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Échange avec Julie Brillet sur ses notes hebdos (Louis Derrac)

13 janvier 2024 par Louis Derrac Blog de Louis Derrac 191 visites 0 commentaire

Un article repris de https://louisderrac.com/2024/01/ech...

Avec Julie Brillet, on se connait depuis les débuts de Resnumerica et plus je la découvre, plus j’aime ce qu’elle fait, individuellement et collectivement, notamment avec Romain Renaud, son associé à l’Établi numérique. Comme moi, Julie communique sur des espaces numériques pour s’exprimer et pour valoriser son activité. J’ai particulièrement été intrigué par ses notes hebdomadaires, un format original mêlant le professionnel et le (parfois très) personnel, et j’ai voulu l’interroger à ce sujet. Julie a très gentiment accepté de répondre à mes questions, et a ensuite proposé de m’interroger en retour.

Voici donc ici l’interview de Julie, et vous pourrez retrouver la mienne sur le site de Julie. Bonne lecture !

Quand et comment t’es venue cette envie, cette idée de tenir un journal de bord hebdomadaire ?

Lors d’un forum ouvert organisé par la BU de l’INSA de Rennes, en janvier 2020, Thomas a présenté ses weeknotes, comment et pourquoi il les écrivait. L’idée m’a plu et j’ai publié mon premier journal de bord deux semaines plus tard, avec un résumé de ma semaine, mes joies, mes peines et quelques recommandations issues de ma veille. 

Mon premier objectif était tout à fait personnel. Quand on est indépendante, et d’autant plus quand on se lance, il peut être facile de considérer que si on facture peu, c’est qu’on ne travaille pas assez. Le fait de consigner par écrit mes activités de la semaine permettait d’objectiver la quantité de travail effectué et de réduire (un peu) les risques d’autoexploitation. Ça m’a permis de mettre en place une routine, quand je publie le vendredi : c’est le signe que c’est le week-end. 

Assez bizarrement, je ne crois pas m’être interrogée sur la réception publique de ce journal de bord. Je me suis même dit que ça n’intéresserait pas grand monde ! Je le voyais comme une brique de mon image publique, au même titre que mes publications sur les réseaux sociaux ou mes billets de blog. Une fois publié, ça ne m’appartient plus et ça vit sa petite vie numérique. 

Ce journal a-t-il toujours été orienté pour un cadre professionnel ? Ou est-ce c’était personnel au début, puis professionnel ? Ou l’inverse ?

Il a toujours été professionnel et il le reste. Même quand je mentionne certains éléments qui ne relèvent pas stricto sensu de mon travail, ils sont toujours en lien, comme par exemple ce qui relève du bénévolat au sein d’associations en lien avec le numérique.

Serge Tisseron parle d’extimité lorsqu’il évoque un « désir de rendre visibles certains aspects de soi jusque-là considérés comme relevant de l’intimité » (source Wiki). Est-ce que tu te reconnais dans ce terme ? Si non, as-tu déjà réfléchi à ce que représentait pour toi, et pour les autres, la publication de tes notes hebdos ?

C’est intéressant, cette notion. Je dirais que dans un premier temps, j’ai tenu à avoir une image professionnelle très contrôlée où je mettais peu, voire pas d’intime. Mais j’ai bougé là-dessus, j’ai notamment beaucoup tourné autour de la question de la vulnérabilité. Je trouve que dans un cadre professionnel, notamment quand on est indépendante, on a tendance à vouloir construire une image de soi solide comme un roc, sans problème de santé, efficace au travail. Il y a peu de place pour le doute, des problématiques de santé ou tout ce qui pourrait être associé à de la fragilité.

J’ai évolué sur le sujet, notamment parce que, pour moi, un monde où il n’y a pas de place pour la vulnérabilité poursuit une logique individualiste et méritocratique (“quand tu veux, tu peux”). C’est bien loin d’un monde que j’imagine souhaitable, où le soin apporté aux autres serait central. On pourrait y parler de santé mentale sans honte, et voir la réussite à l’aune d’autres critères que ceux défendus par le capitalisme.

J’ai donc commencé à mentionner mes vulnérabilités de façon plus marquée dans mes notes hebdo. Un exemple : « Je sors d’une période compliquée, avec une santé mentale dans les choux, des angoisses très présentes et un moral dans les chaussettes. Avec le soutien de celleux qui m’entourent (merci !), un rendez-vous avec ma psy et pas mal d’introspection, de repos et de travail sur moi, j’ai bien remonté la pente. »

J’ai même écrit un billet de blog sur mes migraines chroniques et je songe à écrire un manuel d’utilisation comme l’a fait Thomas : je trouve ça intéressant et assez fascinant de se connaître assez pour pouvoir expliquer ses besoins et ses limites, y compris dans un cadre professionnel. 

Tout comme il me parait important de rendre publics des sujets comme la santé mentale, il y a d’autres sujets très politiques que j’aimerais pouvoir rendre extimes dans ces notes hebdo, comme par exemple le fait d’être mère séparée et indépendante, parce que c’est assez sportif ! Mais je ne le fais pas, sûrement car je ne suis pas à l’aise à l’idée de parler d’autres personnes que moi (mes enfants et en creux les autres personnes impliquées dans leur éducation), mais aussi parce qu’on fait porter beaucoup de stigmates misérabilistes sur les familles monoparentales, et que ça vient encore une fois frotter avec une question d’image publique positive. Un autre sujet à travailler, je pense. 

