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La propension à l’interdisciplinarité des étudiants en situation d’innovation

27 mai 2016 par Thomas Houy Retours d’expériences 1328 visites 0 commentaire

Thomas Houy1, Yohan Attal2, Yohann Melamed3


1 : Télécom ParisTech, 46, rue Barrault, 75 013 Paris thomas.houy[at]telecom-paristech.fr
2 : Studyka, 5, rue des Suisses, 75 014 Paris yohan[at]studyka.com
3 : Studyka, 5, rue des Suisses, 75 014 Paris yohann[at]studyka.com



Un article initialement publié dans la Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur.

URL : http://ripes.revues.org/825


Re-publié sur le site innovation-pedagogique.fr avec l’aimable autorisation des auteurs.


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La propension à l’interdisciplinarité des étudiants en situation d’innovation

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1. Introduction

La promesse de l’interdisciplinarité change en fonction des raisons pour lesquelles elle est mobilisée. En matière de recherche, l’interdisciplinarité doit permettre de faire émerger des clefs de compréhension nouvelles et pertinentes dans le but d’examiner avec plus de facilité la complexité des phénomènes (Brousseau & Rallet, 1998). Pour se distinguer de la pluridisciplinarité, elle ne doit pas seulement proposer un regard croisé sur les objets de recherche étudiés. Elle doit être à l’origine d’un savoir nouveau, directement issu de l’interpénétration des sciences entre elles (Pasquier & Schreiber, 2007).
En matière d’enseignement supérieur, l’interdisciplinarité répond à une logique d’efficacité dans la présentation de la complexité des phénomènes contemporains. Les nouveaux savoirs étant de plus en plus intégrés et les dernières réalisations scientifiques étant elles-mêmes à l’interface de plusieurs disciplines, leur transmission nécessite de recourir à des modèles pédagogiques hybrides, fondés à partir de plusieurs champs disciplinaires (Hamel, 2002 ; Vaideanu, 1987). L’interdisciplinarité dans l’enseignement supérieur se justifie également par des considérations de proximité entre les approches développées en cours et les techniques employées dans la vie professionnelle (Boisot, 1971). Les étudiants doivent pouvoir s’exercer à l’interdisciplinarité avant d’y être confronté très directement en entreprise. Enfin, l’interdisciplinarité est source de motivation des étudiants (Camel & Fargue-Lelièvre, 2009). Les étudiants valorisent les approches pédagogiques holistiques, capables de leur donner à voir des ensembles intégrés et complexes plutôt que des enseignements segmentés qu’il leur reviendra d’articuler a posteriori.
En 1970, l’OCDE (1970) organisait déjà à Paris un colloque international sur le thème de l’interdisciplinarité dans l’enseignement supérieur et la recherche. Ce sujet est donc ancien. Les résultats positifs et avérés de l’interdisciplinarité, aux premiers rangs desquels figurent l’accès à des savoirs nouveaux et la création de modèles pédagogiques innovants, ont donc pu être largement diffusés depuis des décennies. Sur la base de ces résultats, a émergé un discours consensuel sur les bienfaits de l’interdisciplinarité et un nombre important d’initiatives interdisciplinaires ont vu le jour. Concernant les discours, il est possible de noter que les trois derniers ministres de l’enseignement supérieur et de la recherche se sont déclarés particulièrement soucieux du développement de l’interdisciplinarité. Concernant les initiatives interdisciplinaires, la plus visible reste sans doute la création, en 2010, de la mission pour l’interdisciplinarité au sein du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
Les discours officiels et les initiatives institutionnelles traduisent une volonté politique et visent à impulser un mouvement pour l’interdisciplinarité. Pour autant, la manière dont les acteurs impactés par ce changement perçoivent l’interdisciplinarité peut être interrogée. Comment les chercheurs, les enseignants du supérieur et les étudiants appréhendent- ils l’interdisciplinarité ? Une littérature existe sur la nature de l’accueil réservé à l’interdisciplinarité (D’Hainaut, 1986 ; Laudel, 2001 ; Prud’Homme, Gingras Couillard & Terrasson, 2012 ; Rege Colet, 2002). En revanche, aucune étude à notre connaissance ne semble avoir été conduite pour qualifier précisément le niveau d’appétence des étudiants pour l’interdisciplinarité. L’un des objectifs du présent article est justement de questionner l’existence d’un goût réel des étudiants pour l’interdisciplinarité. Par-delà les informations issues de cet article, permettant de statuer sur l’existence d’une réelle appétence des étudiants pour l’interdisciplinarité, nous essayerons d’identifier les déterminants de leur propension à l’interdisciplinarité.
Les questions de recherches adressées par cet article ne trouvent pas de réponses triviales. Il existe en réalité un faisceau d’informations contradictoires nous laissant penser qu’il est difficile d’avoir des intuitions sur l’accueil réservé par les étudiants à l’interdisciplinarité. D’un côté, le nombre d’étudiants inscrits en double cursus ne cesse d’augmenter dans la plupart des universités et des écoles. De l’autre, il est courant d’entendre des étudiants revendiquer une identité disciplinaire, déconsidérant par extension les disciplines dans lesquelles ils ne se sont pas impliqués. Des hiérarchies tacites entre disciplines peuvent ainsi s’installer dans l’esprit de certains étudiants (souvent en début de cursus), ce qui conduit à ne pas les ouvrir à l’interdisciplinarité.
Pour traiter notre sujet, nous avons choisi d’observer le comportement d’étudiants sur la plateforme Studyka1. Cette plateforme offre à chaque étudiant la possibilité de travailler avec d’autres étudiants dans le cadre d’un défi proposé par une entreprise partenaire à la plateforme. Les étudiants qui participent à ces défis le font à côté de leur activité scolaire et de manière parfaitement invisible pour leur université ou leur école. Il n’existe donc aucune incitation scolaire à la participation des élèves, ce qui nous permet d’observer des comportements désintéressés en ce sens qui sont la conséquence du choix non contraint et non incité des étudiants. Pour autant, et c’est une limite de notre plan d’expérimentation, la plateforme Studyka prend position, à plusieurs endroits de son site, en faveur de l’interdisciplinarité. Par exemple, la plateforme signale que l’innovation résulte très souvent du croisement de compétences et de talents différents. Ce parti pris de la plateforme Studyka peut influencer les étudiants et créer un biais dans nos observations. Autrement dit, en fondant notre analyse sur l’observation des choix des étudiants sur la plateforme Studyka, nous pouvons, d’un côté, travailler sur un corpus hermétique aux stratégies interdisciplinaires propres à chaque établissement, mais, d’un autre côté, nous devons concéder un biais relatif au discours pro-interdisciplinarité de la plateforme sur laquelle portent nos observations.
Les résultats de cet article présentent de l’intérêt pour les chercheurs et les enseignants concernés par l’entrepreneuriat et l’innovation en raison de la nature des défis proposés par les entreprises sur la plateforme. Les entreprises présentes sur la plateforme proposent, en effet, aux étudiants des défis de conception d’une innovation (de produit, de service, de procédé, organisationnelle ou marketing). A travers les résultats de cet article, il devient donc possible de comprendre les motivations spontanées des étudiants pour les autres disciplines sachant que la population d’étudiants considérée est à la fois intéressée par l’innovation et l’entrepreneuriat et placée dans une situation concrète de devoir concevoir, créer et réaliser une innovation.

