie, plusieurs valeurs, normes et pratiques semblent en voie d’émergence, qui pourraient bien renforcer la légitimité de certaines pratiques d’enseignement à distance après la pandémie. Nous les présentons dans la section suivante, ainsi que quelques enjeux qu’elles soulèvent.

Vers une nouvelle légitimité de l’enseignement à distance ?

La notion de flexibilité est une valeur clé de l’enseignement à distance (Naidu, 2017) et cette valeur semble s’être renforcée avec la pandémie. Bien que la flexibilité soit reliée à la logique d’accessibilité déjà associée à l’enseignement à distance avant la pandémie [15], elle ne s’y réduit pas. Alors que l’accessibilité renvoie essentiellement à ce que Paquelin (2014) appelle les « étudiants empêchés » (c’est-à-dire des étudiants qui ne pourraient pas étudier en présentiel), la flexibilité renvoie plutôt à la notion de choix et à l’idée de préférence des étudiants qui, tout en ayant la possibilité d’étudier en présentiel, font plutôt le choix de cours à distance pour tout ou partie de leur formation. Déjà avant la pandémie, ce n’était pas majoritairement pour des questions d’éloignement géographique que les étudiants optaient pour des cours à distance. C’était de plus en plus pour mieux concilier travail/ famille/ études (Paquelin, 2016).

Avec la pandémie, à peu près tous les étudiants ont goûté à l’enseignement à distance, y compris ceux qui n’avaient jamais envisagé étudier à distance auparavant. Même si, comme en témoigne l’analyse de la partie précédente, ils ont majoritairement souffert de cet enseignement à distance forcé en raison de l’isolement social, de l’anxiété et de pratiques « approximatives » d’enseignement à distance, ils ont néanmoins pu apprécier la flexibilité qu’un tel mode d’enseignement leur offre en termes de gestion du temps et de qualité de vie. Il n’est pas question pour la majorité d’entre eux de faire toutes leurs études à distance. Mais il devient de plus en plus question d’avoir le choix de prendre un ou plusieurs cours à distance au sein de leur programme, voire de décider au jour le jour s’ils préfèrent se rendre à l’université pour assister à leur cours ou le suivre plutôt en ligne dans le confort de leur salon. Les nouvelles normes qui semblent privilégiées dans ce contexte sont l’offre multimodale et différentes formes d’hybridité qui combinent présentiel et distance.

Durant la pandémie, de nombreuses institutions universitaires ont expérimenté des modes d’enseignement hybrides ou comodaux dans le but de maintenir une proportion d’enseignement en présence malgré les contraintes sanitaires. En particulier, les étudiants avaient parfois le choix de se déplacer sur le campus s’ils le voulaient pour participer à des séances en présence, ou de suivre la séance à distance. Beaucoup semblent avoir apprécié cette idée de pouvoir choisir le mode d’enseignement, soit à l’échelle d’un cours entier, soit à l’échelle d’une séance semaine après semaine.

Par ailleurs, la pandémie a donné une importance inédite à un mode très particulier d’enseignement à distance, à savoir le mode en ligne-synchrone. Ce mode d’enseignement à distance était déjà en progression avant la pandémie (Gérin-Lajoie et Potvin, 2011), mais cette dernière l’a propulsé en tant que mode « par excellence ». Les pratiques documentées dans les articles analysés suggèrent en effet que le « basculement en ligne » de leurs cours a consisté pour une majorité d’enseignants à donner leurs cours lors de séances synchrones à distance sur Zoom ou Teams, plus ou moins agrémentées de matériel asynchrone (capsules vidéo préenregistrées, notamment), et en restant dans le paradigme pédagogique qu’ils connaissaient, à savoir celui du présentiel. Après les premiers mois de mise à niveau où de multiples « faux pas » ont certainement été commis (cf. article 29), il semble bien qu’étudiants et enseignants aient développé des habiletés à faire de ces séances à distance synchrones des expériences d’apprentissage apparemment comparables aux séances en présentiel, avec étudiants et enseignant qui « se voient » et interagissent de façon à la fois formelle et spontanée, des étudiants qui participent activement aux discussions, qui travaillent en équipe, et ainsi de suite. Au point qu’à partir de septembre 2020 environ, de nombreux articles parmi ceux analysés parlaient d’enseignement à distance en se référant principalement à ces séances synchrones sur Zoom et Teams sans même le préciser, comme si l’enseignement à distance impliquait nécessairement de telles séances synchrones.

