Innovation Pédagogique et transition
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Projet Innovation : Formation à l’innovation en école d’ingénieur

22 juillet 2016 par Karmann Retours d’expériences 1391 visites 0 commentaire

Former des ingénieurs en cours de cursus à l’innovation en entreprise relève du défi, tant il est à la fois difficile de définir les contours de ce qui fait l’innovation et du fait de la grande pluridisciplinarité d’une telle matière (gestion de projet, design, communication, étude de marché) et donc de l’adaptabilité qu’un tel enseignement demande de la part des enseignants.

Peu d’écoles supérieures en France fournissent à l’ensemble de leurs étudiants une formation à l’innovation, et c’est notamment le cas de Télécom Bretagne. Il n’est donc pas étonnant qu’une formation de ce type soit en elle-même un exemple d’innovation pédagogique, c’est pourquoi ce retour d’expérience fait l’objet d’un article ici. Au carrefour d’un modèle pédagogique résolument orienté projet et d’une organisation permettant la prise de conscience des réalités du travail en entreprise, le projet Innovation demande beaucoup aux étudiants, tout en leur apportant beaucoup en retour.

Un article rédigé par Marine Karman, conseillère pédagogique à partir d’une interview de Gwendal Simon, une UV co-animée avec Cécile Bothorel

I - DESCRIPTION DU PROJET

1 - Etudiants concernés

Les étudiants de Télécom Bretagne suivent un cursus en trois années durant lesquelles ils doivent rendre différents projets techniques visant à les préparer au monde professionnel. En première année, ils suivent un projet Découverte (dont nous avons eu l’occasion de parler ici). Le projet Innovation quant à lui, a lieu sur le premier semestre de la seconde année, et concerne environ 200 étudiants. Il s’agit d’un projet obligatoire et qui concerne l’intégralité de la promotion.

2 - Rôle du dispositif dans le cursus de formation

Il s’agit d’une UV très importante pour l’obtention du diplôme, au même titre que le projet Découverte, de première année, le projet Innovation représente une part très importante de la validation de la première année (100h de cours étalées sur 3 mois). Il a notamment pour rôle de permettre aux étudiants d’entrer dans une réflexion professionnelle et de se détacher de la pensée et des méthodes de travail individuelles et scolaires qui les caractérisent encore à l’issue des classes préparatoires et de leur première année de formation. Ainsi, le projet adopte une orientation fortement professionnalisante (interventions de professionnels à certains moments du module, jury final constitué de professionnels, évaluation laissant une part à la subjectivité). De la même manière la conduite du dispositif amène progressivement les étudiants à se retrouver dans des situations proches de la vie professionnelle (travail en groupe, gestion de projet) et à considérer des aspects du travail d’ingénierie qu’ils n’avaient peu eu l’occasion de considérer jusque-là (analyse de marchés, montages financiers, visite de terrains pour rencontrer des clients, conception de démonstrateurs imparfaits, communication pour la récolte d’investissements).

3 – Objectifs et attendus

Comme nous l’avons dit plus haut, les objectifs concernent principalement la professionnalisation des travaux des étudiants. A la fin de l’unité d’enseignement, les étudiants doivent être capable de :
- S’organiser et travailler efficacement en groupe.
- Construire ex nihilo un projet innovant cohérent (en tant que techniquement faisable et répondant aux besoins d’un marché clairement identifié).
- Convaincre de sa pertinence et de la capacité de leur groupe à mener à bien un tel projet.

II - DÉROULEMENT DU PROJET

Le projet existe depuis dix ans et se déroule donc de début septembre à début décembre. Il est découpé en trois phases :
 Créativité
 Faisabilité
 Développement et validation

Chacune de ces phases est émaillée de temps forts et accompagnée différemment par les enseignants.

1 - Phase de créativité

Ce premier mois est donc l’occasion de mettre les étudiants au travail et de les amener à réfléchir à ce qui fait l’innovation. Un sondage informel réalisé par les enseignants en début de séance permet de réaliser que c’est un terme encore relativement flou pour eux, puisque 80% d’entre eux répondent ne pas savoir quel travail innovant ils pourraient être amenés à réaliser dans les deux premières 2 années de leur vie professionnelle à venir. Les 20% restant répondent vouloir créer une start-up pendant ou après leurs études, ou vouloir intégrer une structure innovante à l’issue de leur formation. Ce petit sondage illustre une méconnaissance du milieu de l’innovation en entreprise de la part des étudiants, et c’est le but de ce projet que de leur laisser la possibilité de découvrir des réalités professionnelles qu’ils ignoraient partiellement ou totalement.

Le mois de créativité commence par un temps fort appelé « journée de la créativité » durant lequel les étudiants commencent à réfléchir à la forme que pourrait prendre leur projet d’innovation par le biais notamment de brainstormings et d’autres exercices de réflexion individuels et de groupe. La journée se veut volontairement décontractée pour permettre aux étudiants de se sentir à l’aise, ils ont la possibilité de sortir des salles de classe, de s’installer en extérieur, de se promener. A ce moment, les groupes de travail ne sont pas figés, ce n’est qu’à la fin que les étudiants présentent leurs envies et qu’ils s’organisent en groupes de travail (8 étudiants pour 2 coachs enseignants) en fonction des affinités et points communs des projets.