L’article est organisé en cinq parties. La première partie rend compte du cadre théorique dans lequel s’inscrit notre problématique. La deuxième partie revient sur la méthodologie mobilisée pour traiter notre question de recherche. La troisième partie est consacrée à une présentation de nos résultats. La quatrième partie prend la forme d’une discussion pour mettre en exergue les principaux enseignements à tirer de nos résultats. La cinquième partie est conclusive et questionne la portée et les limites de notre étude.

2. Cadre théorique de la recherche

L’article mobilise les concepts d’interdisciplinarité, d’innovation et d’entrepreneuriat. Il convient d’apporter quelques précisions sur la manière avec laquelle nous nous saisissons de ces notions et de qualifier la nature des relations qu’elles entretiennent.
Dans le contexte précis de notre recherche, l’interdisciplinarité renvoie à la manière dont s’opère la rencontre entre les savoirs diversifiés d’un groupe d’étudiants en provenance d’horizons différents. Cette rencontre n’est pas encadrée par une institution de l’enseignement supérieur. Elle est provoquée par le choix individuel et extra-scolaire d’étudiants qui expriment un intérêt pour travailler avec des camarades issus de spécialités différentes. Dans notre article, l’interdisciplinarité est ainsi envisagée dans le cadre d’un collectif éphémère puisque le groupe de travail se constitue d’étudiants qui se rencontrent en ligne pour la durée du défi lancé par la plateforme.

L’effet escompté de l’interdisciplinarité est de faciliter la production d’idées innovantes. Les attentes des entreprises à l’origine des défis lancés par la plateforme portent en effet sur la dimension créative des résultats obtenus par les groupes d’étudiants. Dans notre article, l’innovation renvoie donc au caractère disruptif des travaux réalisés par les étudiants.
Enfin, l’innovation est souvent présentée par la plateforme dans une perspective entrepreneuriale. Le plus souvent, les défis lancés par les entreprises doivent donner lieu à la création d’une entité nouvelle, capable de tirer de la valeur de la production d’un bien ou d’un service nouveau. L’entrepreneuriat est ainsi perçu comme la création d’une organisation autonome capable d’exploiter un modèle économique associé à bien ou à un service.
Les relations entretenues par l’interdisciplinarité, l’innovation et l’entrepreneuriat sont complexes et peuvent ouvrir des champs de recherche entiers. Dans le cadre du présent article, nous retenons un cadre théorique simplifié où l’interdisciplinarité contribue à l’innovation, elle-même à l’origine d’initiatives entrepreneuriales. Autrement dit, nous nous saisissons d’un cadre théorique qui établit une relation causale entre l’interdisciplinarité, l’innovation et l’entrepreneuriat.
La littérature la plus proche de notre article est celle qui s’est intéressée aux « Equipes Entrepreneuriales » en portant une attention toute particulière aux compétences des fondateurs d’entreprise. Une première série de travaux a montré que l’association d’entrepreneurs pouvait résulter d’une réflexion stratégique ou être, au contraire, la traduction d’un fait social, l’entrepreneur s’associant alors avec des personnes proches de lui (Moreau, 2006). Lorsque la décision d’association est stratégique, l’accès aux compétences complémentaires de son associé devient un motif souvent évoqué par les entrepreneurs (Ucbasaran, Lockett, Wright & Westehead, 2003 ; Weinzimmer, 1997). Une deuxième série de travaux s’est intéressée aux effets de la complémentarité des compétences des associés sur la performance de leur entreprise (Roure & Maidique, 1986 ; Murray, 1989). Et, il apparaît que les entreprises créées par des associés aux compétences complémentaires rencontrent davantage de succès (Murray, 1989). Ce résultat apparaît logique tant l’entrepreneuriat et l’innovation semblent requérir un ensemble de compétences très diversifiées (Loué, Laviolette & Bonnafous-Boucher, 2008). Un troisième ensemble de travaux montre, en effet, que les entrepreneurs doivent pouvoir faire preuve de nombreuses compétences, sur des champs différents qui dépassent même la logique des disciplines scientifiques (Petersen, 2006).
Tous ces travaux ont nourri nos réflexions, souvent sous la forme d’approche comparative entre les comportements des équipes entrepreneuriales et ceux observés des étudiants sur la plateforme Studyka.