Quelques experts en enseignement à distance ont bien tenté de souligner les avantages de la formation asynchrone et de questionner la pratique de certains établissements d’exiger « de leurs professeurs que tout le temps de cours prévu en classe soit substitué par les cours en ligne ‘synchrones’, c’est-à-dire des cours offerts à tous au même moment, en direct, par appel vidéo » (article 67). Il reste que pour beaucoup d’enseignants et d’étudiants qui ont « découvert » l’enseignement à distance avec la pandémie, les séances en ligne synchrones semblent en être, à tort ou à raison, un élément incontournable.

Au bout du compte, une nouvelle forme de légitimité de l’enseignement à distance pourrait se développer autour des valeurs de flexibilité et de choix du mode d’enseignement par les étudiants, d’une norme d’hybridité des modes d’enseignement et d’une pratique d’enseignement à distance qui met l’accent sur des séances synchrones en ligne. Comme le suggèrent Audran et al. (2021, p. 30) ; nous pourrions assister « à l’avènement d’une nouvelle « génération » d’enseignement à distance basée sur des cours et des interactions synchrones ».

Une telle logique, si elle se confirmait, soulève plusieurs enjeux. Il y a d’abord l’enjeu pédagogique de savoir si les valeurs, normes et pratiques associées à cette façon de voir l’enseignement à distance sont propices aux apprentissages des étudiants. Sur ce point, il est d’abord permis de questionner l’idée qu’il est nécessairement bon pour leur motivation et leurs apprentissages de chercher à donner aux étudiants systématiquement le choix. S’il est vrai que la perception de la contrôlabilité d’une activité pédagogique est un antécédent de la motivation de l’apprenant, elle-même étant une condition de l’apprentissage (Viau, 2014), cela ne signifie pas que tout choix laissé aux étudiants serait automatiquement bon. Concernant le choix du mode d’enseignement, certains travaux suggèrent que beaucoup d’étudiants sont mal placés pour juger du type d’enseignement qui leur convient le mieux, et que l’enseignement à distance ne convient pas à tous les étudiants (Allen et al., 2002 ; Kirschner et Merrienboer, 2013).

Si elle n’est pas réfléchie sur le plan pédagogique, cette logique du choix risque de se réduire à une logique consumériste et clientéliste (le choix du consommateur, le client « roi ») qui revêt parfois les atours d’une théorie de l’apprentissage douteuse, comme en témoigne ces propos d’un enseignant en gestion au sujet de l’enseignement comodal, qui laisse entendre que tout « choix » qu’on laisse à l’étudiant est bon pour sa motivation et donc bon pour ses apprentissages et sa réussite :

« From a student perspective, the Choice Model [which allows students to choose, every day, whether they’ll attend class in person or online] adds value to the student experience by allowing students to choose the form their education will take each day. Even if a student chooses the same option every day, the fact that they have a choice at all still has value. » (HBP, 19 mars 2021 [16]).

Ensuite, l’idée qu’un bon enseignement à distance devrait absolument inclure une proportion significative de séances synchrones en visioconférence mérite également d’être questionnée sur le plan pédagogique. Devrait également être questionné le principe qui semble gagner en popularité concernant les avantages de modes hybrides qui combineraient présentiel et à distance, et son corollaire qui voudrait que le « tout présentiel » et le « tout à distance » s’apparenteraient à un « totalitarisme pédagogique » (article 69) et seraient des modes sous-optimaux « dépassés » par rapport aux modes hybrides. Les décennies de recherche en enseignement à distance avant la pandémie suggèrent qu’à vouloir « concilier le meilleur des deux mondes », on risque en fait de mélanger des pratiques qui appartiennent à des conceptions de l’enseignement et de l’apprentissage très différentes sans aucune garantie que ledit mélange soit efficace sur le plan des apprentissages des étudiants (Naidu, 2017 ; Peraya, Charlier et Deschryver, 2014).

