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Appropriation sociale des MOOC en France : revue et questionnement

Un article repris de http://journals.openedition.org/dms/2167

Un article de Arnaud Zeller repris de la revue Disatnces et Médiations des Savoirs

Publié en 2016 aux éditions ISTE, une maison d’édition spécialisée dans les ouvrages scientifiques et techniques, cet ouvrage est le fruit de contributions émanant de Bernard Coulibaly, Isabelle Rossini et Emmanuelle Chevry, tous enseignants-chercheurs et membres du LISEC (Laboratoire Interuniversitaire des sciences de l’éducation et de la communication d’Alsace et de Lorraine).

Il s’adresse en particulier aux ingénieurs pédagogiques, enseignants, enseignants-chercheurs et managers de l’éducation, mais aussi aux professionnels désireux d’appréhender dans ses dimensions plurielles, le phénomène des MOOC. Le texte est préfacé par Catherine Mongenet, chercheuse en informatique reconnue et ayant exercé de nombreuses missions et responsabilités parmi lesquelles celle, à la demande du ministère de l’Enseignement supérieur, de mettre en place en 2013 la plateforme FUN, première plateforme mutualisée de MOOC. S’appuyant sur les 1,8 million d’inscriptions recensées et sur l’étude des profils des utilisateurs, celle-ci considère que les nouveaux usages liés à l’utilisation de ces dispositifs obligent à s’interroger sur ce phénomène par les transformations des pratiques pédagogiques et les processus d’appropriation sociale qui en résultent.

Pour introduire l’ouvrage, Marc Trestini prend le parti de dépasser une approche des MOOC trop souvent réduite à ses aspects artefactuels, pour l’aborder dans une dimension sociotechnique plus large, autrement dit en tant que construit social, fruit d’une relation bijective permanente entre l’EIAH et ses utilisateurs, par l’étude du jeu d’interactions de cet environnement informatique d’apprentissage humain avec ses utilisateurs au moyen d’agents artificiels et ce dans une approche de cognition située et distribuée. En prenant soin d’éviter de pencher pour un déterminisme technologique ou a contrario un déterminisme sociologique, il retient comme point d’entrée à cette recherche, l’observation des usages qu’en font l’ensemble des acteurs concernés, au travers de cinq chapitres portant sur la genèse de l’innovation (ch. 1), les modèles pédagogiques et économiques (ch. 2), la dimension interculturelle (ch. 3), l’analyse des processus d’appropriation sociale et l’évolution des modèles (ch. 4), et l’adaptation au contexte socio-économique (ch. 5) de ces dispositifs de formation.

Après une définition à plat des termes, Marc Trestini propose dans le chapitre 1 une historisation mondiale puis française du phénomène appréhendé par son caractère innovant. Il présente dans un continuum chronologique les différenciations pédagogiques pouvant être relevées dans une typologie des cours en ligne qu’il s’agisse de l’e-learning, de l’EAD ou de la FOAD. Les spécificités des MOOC, telles que l’ouverture et la collaboration sous-tendues par les théories dites socio-constructivistes (p. 29) sont rappelées comme éléments déterminants, sans oublier de dire que d’autres modalités d’enseignement et d’apprentissage sont aussi possibles dans un MOOC, comme celles reposant notamment sur un enseignement plus transmissif et frontal (cas des xMOOC). Les aventures américaines puis françaises sont rappelées et permettent d’identifier les modèles et approches retenues, qu’il s’agisse de la production ou l’édition de contenus ou des partenariats stratégiques de développement ayant permis la diffusion, l’ouverture voire l’accès de ces plateformes au plus grand nombre. La question de l’affranchissement des contraintes d’inscription est d’ailleurs rapprochée du problème de la gestion des effectifs et des charges système en découlant.