3. Méthodologie

3.1. La plateforme Studyka

Les statistiques avancées dans cet article proviennent du traitement des données de la plateforme en ligne Studyka. Il s’agit d’une plateforme collaborative étudiante qui propose des appels à projets sur des problématiques variées provenant d’entreprises à l’attention d’une population d’étudiants internationaux. Dans la terminologie utilisée par le site Studyka, et par extension dans la suite du présent article, ces appels à projets sont appelés des « challenges ».
Studyka se fait connaître par le biais de mailings directs aux étudiants, par une présence sur les espaces publicitaires de Facebook, par des relais d’information sur l’intranet des structures d’enseignement supérieur et au moyen d’affiches et de flyers distribués devant les établissements.
A la date du traitement statistique réalisé pour notre étude (décembre 2012), la plateforme comptabilise une communauté d’étudiants en provenance de 99 pays différents. La France reste le pays qui pourvoit le plus d’étudiants puisque 69 % des étudiants inscrits sur la plateforme y sont domiciliés. Cependant, il est à noter que 11,5 % des étudiants proviennent d’Asie, 6 % vivent dans un pays européens hors de France et 6 % habitent en Afrique.
Le niveau des étudiants sur Studyka est relativement bien réparti entre ceux qui déclarent avoir diplôme équivalent à BAC+1 (7 %), BAC+2 (15 %), BAC+3 (25 %), BAC+4 (20 %) et BAC +5 (15 %).
Les étudiants appartiennent à 1 049 établissements différents. Les étudiants en provenance d’écoles de commerce (38 %) et d’écoles d’ingénieurs (23 %) sont surreprésentés. Cependant, la plateforme compte également des étudiants en provenance de l’université (16 %), d’écoles de communication (6 %), d’écoles de média (4 %), d’écoles d’architecture (4 %) et d’écoles de design (3 %). Parmi le sous-ensemble des étudiants issus de l’université, la plupart suivent une formation scientifique (41 %) ou littéraire (32 %).
La particularité de la plateforme est qu’elle permet aux étudiants de se répartir en équipes afin de résoudre les études de cas proposées en ligne, en constituant leur propre équipe parmi tous les étudiants inscrits sur cette même plateforme.
Studyka a organisé 11 challenges en ligne ayant pour chacun une ou plusieurs entreprises à l’initiative du challenge (par exemple, TF1, Bouygues Construction, Groupe SEB, SNCF Développement, covoiturage.fr) ainsi qu’une problématique spécifique parmi des thèmes variés (par exemple, architecture/urbanisme avec le Challenge “Ville de demain”, programme audiovisuel avec le “Challenge TF1”, innovation technique avec le “Foyer connecté”).
Lorsqu’un challenge est disponible sur la plateforme, les étudiants sont invités à former des équipes en ligne pour participer à l’étude de cas. C’est à travers l’interface Studyka en ligne qu’un étudiant intéressé par un challenge peut s’y inscrire puis se voir proposer deux options. La première option est de créer une équipe, et en devenir capitaine : matérialisée à l’écran sur l’espace du challenge, elle se compose d’un nom d’équipe, d’un ensemble de partenaires dont l’un est capitaine, et d’un texte de présentation court. Une fois l’équipe créée, le capitaine peut accueillir des coéquipiers en les invitant à rejoindre son équipe : cette invitation se fait sur les pages profils des membres afin que le capitaine puisse évaluer le parcours de formation et les compétences des étudiants qu’il souhaite inviter. Une fois l’invitation lancée, l’étudiant ainsi invité peut accepter ou refuser l’invitation à travers l’interface, et rejoindre ou non l’équipe en question. La deuxième option est la candidature dans une équipe : un étudiant peut faire une demande pour rejoindre l’équipe de son choix en expliquant par écrit sa motivation. Le capitaine de l’équipe concernée reçoit cette candidature, et choisit de l’accepter, de la refuser, ou de ne pas y apporter de réponse.
Une équipe est dite interdisciplinaire lorsque son effectif (nombre de personnes la composant) est supérieur ou égal à deux, et si au moins l’un des membres la constituant est issu d’une formation différente à l’un des autres membres de cette équipe. Il est utile de noter que les formations étant différentes entre les pays, la plateforme est dotée d’un système de correspondance permettant d’homogénéiser ces différences d’appellation entre les pays. Par exemple, un étudiant Français en école de géologie et un autre étudiant inscrit en Faculté de Sciences seront tous deux assignés à la formation « Science » afin de rendre la compréhension d’un anglophone plus claire lors de la constitution de son équipe.
Un challenge se déroule dans le temps et en plusieurs étapes successives (voir figure 1) :

• L’étape « Participation » est l’étape initiale d’un challenge. Elle permet d’avoir un aperçu de l’ensemble des équipes souhaitant participer au challenge. A cette étape, même les équipes non finalisées (effectif minimum requis pour le challenge non atteint) sont présentes ;
• Pour accéder à l’étape « Pré-sélection », il est demandé aux équipes d’envoyer un premier livrable (voir figure 1) et d’être composées d’un certain nombre d’étudiants (effectif minimum requis). Un premier filtre des équipes est ainsi réalisé puisque les équipes s’étant inscrites à l’étape précédente, mais n’ayant pas envoyé le livrable 1 ou n’ayant pas l’effectif minimum requis pour le challenge sont éliminées. L’entreprise élimine également une partie des équipes dont le livrable 1 n’est pas jugé pertinent ;
• Pour accéder à la « Finale », il est demandé aux équipes pré-sélectionnées d’envoyer un deuxième livrable (voir figure 1). Ce livrable 2 consiste en un dossier complet. Il s’agit du livrable principal qui détaille la manière dont l’équipe propose de résoudre le cas qu’il leur a été donné de traiter. L’entreprise étudie chaque dossier (livrable 2) et décide quelles sont les équipes méritant d’accéder à la « Finale ». Ces équipes, considérées comme celles qui ont produit les meilleurs livrables 2 par l’entreprise, sont considérées finalistes. Leur nombre varie généralement entre 5 et 10. A ce stade, l’entreprise peut se laisser la possibilité de demander à chacun des finalistes un livrable supplémentaire de manière à choisir les X équipes « gagnantes ».
• Sur la base de ce nouveau livrable ou de l’étude des seuls livrables 1 et 2, l’entreprise décide donc des X équipes « gagnantes ». La plupart du temps, moins de cinq équipes sont déclarées gagnantes du challenge.

Figure 1. Représentation des étapes successives d’un challenge.

3.2. Le traitement des données

Deux des trois auteurs du présent article sont co-fondateurs de Studyka. Ils y occupent les fonctions de directeur technique et de directeur de la recherche et du développement. Pour cette raison, l’accès aux données de la plateforme fût libre et illimité. Les auteurs ont eux- mêmes procédé aux extractions en base et utilisé les requêtes PHP/MySQL appropriées pour constituer les bases de données utiles au traitement de la question de recherche.
Les données traitées portent sur l’activité de 4 100 étudiants ayant créé 653 équipes réparties sur 11 challenges différents. Ces données donnent des informations précises sur les équipes, les membres des équipes, l’activité des équipes sur la plateforme Studyka et l’activité des équipes avec les sociétés organisatrices du challenge.

