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L’atelier des médiations ou Wikipédia au musée

16 septembre 2016 Retours d’expériences 286 visites 0 commentaire

Un article de Jessica Fèvres - de Bideran du 12 septembre 2016 repris du blog "com’en histoire" un site sous licence cc by nc nd

La rentrée universitaire et le montage de projets pédagogiques est l’occasion pour Com’en Histoire d’ouvrir une nouvelle catégorie de publications qui vient enrichir la proposition éditoriale de notre carnet collectif, « L’atelier des médiations ». A travers cette nouvelle forme de billets, nous souhaiterions à l’avenir diffuser ici des réflexions qui vont naître des expériences et expérimentations que nous menons avec des étudiants mais aussi avec d’autres collègues dans le cadre de nos travaux d’enseignement et de recherche. « L’atelier des médiations » fera donc échos aux « Dialogues de Com’en Histoire » qui, pour leur part, vont continuer à s’enrichir de nouveaux entretiens réalisés auprès de professionnels de la médiation et de scientifiques interrogeant ce concept. Fidèle à l’esprit collectif de ce carnet, cette introduction est aussi l’occasion de lancer un premier appel à contribution aux étudiants et chercheurs, expérimentés ou pas, qui souhaiteraient présenter ici leurs travaux de recherche portant sur la médiation des patrimoines.

Aujourd’hui c’est avec un billet sur Wikipedia je souhaite personnellement inaugurer cette nouvelle entrée ! On ne présente évidemment plus cette encyclopédie collaborative, devenu un outil incontournable d’accès à l’information et au savoir pour des millions d’internautes. Face à ce succès, nombreux sont les chercheurs à s’intéresser à cet objet trop longtemps décrié dans la communauté universitaire ; pour n’en citer qu’un on pourra renvoyer à l’ouvrage collectif Wikipédia, objet scientifique non identifié, publié sous la direction de Lionel Barbe, Louise Merzeau et Valérie Schafer. Le printemps a également vu fleurir un certain nombre d’articles Hypotheses très intéressants et traitant de Wikipédia sous l’angle du digital labor pour certains, ou de la pédagogie pour d’autres, du côté de l’enseignant comme de celui de l’apprenant. A cet égard, je me reconnais pleinement dans les propos détaillés qu’Émilien Ruiz, Maître de conférences à l’Université de Lille 3, a publiés sur devhist sous le titre faussement interrogateur, « Que faire de Wikipédia ?« . En permettant aux étudiants d’apprendre « à adopter une posture de lecture active » (je cite), l’expérience pédagogique développée par Émilien Ruiz s’avère particulièrement pertinente pour l’apprentissage de la critique des sources informationnelles (historiques, journalistiques, scientifiques, etc.). Parce que mon enseignement se déroulait sur une vingtaine d’heures, j’ai pu pour ma part dépasser le stade de la lecture active pour entrer de plain pied dans celui de l’écriture collaborative…

Felix Arnaudin chez les Commons, ou l’expérimentation d’une culture informationnelle numérique

L’intitulé particulièrement vague du cours, « Outils et méthodes », m’a en effet permis de développer durant le premier semestre 2016 un projet associant le Musée d’Aquitaine, le Master professionnel « Régie des œuvres et médiation de l’architecture et du patrimoine » de l’Université Bordeaux Montaigne [1] et la Cubale, groupe des utilisateurs de Wikipédia en Gironde (qu’ils soient tous ici remerciés pour leur travail évangélisation !). Monté avec les précieux conseils de Sylvain Machefert, l’objectif de cet enseignement était de confronter des étudiants se destinant aux métiers de la médiation culturelle ou de la régie des oeuvre à la « culture numérique », expression certes bien floue mais qui a le mérite d’englober les nombreuses révolutions culturelles contemporaines dont nous n’avons pour l’instant qu’une perception limitée. S’inspirant de programmes déjà en cours au sein de différents musées ou établissements culturels, suite le plus généralement à des signatures de conventions avec Wikimédia France, et prenant la suite du Wiki-Day qui s’était déroulé en octobre 2014 à Bordeaux [2], il s’agissait de répondre à une triple attente : 1) faire travailler les étudiants sur Wikipédia afin d’acquérir de multiples compétences en culture informationnelle ; 2) donner de la visibilité aux fonds iconographiques du Musée d’Aquitaine ; 3) enrichir Wikimédia en y versant des ressources photographiques de bonne qualité et, bien sûr, libres de droit. Cette séquence pédagogique s’est donc notamment appuyée sur une exposition temporaire présentée par le Musée d’Aquitaine du 14 avril au 31 octobre 2015, « Félix Arnaudin, le guetteur mélancolique« .

