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Pourquoi il est si important de comprendre comme vos apprenants voient le monde et comment faire ?

Des expériences spectaculaires…

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Vous avez peut-être déjà assisté à une expérience de physique grandeur nature. Souvent spectaculaires et inattendues, on en voit à la télé ou dans les musées scientifiques et parfois dans quelques cours d’université. Différentes équipes de chercheurs se sont néanmoins posé la question suivante : certes l’effet est spectaculaire, mais qu’en retient-on vraiment ?

Vingt-deux expériences de physique ont été présentées à 300 étudiants de première année d’université [1]. Les lendemains de la présentation de chacune des expériences, on demandait aux étudiants de dire quel était le résultat de l’expérience qu’ils avaient vu la veille. Conclusion : entre 20 % et 40 % des réponses des étudiants étaient contraires au résultat réel de l’expérience.

Comment expliquer cela ?

On pourrait argumenter que les étudiants n’étaient pas très attentifs. Mais la proportion est trop élevée pour expliquer cela. De plus, ce résultat est la moyenne sur vingt-deux expériences réparties sur tout un semestre. Enfin, les étudiants sont issus d’universités américaines très réputées et donc enclins à être attentifs en cours.

Ces résultats confirment en fait d’autres études montrant que ce qui est vu d’une expérience est souvent ce que l’on veut y voir, et non pas ce qui s’est réellement passé [2, 3, 4]. Ainsi nos étudiants ne sont pas de simples boites vides qu’il suffit de remplir de notre savoir : ils se sont déjà de nombreuses idées sur le monde et ces idées sont de véritables filtres d’interprétation du réel [5, 6]. Toute information que l’on va leur transmettre va alors être interprétée au regard de leurs conceptions sur le sujet en question.

On pourrait espérer que lorsqu’une information contraire à ce que l’apprenant pense lui est présentée, celui-ci remette naturellement en question ses croyances. Or il est bien moins couteux pour lui soit de nier le résultat de l’expérience, soit d’argumenter que sa théorie est toujours vraie et que l’expérience ne la remette pas en question pour telles et telles raisons.

Ne suffit-il pas de leur répéter ?

Ne suffirait-il pas de leur redire ? À force, ils vont bien finir par comprendre ? Avant de répondre à cette question je vous propose tout d’abord d’essayer de répondre à la question suivante :

Vous enfoncez un clou dans une planche en bois avec un marteau. Pendant que le marteau pousse le clou et que celui-ci s’enfonce rapidement dans la planche, alors :

  • 1. le marteau exerce une force sur le clou, mais le clou n’exerce pas de force sur le marteau.
  • 2. la force qu’exerce le marteau sur le clou est plus grande que la force qu’exerce le clou sur le marteau.
  • 3. la force qu’exerce le marteau sur le clou est plus petite que la force qu’exerce le clou sur le marteau.
  • 4. les deux forces sont de même intensité.

Alors, quelle est votre réponse ? Je vous laisse découvrir la bonne réponse en fin d’article.

Cette question a été posée dans de nombreuses écoles d’ingénieur en France : il est fréquent d’observer que plus de 50 % d’élèves en école d’ingénieur en mécanique répondent incorrectement à cette question, alors que la réponse fait appel à une notion de niveau Terminale S [7, 8]. Et ce n’est pas un cas isolé : ce même phénomène a été observé dans de nombreuses disciplines scientifiques. Les étudiants répondent avec leur vision du monde qu’ils avaient avant de suivre le cours.

Ainsi, on observe que ces conceptions initiales peuvent être très persistantes, en dépit de nombreuses années d’enseignement.

Alors, comment y remédier ?

Reprenons le cas des expériences de physique réalisées en cours. Une étude a montré que les étudiants regardant simplement les expériences, tels des spectateurs, n’avaient pas plus appris que ceux ne les ayant pas vus [9]. Au contraire, si on leur demandait, une fois l’expérience décrite, d’en prédire le résultat avant que celle-ci ne se produise, alors ils obtenaient de bien meilleurs résultats.

Au final, on observe qu’enseigner « ce qui est juste » en ne prenant pas en considération les idées des étudiants se révèle peu efficace pour les remettre en question. A contrario, les connaître et les remettre explicitement en question de nombreuses fois se révèle bien plus efficace, même si cela prend du temps [10, 11, 12].

Il est donc nécessaire d’identifier clairement les conceptions initiales de vos apprenants pour pouvoir ensuite les remettre en question si nécessaire à travers des activités pédagogiques spécifiques.