Bernard Coulibaly rejoint Marc Trestini dans le chapitre 2 où ensemble, ils abordent les modèles pédagogiques et économiques adossés aux MOOC. Dépassant la description et s’appuyant sur de nombreux travaux de recherche, ils proposent d’explorer les approches convoquées à l’origine de la mise en œuvre de nouvelles pratiques numériques en support aux activités d’apprentissage. Ils inscrivent explicitement l’objet de recherche dans le paradigme de l’activité humaine où ils rappellent que « Les MOOC sont considérés comme des systèmes d’activité instrumentée relevant à la fois de la théorie des systèmes et de la théorie de l’activité » (p. 50). Dans un premier temps, l’ouvrage revient sur les théories de l’apprentissage et reprend classiquement le modèle transmissif, le modèle du conditionnement et le modèle interactionniste. Il en élargit le panorama en rappelant la place du réseau comme clé de voûte du connectivisme et pose la question du sens et des motifs qui prévalent dans la théorie du chaos et qui marquent le point de départ des MOOC. Une seconde partie élucide la question des modèles économiques qui y sont adossés telle que la théorie des marchés bifaces et les théories des externalités de réseau qui mettent en jeu le pouvoir des influences et l’interdépendance. Les 4 effets, effets directs, effets indirects, effets de réseaux croisés et effets de réseaux sociaux y sont rappelés comme variables explicatives de la place et du rôle des différents acteurs présents dans l’écosystème et en validation au cadrage théorique retenu par les auteurs. Au-delà des stratégies de tarification et de financement qui y sont exposées, la question de la massification de l’accès à ces plateformes d’apprentissage en libre accès et plus encore de leur viabilité à terme est posée par l’effet de chaos à savoir l’absence de cadres et de contraintes sur lequel paradoxalement elles reposent.

Dans le chapitre 3, la dimension interculturelle est convoquée par Bernard Coulibaly comme approche complémentaire et par ce que le MOOC renvoie en termes d’enjeu de massification. Avec comme point d’entrée la diversité des identités culturelles en situation de co-interaction, il questionne l’appropriation des savoirs dans ces dynamiques et l’effet de ces interactions sur les plans cognitifs et humains. D’une approche notamment bourdieusienne de la culture (p. 115) par l’emprunt du concept d’habitus, il revient ensuite, dans une dimension pédagogique, au contexte d’apprentissage des MOOC s’appuyant sur des participants cosmopolites. Les questions de l’espace et de la temporalité comme représentations culturelles y sont abordées avec l’idée que des pratiques collaboratives rythmées différemment puissent contribuer au développement de nouvelles compétences. Il inscrit son travail de recherche dans le modèle de Stoicu dont il rappelle les trois approches, culturalistes, humanistes et systémiques. En rappelant l’intérêt du travail collaboratif selon des approches cognitivistes et socio-constructivistes, il questionne le caractère supposé innovant des MOOC pour ne retenir que l’interactivité que ces environnements permettent en rappelant les coûts qu’ils induisent, du point de vue des malentendus, pragmatiques ou fonctionnels. Enfin, et au-delà des enjeux d’accessibilité posés en termes de gratuité, l’hégémonie du modèle linguistique anglo-saxon est questionnée du point de vue interculturel et comme point d’assise aux questions de fond soulevées par l’impérialisme des cultures dominantes.

Dans l’avant-dernier chapitre, Isabelle Rossini, Marc Trestini et Emmanuelle Chevry Pébayle en arrivent à l’objet même de l’ouvrage : l’appropriation sociale des MOOC en France. Avec comme point d’entrée les concepts d’innovation et la notion d’usage, ils mettent en relief du point de vue des acteurs puis du point de vue des inscrits, les perceptions et représentations à l’œuvre dans ce cadre. En premier lieu, ils convoquent la double triangulation de l’appropriation (Paquelin, 2003) « comme clé de lecture des attitudes et des pratiques pour chacun des acteurs [...] » (p. 151). En s’appuyant sur deux projets de recherche conduits par le LISEC auprès des professionnels de l’enseignement en ligne, ils effectuent une analyse sur le refus d’acceptation du MOOC auprès des trois niveaux d’acteurs présents et à partir des mécanismes de confrontation et de négociation en jeu d’où il ressort comme éléments fondateurs et déclencheurs des prises de position, les traits d’attractivité et de massification d’ailleurs construits à partir d’informations présentes sur internet. Il s’ensuit l’exposé d’autres positions sur les modèles pédagogiques et économiques en jeu, positions influencées par la référence au modèle anglo-saxon, qu’il s’agisse des conditions d’apprentissage proposées ou du modèle retenu, aujourd’hui payant, mais imaginé gratuit à terme. La recherche s’intéresse ensuite à la perception d’utilité ou d’utilisabilité des MOOC et au travers de l’analyse des trois composants présents dans une situation d’apprentissage dans un EIAH, l’artefact pédagogique, l’artefact didactique et l’artefact technique. Aux situations de conflit instrumental qui se révèlent viennent s’ajouter la contrainte de l’organisation spatio-temporelle et plus largement la question du rapport au temps souvent posé comme étant insuffisant et d’ailleurs au cœur du sujet de cette revue thématique.