Je ne vais pas m’étendre ici sur les apports pédagogiques indéniables de cette expérimentation car beaucoup de choses ont déjà été dites [ici -http://blog.wikimedia.fr/plaidoyer-pour-enseigner-wikipedia-9245] et . Mais il est évident qu’au-delà de permettre de dépasser les critiques récurrentes faites à l’encontre de cette plateforme protéiforme, le travail d’écriture « à la manière encyclopédique », une rédaction concise, effectuée en groupe et selon des thématiques précises, le versement d’images et de métadonnées, le renseignement des sources et l’analyse critique de ces sources, la documentation et la recherche bibliographique, etc. sont autant d’activités qui permettent à l’étudiant d’acquérir une culture informationnelle et documentaire essentielle à l’ère du numérique mais difficilement accessible sans ce passage concret à la logique projet. Il faut également souligner la satisfaction des étudiants de voir leurs travaux en ligne, de contribuer à enrichir les connaissances disponibles sur ce pionnier de la photographie, de discuter et d’argumenter avec les Wikipédiens, de faire évoluer leurs notices, etc. S’initier aux enjeux de fonctionnement de tels outils d’édition et de partage permet finalement de saisir au moins en partie les caractéristiques de la culture numérique au regard de la culture de l’imprimé (différences mémorielle, juridique, etc.).

Pour autant, en quoi cela peut-il les aider à acquérir la démarche intellectuelle propre à la mise en place d’activité de médiation culturelle, objectif pédagogique important si ce n’est crucial puisqu’un certain nombre d’entre eux se destineront justement au métier de médiateur ?

Médiation et valorisation numériques du patrimoine documentaire, des moments et un mouvement

Au-delà de l’aspect pédagogique de cette expérience d’enseignement, ce qui m’intéresse en effet en tant que chercheur c’est de mieux comprendre ce qu’il se passe, du point de vue institutionnel, lorsqu’un musée accepte de se prêter au jeu de Wikipédia… Bien sûr, et compte tenu des millions de connexions quotidiennes, cet objet éditorial constitue une vitrine de première ordre qui ne peut laisser le monde de la culture indifférent. Mais dans quelle catégorie ranger ce type d’actions ? S’agit-il d’un simple exercice de communication ou cela relève-t-il plutôt des activités de médiation culturelle que toute institution patrimoniale se doit de proposer aujourd’hui ? Comment cela participe-t-il d’une démarche de valorisation patrimoniale plus globale.

Comme l’a récemment rappelé Patrick Fraysse dans un de ces derniers articles fort justement intitulé « La médiation numérique du patrimoine : quels savoirs au musée ?« , l’accélération et l’augmentation exponentielle des formes de diffusion numérique du patrimoine brouillent inévitablement les frontières entre transmission, valorisation et appropriation de ce patrimoine numérisé.

A travers l’exemple du musée des Augustins de Toulouseet de sonengagement auprès de Wikimédia, celui-ci montre ainsi que « le processus de documentation des œuvres du musée est aujourd’hui partagé avec les usagers. Il ne s’agit plus de faire, mais de faire faire en supervisant les opérations. Dans cette perspective de partage, le professionnel acquiert une position d’expert et de contrôle du travail du public. » Plus loin, il précise que cet exemple « illustre l’utilisation communicationnelle que le musée peut faire de cette activité documentaire d’étude « participative » des collections. En plus d’être présent sur la toile, le musée investit efficacement une plateforme de partage de contenu qu’il assimile à un réseau social numérique. » Le musée gagne ainsi en visibilité sur le réseau tout en rendant accessible en ligne des éléments du patrimoine commun. Mais ne s’agit-il réellement que d’une activité communicationnelle ? D’autres processus ne sont-il pas enchâssés dans ce type d’actions où finalement le dispositif envisagé, visiblement innovant car numérique et collaboratif, a tendance à masquer les différents moments vécus par les sujets engagés dans cette activité ?

