Innovation Pédagogique et transition
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D’élève à collègue en 10 semaines ou d’enseignant à collègue en 10 semaines

Un article publié au VIe Colloque des Questions de Pédagogie dans l’Enseignement Supérieur, Angers, 8 , 9 et 10 Juin 2011.

lien : http://www.colloque-pedagogie.org/?q=node/511 et http://www.colloque-pedagogie.org/



D’ÉLÈVE À COLLÈGUE EN 10 SEMAINES OU D’ENSEIGNANT À COLLÈGUE EN 10 SEMAINES

Alexis Polti1 et Samuel Tardieu2

1 Télécom ParisTech, Communication et Électronique, Paris, France
2 Télécom ParisTech, Informatique et Réseaux, Paris, France

Résumé

Cet article présente l’évolution sur sept années de l’unité d’enseignement « Robotique et systèmes embarqués » de Télécom ParisTech. Utilisant à l’origine une pédagogie traditionnelle, ce cours a peu à peu évolué pour maintenant adopter une pédagogie active au coeur de laquelle l’élève est maître de son apprentissage.

Mots-clés :
Pédagogie active, apprentissage par projet, motivation, autonomie.

I. INTRODUCTION

Lors de la réforme de l’enseignement de Télécom ParisTech en 2003, des enseignants-chercheurs de l’école ont décidé, en rupture franche avec les pratiques d’alors, d’introduire un enseignement pluridisciplinaire impliquant des intervenants de plusieurs départements. Ce module de spécialité « Robotique et systèmes embarqués » alliait informatique, électronique numérique, automatique et, dans une moindre mesure, traitement du signal et de l’image. En plus des cours théoriques, les élèves (limités à une vingtaine par an pour des contraintes d’encadrement) devaient obligatoirement réaliser dans son intégralité un projet en groupe de 3 à 5 personnes (de la conception et la réalisation électronique jusqu’au codage informatique) en appliquant les concepts étudiés lors des cours.

Très tôt, nous avons ressenti des difficultés à fournir à tous un enseignement poussé et identique alors même que les projets réalisés en parallèle se révélaient extrêmement différents les uns des autres (robot serpent, puzzle lumineux interactif, etc.). Les besoins théoriques n’étant pas les mêmes, l’attention apportée aux différents cours dépendait fortement de leur adéquation au sujet du projet.

Pour ces raisons, nous avons, au fil des années, glissé vers un modèle où les cours ex-cathedra sont réduits à leur strict minimum. L’accent a été mis sur la réalisation d’un projet ambitieux insistant sur trois aspects fondamentaux le comportement professionnel des membres du projet, la transmission des connaissances au sein d’une équipe et entre les équipes, et la quête autonome de connaissances, l’équipe enseignante étant une source parmi de nombreuses autres. Cette évolution des objectifs de l’unité d’enseignement nous a amenés à adapter notre dispositif pédagogique afin de permettre une mise en œuvre et une évaluation cohérentes avec cette ambition.

Il est important de noter que nous ne sommes pas, de formation, des théoriciens des pratiques pédagogiques. Nous exposons dans cet article un retour d’expérience de nos pratiques qui s’avèrent, après analyse ultérieure, extrêmement proches des bases de l’apprentissage par projets telles qu’établies par, par exemple, le Buck lnstitute for Education.

Après avoir présenté les conditions de travail et les exigences que nous avons vis-à-vis des étudiants, nous montrons les étapes permettant de passer du statut d’élève à celui de professionnel. Nous concluons finalement avec une description des rôles primordiaux joués par les processus d’évaluation et d’encadrement.

