Innovation Pédagogique et transition
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Apprentissage par problème en Génie Electrique

Cet article présente l’introduction d’une APP en Génie Electrique dans le tronc commun d’une école d’ingénieur généraliste et fait le bilan des modifications pédagogiques apportées au niveau du tronc commun d’enseignement, en parallèle à l’introduction de l’APP ces dernières années.

Mots-clés : apprentissage par problème, travail non encadré, évaluation formative.

Philippe Le Moigne et

l’équipe pédagogique Génie Electrique E.C. Lille
Ecole Centrale de Lille, L2EP, Villeneuve d’Ascq, France

philippe.lemoigne [at] ec-lille.fr

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Un article publié au VIIIe Colloque des Questions de Pédagogie dans l’Enseignement Supérieur, Brest, 17, 18 et 19 Juin 2015.

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Pour citer cet article :

Philippe Le Moigne et l’équipe pédagogique Génie Electrique E.C. Lille, Apprentissage par problème en Génie Electrique ;
http://www.innovation-pedagogique.fr/article564.html


I. INTRODUCTION

Cet article est rédigé dans le cadre d’une "analyse d’expérience". Il traite de la mise en place de nouveaux types d’enseignements dans le domaine du Génie Electrique au sein de l’Ecole Centrale de Lille, formation d’ingénieur généraliste, dans le cadre de la réforme pédagogique de 2009. L’article vise à décrire l’origine et la mise en place de cet enseignement, les difficultés et intérêts ressenties tant du côté enseignants-chercheurs que du côté étudiant. Il vise aussi à montrer l’évolution de cet enseignement au cours des années et les retombées actuelles tant du côté étudiant qu’enseignant.

II. PRESENTATION DU CONTEXTE ET DE LA PROBLEMATIQUE

Le contexte de mise en place de cet enseignement de type "Apprentissage Par Problème" (APP) s’est fait dans le cadre d’une réforme pédagogique du tronc commun de l’Ecole Centrale de Lille. Cette réforme visait à alléger le tronc commun (1ère et 2ème année) en heure-étudiant et à privilégier l’aspect enseignement à la carte (modules d’enseignement choisis par les élèves). Cette réforme avait pour but de rendre les élèves plus autonomes et plus maitres de leurs choix de formation. Il a donc vu une réduction significative du nombre d’heure étudiant de ce tronc commun, au profit d’enseignements optionnels (électifs). Le 4ème semestre de la formation ingénieur ne comprend désormais plus que des électifs, sans aucun module de tronc commun. Parallèlement à cela, une consigne "forte" a été de mettre en place dans tous les enseignements des heures de Travail Non Encadré (TNE) dans une proportion de l’ordre de 25% des "heures-élèves". C’est dans cette optique que s’est mise en place l’APP de Génie Electrique que je détaillerai dans la suite de l’article.

III. ORIGINES DU DISPOSITIF PEDAGOGIQUE ET CARACTERISTIQUES PRINCIPALES

Dans le but d’introduire des TNE dans les enseignements de l’Ecole Centrale de Lille, la direction des études a proposé aux enseignants de l’établissement des séminaires de formation sur l’APP. Une première remarque édifiante à ce sujet concerne le fait qu’il s’agissait pour la plupart d’entre nous (enseignants-chercheurs) de notre première formation pédagogique, alors que l’enseignement constitue normalement pour moitié de notre activité professionnelle. A l’époque, j’avais pour ma part 18 ans d’expérience pédagogique avec des pratiques issues de mon vécu en tant qu’étudiant (cours magistral-TD-TP), sans aucune formation sur des méthodes moins traditionnelles. Cette formation APP a été faite par un enseignant de l’Université Catholique de Louvain et avait pour principal objet de présenter le concept, l’expliquer et le mettre en pratique dans le cadre d’une APP entre enseignants pour "vivre le concept". Mission a alors été donnée aux départements d’enseignement de tester ce type d’enseignement dans son secteur. Un certain nombre de départements ont accepté et ont donc mis en place une APP dans le tronc commun d’enseignement. Chaque secteur d’enseignement a été libre de doser et adapter ce type de pratique en fonction de sa perception de celui-ci et des souhaits du corps enseignant. Je ne parlerai donc par la suite que de celle mise en place en Génie Electrique. Cette APP a été introduite en début de première année du cycle ingénieur (L3) et se déroule quelques semaines après le début des enseignements. Elle a pour public principal des étudiants ayant suivi les classes préparatoires aux grandes écoles, avec des promotions de l’ordre de 250 étudiants. Ils sont donc habitués à être cadrés et suivis. Ils attendent a priori beaucoup de l’enseignant en termes de contenu et d’apport personnel.
La réforme de 2009 a conduit à une réduction par deux des heures-élèves pour le module concerné du tronc commun (32h élève), nommé Réseau et Conversion d’Energie (RCE). Cela nous a conduit à redéfinir les programmes d’enseignement et à les réduire significativement, ainsi qu’à revoir globalement la forme pédagogique. Ce module RCE a été décomposé en deux sous parties, une axée sur l’électricité générale (Réseau) et l’autre sur les bases de l’Electronique de Puissance (EP). Ces deux parties ont été profondément remaniées sur leur forme pédagogique. La formule commune initiale, basée sur le classique "cours magistral/TD/TP" avec évaluation par des notes de TP et une évaluation écrite, a été remplacée par deux blocs d’enseignement où les cours magistraux ont complètement disparu. Le tableau 1 résume la forme actuelle du module RCE de tronc commun.