4 techniques pour les identifier

Le travail d’identification des conceptions des étudiants sur une thématique donnée est un thème de recherche à part entière dont les didacticiens sont spécialistes. Sont présentées ici quelques méthodes qui peuvent être utilisées par un enseignant, et qui permettent d’en dégager les grandes tendances.

1. La revue bibliographique

La première technique est bien sur la revue bibliographique. Les mots clés sont « misconceptions », « prior knowledge », « students’ ideas » ou « concept inventory », suivis de votre thématique (utilisez par exemple Scholar Google).

Grâce à cette technique, on peut apprendre par exemple qu’une bonne partie des étudiants pensent que le courant « s’use » en traversant un composant électrique, comme une ampoule par exemple [13], ce qui est contraire avec ce qui est enseigné dès le collège.

Bien que très intéressante, car donnant des informations précises et détaillées, cette technique a un énorme inconvénient : sauf pour quelques disciplines particulières, vous risquez de ne pas trouver d’informations sur votre discipline. Ainsi, visez plutôt large comme thématique. De plus, n’oubliez pas que les conceptions erronées sont persistantes : si vous testez la présence des conceptions identifiées chez des élèves de L1 sur vos étudiants de M2, vous serez surement surpris du résultat !

2. Posez-leur des questions ouvertes

À défaut d’avoir pu trouver des informations concernant votre discipline, une technique très efficace consiste à poser à vos étudiants des questions ouvertes sur les concepts de votre cours. On peut distinguer grossièrement :

• Des questions de compréhension : « Expliquez … avec vos propres mots », « Que veut dire … ? », « Pourquoi … est important ? », « Donnez un exemple de … dans votre vie de tous les jours. ».

• Des questions de connexion : « Quel est le lien / la différence entre ... et ... ? », « Comment … affecte-t-il sur …. ? », « Quelles sont les avantages et les inconvénients de la méthode ... ? », « Que se passera-t-il si … ? ».

Une liste plus complète de questions est disponible ici.

D’un point de vue pragmatique, ces questions peuvent être utilisées soient uniquement à des fins formatives, soit lors d’un examen. Si vous les utilisez à des fins formatives, vous pouvez par exemple leur faire répondre individuellement sur le LMS de votre établissement et ne lire qu’un extrait des réponses si vous avez beaucoup d’étudiants. Ou bien leur demander d’y répondre par groupe de 3 ou 4 en TD par exemple.

3. Faites-les dessiner !

Demandez à vos étudiants de dessiner ou de schématiser un phénomène ou d’un procédé pour identifier quelles images ou représentations ils en ont. Un exemple classique est celui de la représentation du système digestif : « Quels sont les trajets d’un aliment solide et d’un aliment liquide dans le corps humain ? ». Vous trouverez ici un aperçu des réponses classiques d’étudiants.

Source : Le livre scolaire - Licence CC BY SA.

Dans le même ordre d’idée, vous pouvez utiliser une carte conceptuelle [14, 15]. Celle-ci se compose d’une liste de concepts reliés par des flèches indiquant leurs relations. Vous pouvez soit donner un ensemble de concepts à relier, soit donner un concept central qu’ils doivent ensuite détailler, du plus général au plus particulier.

En plus de vous donner des informations précieuses sur leur manière de penser, ces techniques peuvent, si elles sont bien utilisées, améliorer l’apprentissage des élèves [16].

4. Ne répondez pas (tout de suite) aux questions de vos étudiants

Lorsqu’un étudiant vient vous posez une question, à la fin d’un cours ou en TD, plutôt que de lui répondre immédiatement, demandez-lui d’expliciter son raisonnement.

Par exemple s’il vous dit :
 « Je n’ai pas compris comment vous faites pour arriver à … Vous pouvez me réexpliquer ? »,
alors répondez-lui :
 « Et toi, comment ferais-tu ? ».

S’il vous dit :
 « Pourquoi la réponse à la question est … ? »,
demandez-lui :
 « Pour toi, quelle serait la bonne réponse ? ».

L’idée est de remonter à la source du raisonnement qui l’a conduit à une incompréhension. Si un autre élève est présent, demandez-lui son avis à lui aussi et faites-les débattre entre eux s’ils ne sont pas du même avis.

Lors de vos explications, arrêtez-vous à chacune des étapes pour questionner l’élève sur ce qu’il pense. Plutôt que dire :
 « Si on prend 1 seule ampoule alors la conservation de l’électricité nous montre que le courant après l’ampoule est le même que celui avant. »,

demandez-lui :
 « D’après toi, si on met une seule ampoule, comment est le courant avant par rapport à celui après ? Et pourquoi ? ».

Guidez le par des questions, étape par étape, jusqu’à revenir aux principes fondamentaux de votre cours.