4. Résultats

Le traitement des données de la plateforme Studyka permet de mettre en évidence trois principaux résultats. Le premier porte sur le niveau de performance atteint par les équipes interdisciplinaires. Il apparaît que la qualité de tous les livrables fournis aux entreprises est supérieure lorsque l’équipe est interdisciplinaire. Le deuxième résultat concerne l’accueil réservé aux étudiants souhaitant intégrer une équipe composée d’étudiants issus d’autres disciplines. Il ressort qu’une majorité d’étudiants exprime un intérêt spontané et réel pour travailler en groupe avec des camarades pourtant spécialisés dans d’autres domaines. Le troisième résultat a trait aux déterminants de la propension à l‘interdisciplinarité des étudiants. Le degré d’ouverture des étudiants aux autres disciplines change selon certains paramètres, en particulier le type d’établissements dans lesquels ils suivent leurs études.

4.1. L’interdisciplinarité est un facteur de performance

Le taux d’équipes interdisciplinaires gagnantes est, en moyenne, plus élevé que le taux d’équipes mono-disciplinaires gagnantes (67 % contre 33 %). A la lecture du tableau 1, nous remarquons que sept challenges ont donné lieu à une liste de gagnants composée de plus d’équipes interdisciplinaires que d’équipes mono-disciplinaires. Autrement dit, la probabilité de gagner un challenge est, en moyenne, plus forte lorsque l’on fait partie d’une équipe interdisciplinaire.

Tableau 1. Pourcentages d’équipes interdisciplinaires répartis par challenges et par étapes

Challenge Participation Pré-sélection Finale Gagnants
% Effectif % Effectif
BBOX 25% 40% N.A. N.A.
Centre commercial 59% 64% 60% 10 75% 4
Diversité 61% 59% 80% 9 100% 3
Canal + 53% 50% 60% 10 50% 2
Seb 38% 43% 80% 5 100% 3
TF1 52% 48% 24% 8 50% 3
Grand Paris 58% 60% 78% 5 78% 5
Ville de demain 64% 69% 60% 10 30% 5
Renault 47% 47% 60% 5 60% 5
Canal + challenge 1 56% 58% 67% 10 67% 10
L’Hanvie 65% 59% 60% 5 60% 5
Moyenne 55% 56% 63% 67%

Pour confirmer ce résultat, notons les différences de taux d’équipes interdisciplinaires aux étapes « Pré-sélection » et « Finale ». Le taux d’équipes interdisciplinaires est sensiblement plus élevé en « Finale » (63 %) qu’à l’étape de la « Pré-sélection » (56 %). Dans le détail, pour 7 challenges sur 11, le taux de présence des équipes interdisciplinaires est plus élevé lors de la « Finale » que lors de la « Pré-sélection ». Autrement dit, appartenir à une équipe interdisciplinaire augmente la probabilité de passer l’étape « Pré-sélection » et d’accéder à la « Finale ». L’accès en « Finale » nécessitant de passer une véritable sélection fondée sur l’étude attentive du dossier (livrable 2) de chaque équipe par l’entreprise, il représente l’indicateur le plus évident de la qualité du travail fourni par les équipes. Si le travail fourni par une équipe est d’autant plus apprécié que l’équipe est interdisciplinaire, alors par extension, nous pouvons affirmer que les livrables sont, en moyenne, de qualité supérieure lorsqu’ils sont réalisés par une équipe interdisciplinaire.
Observons également le taux d’équipes interdisciplinaires validant les étapes « Participation » et « Pré-sélection ». Leur nombre est, en moyenne, sensiblement identique pour ces deux étapes (55 % pour l’étape « Participation » et 56 % pour l’étape « Pré-sélection »). Le fait de concourir à un challenge dans une équipe interdisciplinaire n’aurait donc pas d’incidence sur le passage de la première étape (fondé sur la qualité du livrable 1). En première lecture, ce résultat est surprenant. Pour l’expliquer, il convient d’introduire la notion d’abandon d’équipe. Une équipe est dite en situation d’abandon si, une fois le challenge lancé, et malgré la possibilité pour l’équipe d’envoyer les résultats de son étude, elle n’envoie aucun livrable pour l’étape en cours : cela peut correspondre au non-envoi du livrable 1 pour accéder à l’étape de « Pré- sélection » ou au non-envoi du livrable 2 pour accéder à la « Finale ». Nous allons ici spécifiquement nous intéresser au taux d’abandon au lancement du challenge, c’est-à-dire au non-envoi du livrable 1, le taux d’abandon pour les étapes ultérieures étant négligeable.

Tableau 2. Répartition des envois de fichiers en fonction des équipes

EquipesEquipes mono-disciplinairesEquipes interdisciplinaires
Nombre d’équipes (effectif >=2) 653 42% (274) 58% (379)
Envoi d’un fichier 473 49% (232) 51% (241)
Taux d’abandon 28% 15% 36%

Le taux d’abandon est plus élevé pour les équipes interdisciplinaires (voir tableau 2). Alors qu’il est pour l’ensemble des équipes de 28 %, il monte jusqu’à 36 % pour les équipes interdisciplinaires et n’est que de 15 % pour les équipes mono-disciplinaires. Il apparaît donc que la probabilité d’abandonner est liée à la nature interdisciplinaire ou non de l’équipe participante, et que la probabilité d’abandonner est plus forte lorsque l’on fait partie d’une équipe interdisciplinaire.
De multiples raisons peuvent amener une équipe à abandonner comme une baisse de motivation de l’un ou plusieurs de ses membres, des problèmes de communication entre les équipiers, le risque de passager clandestin accru. Les équipes interdisciplinaires sont composées d’étudiants qui, par définition, ne sont pas issus du même établissement. Les étudiants sont ainsi éloignés géographiquement et ont chacun des contraintes propres liées à leur emploi du temps et au rythme de leur scolarité. Pour cette raison, les efforts de coordination entre étudiants d’une équipe interdisciplinaire sont accrus, ce qui créé une probabilité plus forte d’abandon du challenge pour l’équipe.
Le taux d’abandon nous permet en réalité de comprendre pourquoi l’interdisciplinarité a un impact positif sur chaque étape du challenge, sauf la première étape (entre les étapes « Participation » et « Pré-sélection »), où le taux d’équipes interdisciplinaires reste quasiment inchangé, passant de 55 % à 56 %. A cette étape, un deuxième paramètre entre dans l’équation, le niveau d’abandon des équipes. Ce niveau est plus élevé pour les équipes interdisciplinaires. L’égalité du taux de présence des équipes interdisciplinaires aux étapes « Participation » et « Pré-sélection » peut donc être relue comme une performance supplémentaire réalisée par les équipes interdisciplinaires : elles envoient proportionnellement moins de livrables et sont pour autant aussi présentes que les équipes mono-disciplinaires à l’étape « Pré-sélection ». La raison de cette observation provient du fait que la qualité du livrable 1 des équipes interdisciplinaires est jugée supérieure par les entreprises.
Le taux d’abandon nous permet donc de confirmer encore un peu plus notre première hypothèse selon laquelle l’interdisciplinarité est un facteur de performance dans le traitement d’une étude de cas. La performance des équipes interdisciplinaires pourrait provenir en partie de l’intensité des interactions entre les membres de l’équipe. N’étant pas familiers des compétences de leurs équipiers, les étudiants d’une équipe interdisciplinaire interagiraient davantage. Et c’est en partie de la fréquence de ces interactions que naîtrait la qualité des livrables proposés aux entreprises. Le tableau 3 semble valider cette hypothèse.