Ces questions permettent, me semble-t-il, de compléter quelque peu la réflexion qui entoure actuellement la notion de médiation, et plus exactement de médiation numérique [3]. Dépassant la simple transmission de savoir, car elle ne serait alors que communication, la médiation implique en effet une interaction qui transforme les liens entre les sujets en présence et autorise l’appropriation et le partage des connaissances contenues dans les documents patrimoniaux. En ce sens, celle-ci suppose un accès numérique (grâce à un outil) au document, mais aussi un accès intellectuel (assimilation des savoirs) qui rend le document intelligible, et, enfin, un accès relationnel (sujets engagés dans une activité de médiation) par la création d’expériences utilisant ces ressources patrimoniales. Autrement dit, la médiation numérique peut être définie comme un moyen d’acculturation des publics s’appuyant sur la sollicitation de ces derniers dans un objectif d’appropriation de connaissances, le tout médiatisé par un dispositif numérique.

Or l’expérience Wikipédia menée sur le long terme (une dizaine de semaines) montre qu’en réalité les moments de médiation se succèdent et s’empilent les uns les autres pour aboutir in fine à une action de valorisation patrimoniale plus globale. Les étudiants, qui assurent ici le rôle du fameux « grand public » auquel s’adressent traditionnellement les musées, acquièrent ainsi des compétences documentaires et numériques (indexation, syntaxe, etc.) et sont placés en situation de médiation lors des ateliers et séances de travail en groupe avec les personnels du musées. Les multiples interactions qui se créent avec le fonds photographique et les experts leur permettent de s’approprier ce patrimoine documentaire, de transformer les relations nouées avec le musée mais aussi de bouleverser la position du professionnel devenu désormais un collaborateur et non plus un simple diffuseur. Au cours de ce mouvement plus général de valorisation patrimoniale, qui permet de faire évoluer la valeur publique attribuée à l’oeuvre de Félix Arnaudin [4], la médiation s’est finalement concrétisée dans une série de moments (visite de l’exposition, échange avec les professionnels du musée, apprentissage de la logique Wikipédia, etc.) où le support numérique est certes important mais non pas déterminant

Au sein des nouvelles pratiques de médiation, il parait donc nécessaire de relativiser le déterminisme technologique pour analyser plus finement les bouleversements organisationnels en cours… Car ces pratiques collaboratives, de plus en plus nombreuses, signent progressivement l’entrée des institutions culturelles dans le monde de la culture de la convergence [5]. Si ce train avait déjà été pris par les industries culturelles, les producteurs de sens que sont les institutions patrimoniales publiques étaient pour l’instant restés à quai…

Licence : CC by-nc-nd

Notes

[1Devenu aujourd’hui Master « Patrimoine et Musée »

[2La photographie de Une illustrant mon billet a d’ailleurs été prise lors de cette journée, Crédit : Benoît Prieur (Agamitsudo) – CC-BY-SA.

[3En ce qui concerne les bibliothèques, on pourra par exemple consulter les billets de Silvère Mercier à ce sujet. Ce concept de médiation numérique du patrimoine sera également au cœur du programme scientifique P@trinum, porté par l’ESPE d’Aquitaine et auquel Patrick Fraysse et moi-même allons collaborer.

[4Ainsi, lors du début de notre travail, l’oeuvre photographique de Félix Arnaudin était presque totalement absente de sa notice Wikipédia !

[5J’utilise à dessein cette expression théorisée par Henry Jenkins puisque j’entame actuellement un travail de recherche sur la valorisation du patrimoine via le transmédia dans le cadre du projet MédiaNum portée par Mélanie Bourdaa, Maître de conférences en SIC à l’Université Bordeaux Montaigne…

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