II. LA RIGUEUR COMME FONDATION INDISPENSABLE

Les objectifs sont annoncés aux étudiants lors de la première séance. Le premier point sur lequel nous insistons est la nécessaire rigueur académique de leur démarche. Pour s’habituer à cette rigueur, deux exercices leur sont imposés lors des trois premières semaines : la présentation de l’état de l’art sur des sujets choisis par les enseignants et la rédaction d’un article scientifique sur un sujet différent. Ces exercices ont pour but de leur faire comprendre que nous n’acceptons pas les approximations ils doivent être en mesure d’expliquer leurs choix techniques à tout moment. Nous insistons sur le fait qu’il vaut mieux avancer plus lentement et comprendre ce qui est fait plutôt que d’obtenir plus en ne sachant pas exactement quels sont les mécanismes en jeu.

Les étudiants doivent également adopter de bonnes pratiques en terme de gestion de documents, qu’il s’agisse de codes sources, de schémas ou de textes. L’utilisation d’un gestionnaire de versions est obligatoire ; la défaillance d’un disque dur n’est alors plus une excuse recevable. Les bibliothèques tierces et documents extérieurs sont tout à fait acceptables dès lors que les licences d’exploitation sont respectées et que les sources sont correctement citées.

La prise de conscience de la hiérarchisation des ressources mises à leur disposition est également un jalon primordial dans l’objectif d’apprentissage de l’autonomie des étudiants. Ils sont invités à utiliser, dans l’ordre, la documentation de référence, les moteurs de recherche, les autres étudiants puis, en dernier recours, les enseignants.

Enfin, les étudiants doivent être capables de restituer les connaissances acquises et de faire passer des informations lors de présentations. Ain d’être mieux préparés aux impondérables de la vie professionnelle, ils doivent pouvoir présenter leurs travaux dans un environnement surprenant, compétitif, difficile voire même parfois hostile.

III. LE PROJET, MOTEUR D’APPRENTISSAGE

D’année en année, le projet a pris une place de plus en plus importante dans cette unité d’enseignement. En 2004, lors de la première occurrence, il occupait avec ses soutenances 60 heures dans l’emploi du temps, ce qui correspondait avec les critères en vigueur à Télécom ParisTech à 90 heures au total (à chaque heure programmée à l’emploi du temps doit correspondre un travail personnel d’environ 30 minutes). Aujourd’hui, le projet occupe plus de 110 heures programmées, soit un effort minimum attendu de 165 heures par étudiant.

Le processus de choix des projets et de constitution des équipes de 3 à 5 élèves s’effectue lors de la première séance de trois heures. L’équipe enseignante présente les différents sujets proposés et invite les élèves à éventuellement y ajouter leurs propres idées. À la fin de ces trois heures, chaque étudiant sait sur quel projet il travaillera pendant 10 semaines, s’est choisi une équipe et dispose de l’intitulé du sujet dont il devra présenter l’état de l’art.

La première présentation d’équipe a lieu dès la deuxième séance. Chaque groupe d’élèves doit expliquer son sujet et les verrous technologiques auxquels ils se heurteront probablement et proposer une liste d’étapes dotées de critères d’évaluation binaires (succès ou échec). Chaque critère (ou PSSC pour projet-specific success criteria) doit pouvoir être facilement testé et donner lieu à une réponse incontestable. Par exemple, dans le cadre d’un projet consistant à réaliser un robot équilibriste, « le robot tiendra presque en équilibre » ne répond pas à ces exigences. Par contre, « le robot appliquera à ses roues une correction dans le sens visant à rétablir son équilibre » est un critère intermédiaire acceptable. Ces critères intermédiaires et finaux deviennent après discussion (et éventuellement négociation) le cahier des charges du projet que les étudiants s’engagent à respecter. Ils serviront également de mesure objective d’avancement à l’usage des étudiants eux-mêmes.

Ce processus d’élaboration des critères de succès responsabilise fortement les étudiants tout en leur permettant d’être extrêmement ambitieux. Ils choisissent les points sur lesquels ils seront évalués par la suite, leur interdisant par là-même de critiquer ces objectifs s’ils ne sont pas remplis. Cette séparation entre les objectifs obligatoires et les fonctionnalités supplémentaires optionnelles a le double avantage de prioriser les différentes étapes du projet tout en permettant d’avancer en regardant au-delà de l’aspect scolaire de la notation.