Un second enjeu concerne les objectifs qui sont visés par la flexibilité. La conciliation travail/famille/études pour des étudiants « non traditionnels » plus âgés, avec enfants et travail à temps plein reste certainement un objectif clé qui s’est renforcé avec la pandémie. Cependant, comme souligné plus haut, il semble que les étudiants « traditionnels » - plus jeunes, sans enfants, travaillant à temps partiel ou ne travaillant pas – soient maintenant attirés par la flexibilité de l’enseignement à distance, qui leur permet de gagner du temps (temps passé dans les transports, notamment), de concilier leurs études avec leurs activités personnelles (sport, vacances, etc.), d’économiser (coûts de logement, de transport, etc.) et d’avoir finalement une expérience des études plus « confortable ». En même temps qu’ils dénonçaient l’immense « inconfort » d’un enseignement à distance forcé durant la pandémie, alors qu’ils ne disposaient pas d’un endroit propice où travailler chez eux, d’équipements adéquats sur le plan technologique, ou d’une disposition mentale propice à l’étude, certains étudiants reconnaissaient du même souffle qu’il était quand même appréciable de pouvoir suivre leur cours au saut du lit, sans avoir à s’habiller et s’apprêter comme ils le feraient s’ils sortaient, sans le stress de savoir s’ils allaient être à l’heure à leurs cours ou revenir à temps chez eux en raison des aléas associés au transport. Ici, il nous semble que le risque réside dans un glissement possible vers l’idée que les études universitaires et l’apprentissage devraient, d’une façon générale, être les plus « confortables » possibles et qu’en conséquence, si apprendre à distance est plus confortable, c’est ce mode d’enseignement qu’il faudrait privilégier. Tout comme l’idée de toujours donner le choix aux étudiants n’est pas forcément la meilleure façon de susciter les apprentissages visés, chercher à rendre l’apprentissage le plus confortable possible n’est pas non plus un principe pédagogique qui a fait ses preuves (Taylor et Baker, 2019).

Un troisième enjeu concerne les façons dont les universités québécoises pourraient s’approprier stratégiquement une logique de légitimation basée sur le choix étudiant au sein d’une offre d’enseignement bimodale, voire multimodale. Ici, il est opportun de rappeler que la théorie néo-institutionnelle incorpore l’idée d’une marge de manœuvre stratégique de chaque organisation au sein de son environnement institutionnel. Même s’il s’avérait que l’enseignement à distance gagne effectivement en légitimité après la pandémie selon la « nouvelle » logique de légitimation décrite plus haut, il reste que chaque université se positionnera en fonction de ses ressources et de son identité. Il est peu probable que toutes les universités décident de parcourir en accéléré le chemin déjà parcouru par l’Université Laval, la seule d’entre elles qui se définissait déjà avant la pandémie comme une « université multimodale » qui donne aux étudiants le choix du mode d’enseignement. Ce cas illustre de façon éloquente la grande complexité d’un tel virage stratégique qui nécessite de nombreuses années avant de pénétrer la culture et les pratiques d’une université (Gérin-Lajoie et Potvin, 2011 ; Paquelin, 2016). Par ailleurs, dans une logique de différentiation, on verrait mal l’intérêt à ce que toutes les universités cherchent à adopter un positionnement multimodal. Il est plus probable qu’on assiste à une redéfinition des assises de l’enseignement présentiel assorti de différentes formes d’hybridation, notamment avec un mode d’enseignement à distance synchrone, le mode le plus compatible avec les valeurs pédagogiques, l’organisation du travail et la structure de coûts des universités traditionnelles (Gérin-Lajoie et Potvin, 2011).