À la fin de cette discussion, prenez immédiatement des notes de ce qui s’est passé ! Vous pouvez être sûr que si un élève est venu vous posez une question, alors il y en a un grand nombre qui pense surement la même chose, mais qui n’ont pas osé vous demander.

Quelques recommandations finales

Une fois les fausses conceptions identifiées, il serait trompeur de croire qu’un exposé sur la conception juste suffira à les faire disparaitre. Prévoyez d’y passer du temps et testez régulièrement leur présence. Utilisez les précieuses informations récoltées à l’aide des méthodes précédentes pour créer des exercices qui traitent des incompréhensions identifiées.

Le marteau et le clou

Au fait, la réponse correcte à la question du marteau et du clou est la réponse 4. C’est la loi des actions réciproques. Incroyable, mais vrai. La majorité des personnes répondent la réponse 2, qui est la réponse « intuitive » et qui est la réponse qu’auraient donnée Aristote et les scientifiques pendant 2 000 ans, avant les découvertes de Galilée puis de Newton. N’oublions pas que ce qu’on enseigne est issu de nombreuses années de recherche et donc n’a a priori rien d’évident.

Bibliographie

[1] Miller, K., Lasry, N., Chu, K., & Mazur, E. (2013). Role of physics lecture demonstrations in conceptual learning. Physical Review Special Topics - Physics Education Research, 9(2), 020113.

[2] Gunstone, R. F., & White, R. T. (1981). Understanding of gravity. Science Education, 65(3), 291–299.

[3] Halloun, I. A., & Hestenes, D. (1985). Common sense concepts about motion. American Journal of Physics, 53(11), 1056–1065.

[4] Shepardson, D. P., Moje, E. B., & Kennard-McClelland, A. M. (1994). The impact of a science demonstration on children’s understandings of air pressure. Journal of Research in Science Teaching, 31(3), 243–258.

[5] Ambrose, S. A., Bridges, M. W., DiPietro, M., Lovett, M. C., & Norman, M. K. (2010). How Learning Works.

[6] Bransford, J. D., Brown, A. L., & Cocking, R. R. (Eds.). (2000). How people learn : brain, mind, experience, and school (Expanded Edition). Washington, D.C : National Academy Press.

[7] Parmentier, J.-F., & Lamine, B. (2015). Que comprennent nos étudiants de la mécanique Newtonienne ? In M01 Mini symp. Formation et pédagogie. Lyon : AFM, Association Française de Mécanique.

[8] En lien avec l’Association Française de Mécanique, nous menons une étude visant à quantifier précisément la présence de ces conceptions erronées en mécanique, du niveau L1 au niveau M2. Contactez l’auteur de cet article si vous êtes intéressés ou désirez en savoir plus.

[9] Crouch, C., Fagen, A. P., Callan, J. P., & Mazur, E. (2004). Classroom demonstrations : Learning tools or entertainment ? American Journal of Physics, 72(6), 835–838.

[10] Parmentier, J.-F., Lamine, B., & Bonnafé, S. (2015). Changer les conceptions en mécanique des étudiants en L1 à l’Université. In M01 Mini symp. Formation et pédagogie. Lyon : AFM, Association Française de Mécanique.

[11] Hake, R. R. (1998). Interactive-engagement versus traditional methods : A six-thousand-student survey of mechanics test data for introductory physics courses. American Journal of Physics, 66(1), 64–74.

[12] Freeman, S., Eddy, S. L., McDonough, M., Smith, M. K., Okoroafor, N., Jordt, H., & Wenderoth, M. P. (2014). Active learning increases student performance in science, engineering, and mathematics. Proceedings of the National Academy of Sciences, 111(23), 8410–8415.

[13] Wainwright, C. L. (2007). Toward Learning and Understanding Electricity : Challenging Persistent Misconceptions. In The Annual Meeting of the Association for Science Teacher Education (ASTE). Clearwater, Florida. Retrieved from http://fg.ed.pacificu.edu/wainwright/Publications/MisconceptionsArticle.06.pdf

[14] Nesbit, J. C., & Adesope, O. O. (2006). Learning With Concept and Knowledge Maps : A Meta-Analysis. Review of Educational Research, 76(3), 413–448.

[15] Jim Vanides et al. (2005), Using Concept Maps in the Science Classroom, Science Scope https://web.stanford.edu/dept/SUSE/SEAL/Reports_Papers/Vanides_CM.pdf

[16] Fiorella, L., & Mayer, R. E. (2016). Eight Ways to Promote Generative Learning. Educational Psychology Review, 28(4), 717–741.

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