Dans ce dernier chapitre, Emmanuelle Chevry Pébayle, Marc Trestini, Bernard Coulibaly et Isabelle Rossini dressent un panorama global des MOOC en France en rappelant l’idéal pédagogique initial sous-tendu dans leur mise en œuvre : la promesse d’une démocratisation du savoir, promesse aujourd’hui non tenue (p. 190). Les auteurs soulignent le contexte d’urgence, le cadre et les enjeux au milieu desquels des modèles ont émergé, parmi lesquels la concurrence interuniversités, l’accueil en matière de gestion des effectifs, le financement de l’offre de formation et les nouvelles offres en direction de publics « en rupture de scolarité ». Plus encore qu’un rappel typologique des offres présentes sur le marché, ils s’intéressent à la fracture encore présente, entre les MOOC et les utilisateurs auxquels ils s’adressent et dont beaucoup ignorent encore jusqu’à leur existence. Ils abordent les raisons qui freinent leur démocratisation en soulignant d’abord la concentration des enseignements sur de courtes périodes puis les conditions prérequises du point de vue des compétences métacognitives nécessaires à la réussite des parcours proposés. Revenant sur le modèle économique majoritairement présent, public et donc aujourd’hui fragile, puis sur l’appropriation même de cette innovation selon le schéma de Depover et Strebelle (1996), ils posent le principe de l’itération par rétroaction comme éléments de caractérisation à défaut de stabilisation voire d’ancrage du modèle, susceptible, dans une approche prospective, d’« uberiser » les formations universitaires par effet de domino ou parce que certaines d’entre elles y recourent déjà.

Les auteurs concluent leur propos en énonçant que de leurs points de vue, les approches historiques, pédagogiques, interculturelles auxquelles ils ont adjoint des travaux de recherche permettent de rendre compte des représentations et pratiques émergentes des MOOC en France, du point de vue des professionnels et lors de l’adoption, en soulignant les divergences de point de vue selon notamment les degrés d’implication. Ils complètent ce point de vue par celui des inscrits qui sans véritable surprise s’appuie sur des arguments telles que la facilité d’inscription, la gratuité et la perspective d’une amélioration des situations professionnelles voire d’un épanouissement personnel. Les défis auxquels sont confrontés les décideurs des politiques publiques éducatives, l’isolement, la dominance culturelle et l’innovation mettent le point d’orgue à cet ouvrage.

Vouloir dresser un état des lieux des MOOC, même sans vouloir prétendre à l’exhaustivité, est un exercice risqué qui peut vite se transformer en piège si des précautions épistémologiques d’usage ne sont pas posées. Les auteurs ont su éviter de tomber dans un excès d’ambition et se sont livrés à un travail cadré et méthodique les conduisant à poser les termes du sujet d’une manière à la fois prospective et audacieuse. Elle leur a permis de convoquer des approches plurielles et complémentaires permettant à la démonstration de prendre du corps et de la hauteur en s’appuyant sur un état de l’art et les résultats de recherches interdisciplinaires permettant une mise en relief des usages. L’ajout de références bibliographiques systématiques assorties d’une contextualisation précise de chaque apport représente un atout majeur dans l’accessibilité de l’ouvrage.

Cependant et même si les auteurs en pressentent l’importance, on pourra regretter que les enjeux liés à la traçabilité numérique de l’activité (Menger et Paye, 2017) non seulement par les learning analytics mais aussi par l’Educational Data Mining, le Machine Learning et le Predictive Data ne soient qu’esquissés, de même que la question de la transformation des universités en découlant (Achard, 2016).

Mais pour conclure, cet ouvrage apporte de notre point de vue, et sous une entrée résolument sociologique des sciences de l’éducation, une avancée significative dans la revue et le questionnement des modèles socio-économiques et pédagogiques en jeu dans les processus d’appropriation sociale des MOOC. Posant à nouveau la question des risques d’industrialisation de la formation, il en propose une mise en perspective éclairée avec des enjeux portant sur la place des idéologies, la question de la transformation du métier d’enseignant chercheur et l’acquisition par le pédagogue de nouvelles compétences.

Loin de se faire les apôtres ou les porte-paroles de l’industrie numérique éducative, les auteurs nous invitent donc à porter un regard aiguisé sur, à défaut de révolution, cette désormais évolution silencieuse qui impacte, pour le meilleur ou le pire, les conditions d’apprentissage.

Pour citer cet article

Arnaud Zeller, « Appropriation sociale des MOOC en France : revue et questionnement », Distances et médiations des savoirs [En ligne], | 2018, mis en ligne le 23 mai 2018, consulté le 27 juin 2018. URL : http://journals.openedition.org/dms/2167

Auteur

Arnaud Zeller
LISEC, arnaudzeller67@gmail.com

Licence : CC by-sa

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