Tableau 3. Répartition des échanges de messagerie en fonction des équipes

EquipesEquipes mono-disciplinairesEquipes interdisciplinaires
Participation à plus de 2 challenges (effectif >=2) 54 54% (29) 46% (25)
Interactions (nombres de messages échangés 11302 29% (3293) 71% (8001)

Le tableau 3 représente le nombre d’interactions entre les différents membres d’une équipe.
Une interaction est un message échangé à travers la plateforme Studyka. L’interaction telle que définie ici ne comprend pas les autres types d’échanges auxquels les étudiants peuvent se livrer lors de leur participation à un challenge : emails, échanges oraux par vidéoconférence sur et en dehors de la plateforme, échanges téléphoniques ou encore rendez-vous réels. Nous remarquons que les interactions entre étudiants d’une équipe interdisciplinaire sont proportionnellement plus nombreuses que celles entre étudiants d’une équipe mono-disciplinaire.

4.2. L’interdisciplinarité est plébiscitée par les étudiants

L’interdisciplinarité étant un facteur de réussite dans la résolution d’un cas, il devient intéressant de regarder si les étudiants plébiscitent cette interdisciplinarité lors de la constitution de leurs équipes.
Dans la suite de l’article, nous définissons le taux d’acceptation comme la probabilité pour un étudiant de voir sa candidature acceptée par un capitaine d’équipe. Concernant les notations utilisées, nous nommons Ta le taux d’acceptation, Na le nombre d’acceptations, Nd le nombre de demandes de candidature dans une équipe, Nr le nombre de refus et Tac le taux d’acceptation pour un critère donné (ex : Taux d’acceptation dans une équipe où le capitaine est un homme). Les relations entre ces variables sont les suivantes :

Ta = (Na/Nd) avec Nd = Na+ Nr
{}

d’où Ta = Na / (Na + Nr)
donc Tac = Nac / (Nac + Nrc)

Tr et Nr sont calculés exactement de la même façon que Ta et Na. Pour ne pas perdre le lecteur avec un trop grand nombre de chiffres, les tableaux 5, 6 et 7 rendent compte du nombre et des taux d’acceptations (Na et Ta) plutôt que du nombre et des taux de refus (Nr et Tr).
Sur 653 équipes créées, 58 % sont interdisciplinaires. Plus de la moitié des capitaines d’équipes ont donc créé une équipe interdisciplinaire. Si l’on observe le nombre des demandes formulées par les étudiants, on remarque que sur 100 demandes, 61 sont faites par un étudiant issu d’une formation différente à celle du capitaine : l’interdisciplinarité est donc fortement plébiscitée par les étudiants, qui recherchent les associations avec d’autres étudiants issus de formations complémentaires.
Suite à une demande d’étudiant pour entrer dans une équipe, la réponse est l’acceptation ou le refus. Dans le cas d’une demande entre étudiants aux formations différentes, ce taux est de 48 %. Lorsqu’un étudiant pose sa candidature dans une équipe composée d’étudiants ayant la même formation que lui, il obtiendra donc une réponse positive dans un cas sur deux environ. Ainsi, si les étudiants souhaitent majoritairement intégrer des équipes composées de compétences différentes des leurs (61 %), ces équipes n’acceptent de les intégrer que dans 48 % des cas. Les acceptations sont donc en proportion moins élevées que les demandes.

Tableau 4. Nombre de candidatures formulées, acceptées et refusées selon si l’équipe est mono-disciplinaire ou interdisciplinaire

EquipesEquipes mono-disciplinairesEquipes interdisciplinaires
Nombre d’équipes (effectif >=2) 653 42% (274) 58% (379)
Demandes* 2273 39% (885) 61% (1388)
Acceptations** 1330 49% (658) 51% (672)
Demandes*** 943 24% (227) 76% (716)
Taux d’acceptation**** 59% 74% 48%

* 2 273 étudiants ont réalisé une demande pour intégrer une équipe : 39% de ces demandes visaient à intégrer une équipe composée d’étudiants issus de la même discipline ; 61% des demandes visaient à intégrer une équipe dans laquelle au moins 1 des étudiants a une spécialité différente.
** 1330 demandes ont été acceptées par des capitaines d’équipes : 49% des acceptations ont été faites par des capitaines d’équipes composées exclusivement de membres issus de la même formation que le demandeur ; 51% des acceptations ont été faites par des capitaines d’équipes composées de membres dont au moins l’un a une formation différente de celle du demandeur.
*** 943 demandes ont été refusées ou n’ont donné lieu à aucune réponse de la part du capitaine d’équipes ; 24% des refus ou des non réponses ont été réalisés par des capitaines d’équipes composées exclusivement de membres issus de la même formation que le demandeur ; 76% des refus ou des non-réponses ont été réalisés par des capitaines d’équipes composées de membres dont au moins l’un a une formation différente de celle du demandeur.
**** 59% des demandes formulées ont reçu une acceptation (1330 acceptations sur les 2273 demandes totales) ; 74% des demandes formulées par un étudiant de la méme formation que tous les membres de l’équipe qu’il souhaite intégrer a reçu une acceptation ; 48% des demandes formulées par un étudiant à la formation différente de celle des membres de l’équipe qu’il souhaite intégrer a reçu une acceptation.

4.3. La propension à l’interdisciplinarité n’est pas la même chez tous les étudiants

La propension à l’interdisciplinarité varie selon la distance géographique et l’établissement d’origine des étudiants candidats et des capitaines d’équipes. Pour établir nos observations sur les déterminants de la propension à l’interdisciplinarité des étudiants, nous recourons au calcul de différents taux d’acceptation pour certains critères donnés.