Suite à cette première journée, les étudiants bénéficient de deux interventions de professionnels de l’innovation (parmi lesquels, certains anciens étudiants ayant créé des start-ups).

Enfin, à l’issue de cette phase de créativité les groupes d’étudiants doivent présenter rapidement et le plus efficacement possible leur projet, lors d’un « pitch » devant le reste de la promotion. Cette présentation, ne fait pas à proprement parler l’objet d’une notation (un système d’évaluation par les pairs a été mis en place mais n’influe que peu sur le résultat final, nous y avons consacré un article ici) mais constitue une évaluation formative durant laquelle les étudiants peuvent tester la qualité de leur présentation, l’envie que suscite leur projet ainsi que leur capacité à communiquer sur ce projet. Elle sert également d’entrainement à l’évaluation finale qui est réalisée selon les mêmes conditions devant un jury de professionnels.

Durant cette phase de créativité, l’équipe enseignante a à cœur de laisser les étudiants libres de leurs choix et de ne pas orienter les décisions (vers un sujet qui intéresse particulièrement l’enseignant ou au contraire parce que le projet est contraire à certaines de ses convictions).

2 - Phase de faisabilité

La phase de faisabilité dure également un mois et permet aux étudiants de réaliser des études de marchés, de penser et concevoir un business-model, de prévoir un budget de développement ainsi qu’un projet de communication et d’identifier des clients ou partenaires potentiels qu’il serait possible de rencontrer afin de valider certains concepts de leur projet.

3 - Phase de développement et validation

Enfin, le dernier mois de travail est consacré à la réalisation réelle d’un prototype à partir du projet imaginé.

Le prototype fait ensuite l’objet d’une présentation orale devant un jury de professionnels qui choisit symboliquement d’accorder ou non un investissement aux inventions des groupes. La note finale est ensuite attribuée selon les choix et annotations du jury professionnel. Les principaux critères de notation étant la capacité à convaincre de la solidité et de la crédibilité du projet proposé, ainsi que de la capacité de l’équipe à le mener à bien. Cette entrée en matière très professionnalisante a tendance à désarçonner des élèves parfois encore trop concentrés sur les logiques de notation scolaire (acquisition de concepts, restitutions de connaissances). La note finale est modulée d’un ou deux points par les résultats de l’évaluation par les pairs dont nous avons parlé plus haut (article sur le sujet ici).

III – RETOURS ET ÉVALUATIONS

Le principal retour sur cette formation des étudiants ingénieurs à l’innovation est l’inconfort dans lequel les étudiants se trouvent vis-à-vis du travail à accomplir, des modalités d’évaluation et de l’organisation de l’enseignement. En effet,la prise en compte du cadre imposé par la formation conduit les étudiants à voir leur liberté d’agir limitée et à faire preuve d’inventivité pour y remédier. Les étudiants sont confrontés à l’incertitude et à la subjectivité, ce qui est inhabituel dans le cursus scolaire qu’ils ont suivi jusqu’alors. Ils doivent en particulier gérer les échecs possibles dans le développement de leur projet et être moteur dans la définition des prochaines étapes d’un projet dont les contours se définissent au gré de leur propre maturité sur le sujet.
Toutefois, les enseignants notent de véritables réussites et un développement des compétences communicationnelles des étudiants. De plus, certains projets présentés par des étudiants dans ce module ont fait l’objet de création de start-ups par la suite, prouvant ainsi l’efficacité du fait de découvrir les contraintes du monde professionnel d’une façon globale et pluri-disciplinaire plutôt que par la seule entrée de la réalisation technique.

Les enseignants par ailleurs, trouvent dans ce projet, un fort objet de développement professionnel, en effet, ils notent une évolution de leurs compétences dans les domaines suivant :
 L’animation de groupes sur des projets techniques à grande échelle (200 étudiants)
 Le développement de compétences menant à une expertise en formation à l’innovation en enseignement supérieur.

L’équipe enseignante est ainsi particulièrement fière de noter que 100% des étudiants de l’école reçoivent une formation complète et technique en innovation là où la majorité des autres formations de niveau Master n’offre un tel enseignement qu’à une minorité des étudiants.

IV – CONTINUITÉS ET PERSPECTIVES

Parmi les continuités et perspectives souhaitées par les enseignants, il y aurait l’association avec d’autres écoles expertes dans les disciplines de l’innovation qui concernent moins l’école (design, gestion de projet, études de marché). Seulement cette envie de développement partenariale est freinée par l’importance du nombre d’étudiants impliqués dans cette formation. Les effectifs des classes en écoles de design étant souvent beaucoup plus réduits que ceux de cette formation, il semble difficile de réaliser un tel partenariat.

Devant de bons résultats chez les étudiants, le projet doit se maintenir mais l’équipe enseignante note tout de même l’envie de monter en compétences dans les domaines du design et de la créativité qui ne constituent pas leur cœur de métier, et ce afin d’en faire profiter leurs étudiants.


 Voir aussi pour les innovations pédagogiques à Telecom Bretagne :
Une soixantaine d’articles autour de la pédagogie et des innovations mises en oeuvre à Télécom Bretagne

Licence : CC by-sa

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