J’ai souvent, en tant que lecteur, été impressionné par ton honnêteté et ta transparence, surtout dans les parties « mes joies/mes peines ». Il est particulièrement dur de parler d’échec, certainement encore plus quand on est indépendant et qu’on vend du « temps de cerveau disponible ». J’imagine aussi qu’il y a des limites à l’ouverture sur soi, sur l’intime. Et il y a enfin la dimension politique, qu’on ressent plus ou moins fortement. Comment décides-tu ce que tu partages, et ce que tu ne partages pas ? T’arrive-t-il de t’autocensurer ?

La notion d’échec renvoie pour moi à la vulnérabilité dont je parlais plus haut. C’est rassurant de lire des récits de non-réussite, alors ça me parait important de les raconter moi aussi. J’essaye de faire preuve de sincérité. Mon but n’est ni de me faire plaindre, ni de prétendre, comme dans une publication LinkedIn, que l’échec rend plus fort, mais plutôt de raconter ma réalité, où tout n’est pas parfait. Quand je me suis lancée comme indépendante, discuter avec d’autres indépendantes qui m’ont partagé leur expérience et notamment leurs difficultés, m’a beaucoup aidée. J’ai l’impression de faire, à mon tour, un partage d’expérience qui peut être utile à d’autres. 

Il y a un point sur lequel je m’autocensure de façon systématique : je ne partage jamais rien qui pourrait me faire passer pour déloyale vis-à-vis d’un client·e ou d’un partenaire. C’est bien entendu stratégique, mais je considère aussi que les notes hebdo ne sont pas un exutoire.

Sur la politique, c’est compliqué. Je pense qu’il n’est pas difficile de deviner quelles sont mes orientations politiques en lisant mes notes hebdomadaires, mais ça passe sans doute plus par les podcasts que je partage que par ce que je raconte sur mon vécu. Sur le féminisme, par exemple, je m’autocensure beaucoup moins dans mes notes hebdo (qui appartiennent à mon espace) que quand j’étais sur Twitter (où j’avais une trouille bleue du raid masculiniste). Mais pour autant, j’ai l’impression de ne jamais affirmer frontalement mes opinions. Je manie beaucoup l’euphémisme.

On est toi et moi indépendants, et en cela, nous avons besoin de communiquer pour trouver des clients. En quoi ton journal de bord sert-il, ou pas, ce besoin ? Et comment t’organises-tu pour aligner tes différents objectifs (partager, valoriser des productions, raconter des choses personnelles, politiques, etc.) ?

Ce journal de bord reste avant tout professionnel, il sert donc mon image professionnelle et à occuper l’espace, mais j’ai l’impression qu’il est bien moins efficace que mon CV ou que la recommandation d’ancien·nes client·es pour trouver du travail ! En tous cas, je n’ai jamais eu de sollicitation liée à mes notes hebdo précisément, mais j’ai bien conscience que mon image sur les réseaux en général a un impact sur ma visibilité et donc les propositions de travail. Les notes hebdo y contribuent sans doute par leur régularité et leur aspect sensible. 

L’équilibre entre le temps facturé et temps non facturé n’est pas toujours facile à trouver pour plein de raisons expliquées ici. J’aimerais pouvoir écrire plus de billets analytiques ou de comptes-rendus de lecture, mais je n’arrive pas à trouver ce temps-là. L’écriture des notes hebdo est incluse dans une routine hebdomadaire : chaque semaine, j’ai une heure dédiée à cette tâche, soit en début de premier jour, soit en fin de dernier jour. Le reste de mon organisation est plus changeante et j’ai du mal à sanctuariser des moments d’écriture autres, c’est très frustrant. 

Ces notes hebdo te servent-elles de journal que tu retournes relire de temps en temps pour te remémorer ? Ou c’est plutôt une catharsis au moment où tu les écris ?

Ça me sert aussi de mesure de la charge de travail : quand je n’arrive pas à les écrire, c’est que je travaille trop et que j’ai besoin de repos. Par exemple, il y a un trou de plusieurs mois entre l’été 2021 et le début de 2022, il est facile à expliquer : je travaillais à l’université de Rennes 2 à mi-temps, j’avais tous les contenus de cours à créer et mes marques à prendre et en même temps j’ai formé quelques semaines des conseillers numériques en Loire-Atlantique, et j’avais d’autres prestations. Une période trop chargée, donc. 

Il m’arrive de les relire, notamment pour comparer des souvenirs avec ce que j’ai vraiment raconté sur le moment. Cela me permet aussi de mesurer le chemin parcouru, avec une certaine fierté, ou de revivre a posteriori des périodes compliquées, comme le premier confinement. Je trouve ça bien d’avoir gardé des traces qui racontent comment je les vivais sur le moment, j’ai tendance, le temps passant, à enjoliver le négatif ou bien à dévaloriser des réussites. 

As-tu des retours sur ces notes hebdos ? Si oui, de quels publics ?

J’ai le retour le plus mignon du monde, celui de mon papa qui me dit qu’il est fier de moi et m’envoie des cœurs sur Facebook. Au-delà de ça, je suis toujours surprise quand on m’en parle car je n’ai aucune statistique sur mon site et je ne sais pas du tout combien de personnes me lisent. 

Les retours, outre ceux de mes proches, sont souvent des retours de professionnel·les de la médiation numérique, de la formation ou des bibliothèques. On m’a déjà partagé le fait d’être impressionné·e par tout le travail effectué et par la régularité de mes notes. On me fait des retours surtout sur mes recommandations de podcast. Je connais quelques ami·es qui l’attendent comme un feuilleton, c’est plutôt rigolo… Par contre, ça suscite peu d’échanges, y compris quand je les poste sur les réseaux sociaux, mais ça me va bien. J’ai d’ailleurs limité les espaces d’échanges : là où je les publie, il n’est pas possible de commenter. Encore une fois, c’est mon espace à moi et ça me va.

Photo de Tyler Nix sur Unsplash

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Licence : CC by-sa

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