Tableau 5. Répartition des acceptations en fonction des profils d’étudiants

Acceptations EquipesEquipes mono-disciplinairesEquipes interdisciplinaires
Capitaine homme 871 48%(421) 52%(450)
Taux d’acceptation 59% 72% 50%
Capitaine femme 459 52%(237) 48%(222)
Taux d’acceptation 58% 78% 45%
Candidat homme 814 50%(407) 50%(407)
Taux d’acceptation 58% 73% 47%
Candidat femme 516 49%(251) 51%(265)
Taux d’acceptation 60% 77% 50%
Même fuseau 1143 52%(599) 48%(544)
Taux d’acceptation 64% 81% 52%
Même pays 1149 54%(622) 46%(527)
Taux d’acceptation 65% 80% 53%
Même ville 602 73%(439) 27%(163)
Taux d’acceptation 83% 90% 68%
Même nationalité 1088 56%(604) 44%(484)
Taux d’acceptation 67% 82% 55%

Si nous ne prenons pas en considération la formation des étudiants à l’origine de la demande d’intégration à une équipe, les capitaines hommes et femmes présentent des taux d’acceptations presque identiques (59 % contre 58 %). En revanche, il apparaît que les capitaines hommes acceptent avec un peu plus de facilité que les femmes des étudiants issus de formations différentes (52 % pour les capitaines hommes contre 48 % pour les capitaines femmes). De manière symétrique, les femmes acceptent plus volontiers des étudiants ayant la même formation qu’elles (78 % pour les capitaines femmes contre 72 % pour les capitaines hommes). Les différences de taux entre hommes et femmes restent néanmoins très peu significatives, ce qui nous laisse penser que la propension à l’interdisciplinarité ne dépend pas du sexe des étudiants capitaines ou candidats.
Les quatre dernières lignes du tableau 5 représentent les taux d’acceptation en fonction des fuseaux horaires, du pays, de la ville et de la nationalité de l’étudiant capitaine et de l’étudiant candidat. Si par souci de simplification, nous regroupons ces quatre catégories en une notion générale que l’on nommerait proximité (mêlant situation géographique et langue maternelle), nous pouvons établir qu’une forte proximité entre l’étudiant capitaine et l’étudiant candidat implique une propension à l’interdisciplinarité plus élevée. Ce résultat ressort de l’observation comparée des chiffres donnés par les tableaux 4 et 5. Dans le tableau 4, qui est le cas général, le taux d’acceptation des étudiants issus de formations différentes était de 48 %. En revanche, dans le tableau 5, en considérant le cas où le capitaine et le candidat sont proches, le taux d’acceptation de l’étudiant issu de formation différente est toujours supérieur à 52 % et atteint même 68 % s’ils habitent la même ville. Une explication peut être donnée pour justifier ce résultat : les équipes mono-disciplinaires se composent pour un certain nombre d’entre elles d’étudiants qui se connaissent déjà avant leur participation au challenge. Or les étudiants se connaissant ont une probabilité plus forte d’être plus proches au sens de la proximité défini plus haut, et ainsi le taux d’acceptation est plus fort : ces acceptations pourraient être appelées « acceptations forcées » : elles correspondent à des étudiants se connaissant déjà et dont l’acceptation est sous-entendue car déjà prévue avant même la constitution d’équipe, en dehors de la plateforme Studyka.

Tableau 6. Répartition des acceptations en fonction des candidats

Acceptations EquipesEquipes mono-disciplinairesEquipes interdisciplinaires
Candidat Science 45 16%(7) 84%(38)
Taux d’acceptation 63% 100% 59%
Candidat Architecture 84 31%(26) 69%(58)
Taux d’acceptation 71% 76% 68%
Candidat Media 40 63%(25) 38%(15)
Taux d’acceptation 77% 96% 58%
Candidat Ingénieur 383 58%(224) 22%(84)
Taux d’acceptation 55% 67% 29%
Candidat Business 418 61%(256) 39%(162)
Taux d’acceptation 54% 75% 37%
Candidat Communication 8 12%(1) 88%(7)
Taux d’acceptation 27% 25% 27%
Candidat Littéraire 5 0%(0) 100%(5)
Taux d’acceptation 100% N/A 17%

Le tableau 6 présente les répartitions d’acceptations d’étudiants, suivant la formation de l’étudiant candidat. Pour un souci de lisibilité et de lecture des données, nous avons regroupé les 30 formations en 7 groupes distincts : sciences, architecture, média, ingénieur, business, communication et littéraire.
Nous remarquons tout d’abord que les taux d’acceptation varient fortement suivant les formations. Certaines formations sont plus acceptées que d’autres, comme les spécialistes des média (77 %), les architectes (71 %) ou les scientifiques (63 %). Les étudiants issus de formation littéraire et de communication sont, quant à eux, ceux ayant la probabilité la plus faible de se faire accepter lors d’une candidature. Il convient néanmoins de relativiser cette observation car la nature des challenges proposés peut expliquer en partie ce faible taux d’acceptation des étudiants formés en littérature et en communication.
Si l’on observe les statistiques relatives aux équipes mono-disciplinaires, certaines formations semblent se constituer plus facilement de manière mono-disciplinaire : c’est le cas pour les étudiants issus des formations de sciences et de média qui ont des taux respectivement de 100 % et 96 % pour leurs propres formations. Les candidats issus de la communication sont, quant à eux, ceux qui ont le plus de difficultés à se faire accepter par un capitaine de la même formation. Par extension, nous pouvons supposer que les étudiants en communication sont ceux qui souhaitent le plus se diversifier au sein de leurs équipes.