APP Réseau EP
Séance 1 2h conférence Génie Electrique
Séance 2 1h Démarrage APP+ 3h TNE Séance 8 2h Séminaire
Séance 3 1h Point APP + 3h TNE Séance 9 2h Séminaire
Séance 4 30min TNE + 1h30 Bilan APP Séance 10 2h Séminaire
Séance 5 4h TP évaluation formative Séance 11 3h Séminaire
Séance 6 1h réponse aux questions Séance 12 4h TP évaluation formative
Séance 7 1h évaluation écrite Séance 13 1h évaluation écrite
Ss total 18h 14h
Total RCE

32h avec 26% sans enseignant en vis à vis

Tableau 1 : Séquencement et organisation du module RCE

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La "Séance 1" est une conférence de 2h réalisée par les différents enseignants du département pour introduire le Génie Electrique et son intérêt au sens large. Il introduit donc les deux sous modules RCE, mais aussi d’autres modules et électifs du domaine Génie Electrique.
Le point commun entre les deux sous module RCE concerne la forme pédagogique du TP mis en place en 2009 au moment de cette réforme : le "TP à évaluation formative".
Auparavant, les TP que l’on proposait aux étudiants étaient évalués par une note (souvent bonne) basée principalement sur le compte rendu des binômes de TP. Cette forme d’évaluation n’était pas adaptée car :

  • il en résultait une course à la réponse aux questions, sans recherche de compréhension des étudiants.
  • un nombre de copies à corriger important avec des réponses souvent recopiées, donc un travail lourd et inefficace pour l’enseignant.

Ce type d’apprentissage n’avait que peu d’efficacité et servait uniquement à faire remonter la moyenne de l’évaluation globale des étudiants.
Afin d’être plus efficace, les TP ont été revus tant sur la forme que sur l’évaluation. Ainsi, le premier point a été de ne plus noter les étudiants pour leur travail fourni lors du TP. Mais comme nous considérions que les TP étaient le seul vrai moment où l’étudiant met en pratique les connaissances qu’il est en train d’acquérir, nous l’avons rendu "obligatoire" : si un étudiant est absent (sans justification officielle), alors il n’a pas le droit de passer l’évaluation écrite. De ce fait, tous les étudiants viennent ! Mais comme ils n’ont plus de compte rendu à remettre, leur seul objectif est en principe d’apprendre et comprendre, afin d’utiliser intelligemment le temps du TP, avant l’évaluation écrite qui finalise la séquence d’enseignement. Au cours du TP, ils peuvent utiliser tous leurs documents. Ils répondent donc aux questions du TP, font les expérimentations et mesures associées. Les enseignants sont là pour valider leurs réponses, vérifier les montages et échanger avec eux pour qu’ils arrivent à assimiler le maximum de notions (selon leur niveau, rapidité, motivation) revisitées au travers du TP.
La différence entre les deux sous module concerne donc la phase découverte et acquisition des "objectifs d’apprentissage". L’une (partie EP) se fait sous forme de séminaire en groupe de 30/35 étudiants, où l’enseignant "apporte" les notions de base qu’on utilise dans des exercices qui illustrent et appliquent les principes expliqués. Je ne m’étendrai pas sur cette partie, car elle reste relativement classique, si ce n’est que les cours magistraux ont disparus par rapport à l’ancien programme.
L’autre (partie Réseau) est proposée sous forme d’APP et s’étale sur 4 séances (2,3,4,6) du Tableau 1. Les séances (2,3,4) concernent l’APP "Réseau" proprement dite et est structurée en 3 séances avec un demi-groupe (15 à 18 étudiants) par tuteur. La séance 6 étant une séance de réponse aux questions, après avoir suivi l’ensemble du sous module (APP+TP Réseau), sachant que le TP n’apporte pas de nouvelles notions, si ce n’est la partie "mesure", qui n’est pas notée dans l’évaluation écrite. En effet, celle-ci n’est pas une priorité, mais un outil pour l’apprentissage par l’expérimentation.