IV. ÊTRE PROFESSIONNEL EN TOUTES CIRCONSTANCES

En plus de la rigueur qu’on est en droit d’exiger d’un ingénieur à qui on a confié une tâche, on doit pouvoir compter sur sa capacité à partager ses informations, ses connaissances et les problématiques auxquelles il est confronté. Ainsi, au cours de leur projet, les étudiants auront à présenter quatre ou cinq points d’avancement. Lors de ces points d’avancement, chaque étudiant devra pouvoir répondre avec exactitude et précision à toutes les questions sur les travaux du groupe posées par les encadrants ou les autres étudiants, y compris si la question porte sur une partie du projet dans laquelle il n’était pas directement impliqué. Il est primordial pour chacun de se tenir informé de l’ensemble des travaux du groupe, afin de pouvoir prendre la place d’un collègue qui serait soudainement absent par exemple. De même, chacun pourra être interrogé sur les travaux d’un autre groupe, sans qu’on puisse bien entendu exiger le même niveau de détail dans les connaissances.

Ain de les préparer à savoir présenter leurs travaux en toutes circonstances, nous organisons régulièrement des « surprises » lors de certaines soutenances. Par exemple, il arrive qu’un vidéo-projecteur « tombe en panne » au beau milieu d’une présentation, ou qu’un membre du groupe soit « brutalement indisposé » et que sa partie doive alors être adoptée par le reste du groupe. La « visite impromptue d’un industriel étranger non francophone très intéressé par le projet » les oblige à présenter en anglais sans qu’ils n’aient pu le prévoir.

Ces méthodes, qui pourraient sembler brutales si nous n’étions pas intimement convaincus de leurs vertus pédagogiques, s’avèrent avoir un effet extrêmement bénéfique sur les étudiants. Plusieurs anciens élèves nous ont par la suite raconté comment ces soutenances leur avaient évité de se retrouver totalement désarçonnés lorsqu’ils ont eu à faire face à des changements de dernière minute dans leur milieu professionnel.

La soutenance finale se déroule en présence d’enseignants-chercheurs externes au cours et d’industriels du domaine, et est ouverte à tous. À cette occasion, les étudiants doivent valoriser leur projet et répondre aux questions, techniques ou non, de l’ensemble du public. Ils sont amenés à présenter leur réalisation sous le meilleur jour possible, sans jamais avoir le droit de mentir sur ce qui a été fait ou sur ce qui fonctionne.

V. UNE ÉVALUATION STRUCTURANTE, SUPPORT AU PROJET

Alors que la nature du projet évoluait au fil des années, les méthodes d’évaluation ont également subi de forts changements. D’une évaluation classique, où l’on notait les soutenances, les rendus et les travaux pratiques, nous sommes passés à une avalanche de micro-notes (plus d’une vingtaine) composant ainsi la note finale.
L’utilisation de micro-notes nous permet d’être extrêmement stricts quant au contrôle du respect des consignes. Nous nous autorisons facilement à mettre zéro lorsque les objectifs ne sont pas remplis, sachant qu’une telle évaluation n’a pas un caractère définitif sur le dossier scolaire d’un étudiant, car elle peut toujours être compensée par une autre micro-note.

VI. DU RÔLE DE L’ENSEIGNANT

Ce type de pédagogie demande, de la part de l’enseignant, un investissement en temps et en énergie extrêmement important. L’enseignant joue quatre rôles distincts : celui de client, qui juge l’adéquation du produit au cahier des charges, celui d’expert technique, en cas de difficulté bloquante, celui de chef d’entreprise lorsque cela s’impose et que des décisions autoritaires (concernant les coûts, les délais ou les méthodes) doivent être prises pour empêcher l’échec du projet, et enfin le rôle traditionnel de tuteur.

L’élève étant acteur de son apprentissage, la motivation et l’envie d’apprendre sont essentielles. L’enseignant doit sans cesse provoquer l’intérêt, en trouvant par exemple des sujets de projets répondant aux critères ludiques de la population ciblée.