Tableau 7. Répartition des acceptations en fonction des capitaines

Acceptations EquipesEquipes mono-disciplinairesEquipes interdisciplinaires
Capitaine Science 22 27%(6) 73%(16)
Taux d’acceptation 71% 100% 64%
Capitaine Architecture 106 25%(26) 75%(80)
Taux d’acceptation 44% 76% 32%
Capitaine Media 52 48%(25) 52% (27)
Taux d’acceptation 66% 96% 51%
Capitaine Ingénieur 384 58%(224) 42%(160)
Taux d’acceptation 55% 67% 43%
Capitaine Business 451 57%(256) 43%(195)
Taux d’acceptation 65% 75% 56%
Capitaine Communication 11 9%(1) 91%(10)
Taux d’acceptation 22% 25% 21%
Capitaine Littéraire 5 0%(0) 100%(5)
Taux d’acceptation 21% N/A 21%

Les chiffres du tableau 7 nous renseignent sur les taux d’acceptation suivant la formation du capitaine : de manière générale, les capitaines ont tendance à répondre favorablement à des demandes faites par des étudiants provenant de la même formation qu’eux. Nous remarquons que les étudiants issus des sciences et des médias sont ceux qui acceptent le plus facilement l’ensemble des demandes faites à leur équipe. Il s’agit aussi de formations dont les acceptations mono-disciplinaires atteignent presque les 100 % : en croisant les observations faites avec le tableau 6, il apparaît maintenant clairement que ces deux formations représentent les formations dont les étudiants recherchent et acceptent le plus facilement d’autres personnes, avec une préférence pour les étudiants de leur propre formation.
Avec une différence de taux de 45 %, les étudiants issus d’une formation en média sont ceux qui acceptent de près de deux fois plus facilement les étudiants issus de la même formation que les autres candidats (96 % contre 51 %). A l’inverse, les étudiants issus d’une formation en communication ont un taux d’acceptation d’étudiants interdisciplinaires proche de 21 % et de 25 % pour les étudiants mono-disciplinaires. Ces taux sont bas mais proches, ce qui signifie que cette population d’étudiants accepte moins facilement les demandes, mais ne discrimine pas leur acceptation en fonction de la formation des candidats.

5. Discussion

Après avoir mis en exergue les trois principaux résultats issus de l’observation du comportement des étudiants sur la plateforme Studyka, il convient de les discuter et d’en tirer des enseignements. Cette discussion des résultats obtenus participe directement des éléments de réponses à apporter au questionnement de l’article dont l’objet est de caractériser la propension à l’interdisciplinarité des étudiants en situation d’innovation.
Le premier enseignement de notre article renvoie au premier résultat de l’étude. Il porte à la fois sur les difficultés inhérentes à l’interdisciplinarité et sur la qualité des résultats qu’elle produit. Les équipes interdisciplinaires sont, sur la plateforme Studyka, celles qui abandonnent le plus au début des challenges. Mais les équipes interdisciplinaires sont également celles qui échangent le plus. Et lorsqu’elles réussissent à travailler ensemble, ces équipes produisent des livrables jugés de meilleure qualité par les entreprises. Ces observations sont d’intérêt au sens où elles permettent de vérifier le fort niveau d’exigence requis pour réussir à travailler en groupe avec des camarades d’autres disciplines. L’interdisciplinarité invite les étudiants à développer des compétences d’écoute pour accepter des arguments fondés sur des raisonnements parfois atypiques pour eux. Ils doivent également faire preuve de pédagogie pour se faire comprendre de leurs camarades. Lorsqu’ils arrivent à maîtriser ces compétences, le résultat est néanmoins riche de la rencontre entre les différentes sciences. Dans ce cas, le niveau de complexité atteint par l’entremêlement des disciplines produit un niveau de satisfaction supérieur du point de vue des personnes auxquelles il est demandé de juger le résultat. Et, nous rejoignons ici les travaux de recherches, relativement unanimes concernant les bienfaits de l’interdisciplinarité, donnés en introduction de cet article.
Le deuxième enseignement de notre article provient du deuxième résultat présenté dans l’étude. Il concerne le niveau de la propension à l’interdisciplinarité des étudiants. Dans un environnement extérieur à leur établissement, c’est-à-dire non-contraint par l’existence de règles administratives sur la validation d’éventuels parcours ou cursus, une majorité d’étudiants adoptent un comportement d’ouverture à l’égard des autres disciplines. Ils montrent un intérêt spontané et réel pour les travaux de groupes avec des camarades issus d’autres formations. Cette observation n’est ni banale ni intuitive. De nombreuses raisons auraient pu expliquer a priori la méfiance des étudiants pour les autres disciplines. Malgré la volonté d’une exposition croissante des étudiants à différentes disciplines, un certain nombre d’élèves du supérieur peuvent encore ne pas avoir été impliqués dans des enseignements fondés sur des corpus théoriques et empiriques éloignés de la spécialité à laquelle ils se destinent. Dans ce cas, la méconnaissance des autres disciplines, de leurs enjeux et de leurs partis pris méthodologiques aurait pu se traduire par une aversion plutôt qu’une propension à l’interdisciplinarité. La construction du raisonnement scientifique des étudiants se forge également par des décisions de formations et d’orientations disciplinaires, avant même le baccalauréat. L’acceptation des autres disciplines nécessite alors de ne pas envisager l’interdisciplinarité comme une remise en cause du cadre pédagogique et du contexte scientifique auxquels l’étudiant a accès depuis plusieurs années dans le cadre de sa formation. Il doit être vécu comme un apport, ce qui nécessite d’être parvenu à une forme de maturité et de recul sur la contribution des différents champs disciplinaires. Les vertus de l’interdisciplinarité sont, par ailleurs, assez peu expliquées aux étudiants pendant leur cursus, même dans les cas où ils bénéficient de ce type d’approche. Cette absence d’explication et de pédagogie sur l’intérêt de l’interdisciplinarité renforce d’un côté le caractère spontané de la propension à l’interdisciplinarité révélée par notre étude. D’un autre côté, elle aurait pu être légitimement un motif permettant de justifier le manque de conscience des étudiants concernant l’apport des autres disciplines.
Toutes ces raisons, qui auraient pu justifier l’aversion des étudiants pour l’interdisciplinarité, ont donc été dépassées par les élèves. Il reste maintenant à interpréter la forte propension à l’interdisciplinarité des étudiants. Plusieurs hypothèses peuvent être formulées. D’abord, il est possible d’expliquer la propension à l’interdisciplinarité en raisonnant par l’absurde, c’est-à-dire en retournant tous les arguments qui viennent d’être mentionnés et qui auraient été susceptibles d’expliquer l’aversion des étudiants pour l’interdisciplinarité. Les étudiants portent peut-être de l’intérêt à l’interdisciplinarité précisément parce qu’ils n’ont pas rencontré d’autres champs disciplinaires dans leur parcours en formation supérieure. Ce serait ainsi la curiosité qui les amène à expérimenter le travail en groupe avec des camardes issus d’autres champs disciplinaires. Les étudiants peuvent également profiter de la plateforme Studyka pour réajuster à la marge leurs décisions d’orientation et profiter de cette plateforme pour combler certains manques dans la construction de leur raisonnement scientifique. Par ailleurs, il est possible que les étudiants ne se posent pas la question de l’interdisciplinarité dans les termes où nous nous la posons. Ils n’envisagent peut-être pas l’interdisciplinarité comme un enjeu, ni comme un paramètre à prendre en considération pour réaliser un travail de groupe. Peut-être ont-ils une représentation très globalisante des compétences, ce qui les amène à ne pas prendre en compte le domaine de spécialisation d’un camarade lorsqu’ils décident de travailler avec lui. Enfin, la raison du goût pour l’interdisciplinarité des étudiants est potentiellement à trouver dans la réceptivité des étudiants à la vision stratégique développée par les ministres successifs sur cette question et repris par une grande partie des directions d’établissements. Les étudiants sont attentifs aux mouvements de rapprochement des établissements positionnés sur des champs scientifiques différents. Ils s’y intéressent sans doute et adoptent peut être la vision de leur établissement sur les propriétés et les avantages des approches interdisciplinaires.
Enfin, le troisième enseignement concerne le troisième résultat de l’étude. Il porte sur les déterminants de l’interdisciplinarité. Le sexe des étudiants n’est pas une variable de nature à impacter la propension à l’interdisciplinarité, contrairement à la proximité géographique et aux types de spécialités des candidats et des capitaines d’équipes. Les étudiants les plus ouverts à l’interdisciplinarité semblent être ceux qui proviennent des sciences et des médias. Deux arguments peuvent venir expliquer cette différence entre les formations. Le premier argument réside dans la différence possible de culture interdisciplinaire selon les formations. Pour être enseignées, certaines disciplines mobilisent peut-être davantage les approches interdisciplinaires, ce qui créerait alors une habitude à l’interdisciplinarité chez les étudiants issus de ces formations. Le deuxième argument renvoie à l’adéquation entre les compétences des étudiants et les compétences requises pour réaliser les challenges proposés par les entreprises sur la plateforme. Selon les challenges, certaines compétences peuvent devenir centrales ou au contraire à faible valeur ajoutée, ce qui créé artificiellement des effets d’adhésion ou de rejet de certaines disciplines, non pas dans le cas général mais dans le cas très particulier des challenges proposés par la plateforme. Les différences entre les propensions à l’interdisciplinarité des disciplines seraient alors à contextualiser en fonction de la nature des challenges.