Conclusion

Il est encore trop tôt pour savoir si les valeurs, normes et pratiques qui ont émergé au sujet de l’enseignement à distance pendant la pandémie COVID-19 vont avoir des impacts durables sur son institutionnalisation au sein des universités traditionnelles. D’un côté, les conditions très difficiles de la pandémie ont rendu l’expérience de l’enseignement à distance très pénible tant pour les enseignants que pour les étudiants. Cela pourrait laisser penser que la légitimité de l’enseignement à distance ne s’est pas renforcée et que les logiques institutionnelles qui soutenaient sa lente progression avant la pandémie – l’internationalisation de la concurrence, la coopération inter-organisationnelle, la réduction des coûts et l’accessibilité – sont restées inchangées. De l’autre, cette expérimentation forcée de l’enseignement à distance a renforcé l’idée qu’il peut être avantageux d’avoir une offre d’enseignement diversifiée. Miser sur plusieurs modes d’enseignement permet aux étudiants de choisir le mode d’enseignement le plus « confortable » pour eux et celui qui leur permet de mieux concilier études, travail et vie familiale et personnelle. En particulier, des modes hybrides qui marient enseignement présentiel et enseignement à distance, ou encore des modes d’enseignement à distance basés sur une forte proportion de séances synchrones pourraient constituer de nouvelles normes en matière de modes d’enseignement. Si ces valeurs et ces normes s’imposent, cela nécessitera dans les prochaines années un « bricolage » intéressant à observer de la part des universités afin de composer avec cette nouvelle logique institutionnelle au sujet de l’enseignement à distance.

Bibliographie

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Licence : CC by-sa

Notes

[1Dans sa définition institutionnelle québécoise, l’enseignement à distance se définit comme « une activité qui implique, à un certain degré, une dissociation de l’enseignement et de l’apprentissage dans le temps et l’espace » (CSE, 2015). Bien qu’une telle définition soit très imparfaite au regard de la littérature scientifique sur l’enseignement à distance, nous nous en contentons ici afin de ne pas nous écarter du propos principal de l’article.

[2Cette théorie est l’une des plus mobilisée dans l’analyse des processus de changement institutionnel en enseignement supérieur. Elle a été utilisée notamment pour étudier les effets du traité de Bologne sur la compétition entre programmes d’enseignement (Krücken, 2007), les mesures de classement des écoles de droit (Sauder et Espeland, 2009), les fusions d’universités (Musselin et Dif-Pradalier, 2014) ou encore le recours à la formation à distance dans les écoles de gestion (Pelletier, 2013).

[3A pour fonction de conseiller le MEQ sur toute question relative à son domaine d’intervention.

[4Organisme qui regroupait jusqu’en 2014 les administrateurs des universités québécoises sur une base volontaire.

[5Voir la liste des publications retenues en Annexe 1.

[6Ce qui explique qu’on arrive à un total de plus de 78 et non de 71 pour cette dimension dans le tableau 1.

[7Ce qui explique que l’addition des articles « neutres », « favorables » et « défavorables » dans le Tableau 1 donne un total de 73 et non de 71.

[8Site du ministère de l’Éducation supérieure du Gouvernement du Québec (http://www.education.gouv.qc.ca/dossiers-thematiques/plan-daction-numerique/ecampus/)

[11https://www.distance.ulaval.ca/. Consulté le 15 octobre 2021.

[12Cette croyance n’est pas étrangère au fait que les universités évoluent plus que jamais dans un « nouvel ordre éducatif mondial » (Laval et Weber, 2002) marqué de la logique du marché, si ce n’est de l’essoufflement de la social-démocratie, particulièrement dans les pays anglo-saxons (Meyer et Rowan, 2006).

[13Date du rapport de la Commission Parent, pierre d’assise du système moderne d’enseignement supérieur québécois.

[14Date du rapport de la Commission Parent, pierre d’assise du système moderne d’enseignement supérieur québécois.

[15Voir partie 3.

[16Drea, J. (19 mars 2021). Online ? In Person ? The Power of Letting Students Choose. Harvard Business Publishing Education.

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