Nous insistons énormément sur le fait que ce que dit l’enseignant doit être perçu comme un point de départ. Lorsqu’une méthode ou une technique est évoquée, cela ne signifie nullement qu’il n’existe pas une approche plus adaptée au problème considéré. Les étudiants sont encouragés à questionner ce que dit l’enseignant, et à admettre qu’il y a plusieurs manières d’aborder les difficultés. Pour leur faciliter la tâche, lorsqu’un enseignant dispense un cours magistral, un autre enseignant est présent dans la salle et joue un double rôle : il apporte éventuellement des points de clarification à travers une formulation alternative et il n’hésite pas à poser des questions, parfois volontairement naïves, afin de désinhiber les élèves qui n’oseraient pas intervenir.

À la fin de la session 2010, un élève est venu nous voir et nous a fait part d’un glissement de perception de sa part ; d’enseignant au début de la période d’enseignement, il en était venu par la suite à nous considérer comme des collègues lorsque nous discutions d’aspects techniques. Cette évolution, que nous ressentions également mais n’avions jamais cherché à verbaliser, correspond à l’effet que nous recherchons à travers ce mode d’enseignement. Nous-mêmes ne voyons plus les élèves uniquement comme des étudiants mais également comme de futurs ingénieurs avec lesquels nous serons peut-être amenés à travailler.

VII. CONCLUSION

Ce glissement progressif des positions respectives de l’enseignant et de l’apprenant vers des individus possédant une culture scientifique commune et capables d’échanger entre pairs nous semble correspondre à l’idéal visé d’une école d’ingénieurs et à l’attente des entreprises. Ce processus d’intégration sera d’autant plus facilement répété qu’il a préalablement été vécu avec succès, ce que nous confirment les anciens élèves avec lesquels nous sommes restés en contact.

L’évolution que nous avons connue au cours de ces sept années d’existence de ce module est considérable. Le temps consacré aux projets (par opposition aux cours théoriques) a presque doublé ceux-ci sont l’occasion de véritables acquisitions et transmissions de connaissances et de savoir-faire. Cependant, le caractère original des projets rend l’investissement des enseignants difficilement capitalisable d’année en année et entraîne indéniablement un surcroît de travail et d’investissement.

Cette réduction drastique du volume de cours magistraux conduit nécessairement à une diminution des connaissances exposées par les enseignants. Après une courte période d’adaptation due à la perte des repères scolaires habituels, celles-ci sont remplacées par un savoir-faire, un savoir-être et un savoir-apprendre acquis en mode projet qui paraissent convenir aux élèves et à leurs employeurs.

Toutefois, l’utilisation de ces techniques d’enseignement avec une population différente et hétérogène n’est pas automatiquement acquise. Une récente mise en œuvre avec des élèves issus de licence professionnelle et d’origines diverses a mis en exergue la difficulté de ne pas pouvoir s’appuyer sur des bases communes. Une bonne connaissance du niveau de départ et des expériences passées des étudiants semble nécessaire à une mise en œuvre effective et efficace de ce processus d’apprentissage.

RÉFÉRENCES

GLiP(2010). Puzzle lumineux interactif, projet de robotique et systèmes embarqués, http://www.glip.fr/.

Perrenet, J.C., Bouhuijs P.A., Smits J.G.M.M. (2000). « The Suitability of Problem- based Learning for Engineering Education Theory and Practice ». ln Teaching in Higher Education, Volume 5, lssue 3 July 2000, pages 345-358. Éditeur Routledge.

Savin-Baden, M. (2000). Problem-based Learning in Higher Education Untold Stories. lSBN : 978-0335203383. Éditeur : Open University Press.

Université de Sherbrooke (2002). L’apprentissage par problèmes et par projets en ingénierie, http://www.usherbrooke.ca/gelecinfo/fr/prog-etudes/appi/ (page visitée en décembre 2010).

Licence : CC by-sa

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