6. Conclusion

Les trois principaux résultats de l’article apportent des éclaircissements sur la nature et les déterminants de la propension à l’interdisciplinarité des étudiants en situation d’innovation. Pour autant, la méthode employée pour obtenir ces résultats peut être débattue et améliorée. Nous choisissons donc de conclure notre étude par une présentation de ses principales limites et des éventuels prolongements qui pourraient lui être donné.
La première limite de l’article concerne la population d’élèves considérée dans l’article. Elle n’est pas représentative de l’ensemble des étudiants du supérieur. Les élèves présents sur la plateforme Studyka sont tous intéressés par l’innovation, l’entrepreneuriat et les travaux en groupe. Par ailleurs, le panel ayant servi au traitement statistique est surreprésenté en étudiants issus d’écoles d’ingénieur et d’écoles de commerce. Pour cette raison, les résultats ne peuvent pas être généralisés, toutes les interprétations données devant être comprises à la lumière des spécificités de la population d’élèves étudiée. La seconde limite de l’article a trait à notre choix méthodologique consistant à observer le comportement des étudiants par le prisme de leur action sur la plateforme. L’observation des regroupements, des refus de s’associer ou des non réponses données entre étudiants issus de la même discipline ou, au contraire, en provenance de formations très différentes, suffit à mettre en exergue plusieurs résultats importants et non triviaux concernant la propension des étudiants à l’interdisciplinarité. Elle nous garantit aussi l’absence de biais comportementaux puisque les étudiants réalisent leurs actions d’association sans se savoir observés sous l’angle de leur intérêt pour les autres disciplines. Pour autant cette méthode d’observation nous empêche de comprendre avec précision les raisons qui motivent les choix des étudiants. Il nous revient donc d’interpréter les raisons des comportements observés. Ne pouvant pas avoir d’informations fines sur ces raisons, nous devons formuler des hypothèses. Dans nos interprétations, nous sommes donc restés particulièrement prudents en prenant le soin d’énumérer l’ensemble des hypothèses de nature à justifier les raisons de l’accueil favorable des étudiants pour les autres disciplines plutôt que de préjuger des motifs qui nous semblaient les plus vraisemblables.

Au moins deux pistes pourraient être ouvertes pour confirmer les résultats liminaires contenus dans cet article. Une première piste consisterait à conduire une enquête quantitative, sur une base déclarative, de manière à interroger les étudiants sur les raisons qui les poussent vers l’interdisciplinarité. Cette démarche présenterait les inconvénients habituels des traitements statistiques réalisés sur données déclaratives. Elle compléterait néanmoins le présent article et pourrait ouvrir des pistes nouvelles permettant d’expliquer l’intérêt des étudiants pour les autres disciplines. Une deuxième piste consisterait à produire une analyse qualitative en conduisant une série d’entretiens auprès d’une population représentative d’étudiants. L’analyse de ces échanges nous permettrait de vérifier en particulier l’exhaustivité des hypothèses formulées dans cet article pour justifier la propension à l’interdisciplinarité des étudiants.
Ces prolongements permettraient de mieux comprendre le comportement des étudiants face à l’interdisciplinarité, notamment en situation d’innovation. En fonction des résultats de ces travaux, les enseignants pourraient envisager les formes pédagogiques les plus adaptées pour enseigner l’innovation et l’entrepreneuriat. L’utilité d’une telle recherche serait d’autant plus importante que les méthodes pédagogiques pour enseigner l’entrepreneuriat et l’innovation restent peu évaluées et qu’il ne semble pas exister de modèle dominant, même si la pratique de la pédagogie active est la plus employée (Fayolle & Verzat, 2009).

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Notes

1 : http://www.studyka.com

Pour citer cet article :

Référence électronique

Thomas Houy, Yohan Attal et Yohann Melamed, « La propension à l’interdisciplinarité des étudiants en situation d’innovation », Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur [En ligne], 30-2 | 2014, mis en ligne le 10 mai 2014, consulté le 24 février 2016. URL : http://ripes.revues.org/825

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