  • Séance 1 (4h) : la première heure se fait en présence du tuteur qui donne le sujet de l’APP et les documents de cours associés. Les étudiants (en groupe de 5 à 9) se répartissent les rôles et découvrent le sujet, pour aboutir à la fin de l’heure à un "plan d’action" ciblé sur le travail personnel à fournir pour la prochaine séance. Les 3h suivantes se font en TNE.
  • Séance 2 (4h) : la première heure se fait en présence du tuteur, avec pour objectif de faire le point sur le travail fait et redéfinir les objectifs pour la troisième et dernière séance. Les 3h suivantes se font en TNE.
  • Séance 3 (2h) : la première demi-heure sert aux étudiants à commencer leur synthèse. Le reste de la séance se fait en présence du tuteur pour aboutir à la présentation par chacun des groupes de la synthèse de leur travail sur le sujet de l’APP.

Ce qu’il faut retenir de cette partie c’est que le module RCE a été complètement remanié avec pour objectif initial l’efficacité pédagogique. Deux formes d’enseignements sont employées avec les mêmes étudiants et les mêmes enseignants : l’une sous une forme assez conventionnelle, mais en groupe restreint (séminaire), l’autre sous la forme d’une APP, enseignement beaucoup plus original, tant pour l’étudiant que pour l’enseignant.

IV. ANALYSE DU FONCTIONNEMENT

Depuis 2009, ce module RCE fonctionne et a subi quelques évolutions pour améliorer son fonctionnement, sans changer sa forme globale. Je parlerai donc du fonctionnement et du bilan actuel.
Le point très intéressant concerne les TP évaluatifs qui satisfont tout le monde (étudiants et enseignants). En effet, les étudiants jouent le jeu en très grande majorité par leur présence et leur autonomie. De ce fait les enseignants se trouvent face à des étudiants motivés qui leurs posent des questions cohérentes. Tout le monde y trouve donc son compte en termes d’intérêts. L’enseignant enseigne, l’étudiant apprend et est actif.
Au niveau de l’APP, les évolutions ont porté principalement sur le livret du tuteur associé à l’APP, pour que les tuteurs puissent mieux guider l’étudiant, en profitant de l’expérience et des avis de chacun. De fait, la difficulté majeure de ce type d’enseignement est la posture de "tuteur" que doit prendre "l’enseignant" pour faire travailler intelligemment les élèves et les motiver. La formation que nous avions suivis sur l’APP nous avait en effet présenté le rôle du tuteur comme une personne qui peut être quelqu’un extérieur au domaine de la matière enseignée et est là de façon à poser des questions aux étudiants pour les guider vers les connaissances. Or ma propre expérience me montre que je ne pense être "opérationnel" dans ce rôle que seulement au bout de 5 ans. En effet, durant plusieurs APP, je me suis senti un peu perdu. Il y a une certaine forme d’improvisation à avoir et comme le temps est compté, on a vite fait de se perdre et se décourager dans ce rôle de tuteur qui n’est pas celui d’un enseignant. Ce côté "opérationnel" est lié d’une part à l’expérience acquise sur ce sujet d’APP qui permet d’anticiper plus facilement les erreurs et le temps perdu inutilement, et d’autre part aux compétences dans le domaine qui permettent de réagir assez spontanément et intelligemment face à des options plus ou moins bonnes des étudiants, tout en restant dans son rôle de "tuteur". C’est une gymnastique intellectuelle qui n’est pas évidente à acquérir, car elle demande de prendre du recul sur cette forme d’enseignement et sur le sujet d’APP proposé aux étudiants.
Du côté des étudiants, l’APP est diversement appréciée, même si elle est bien mieux acceptée actuellement qu’en 2009. L’amélioration des tuteurs et le meilleur cadrage de l’APP doit y être pour beaucoup. Même si beaucoup d’étudiants sont récalcitrants au départ sur ce mode d’apprentissage, un bon nombre d’entre eux apprécient après coup le fait de partager le savoir et d’apprendre à plusieurs, ce qui les change du travail individuel des classes préparatoires. Mais quelques-uns restent sur leur position et n’acceptent pas vraiment que l’enseignant prenne cette position de tuteur et ne leur donne pas la solution toute faite, surtout si dans un autre groupe un tuteur se transforme en enseignant…

V. BILAN CRITIQUE ET PERSPECTIVES

Si on veut dresser un bilan critique sur l’introduction de l’APP, on peut dire qu’elle a finalement été introduite à dose homéopathique au sein de l’établissement et qu’elle n’a fait l’unanimité ni en Génie Electrique, ni dans les autres départements d’enseignement où elle a été testée. Pour appuyer ce constat, il suffit d’observer les faits. Aucune APP n’a été remise en place dans le tronc commun depuis la réforme de 2009. En Génie Electrique, le second module du tronc commun a été modifié pour améliorer l’efficacité de la pédagogie. Le choix fait par l’équipe enseignante s’est porté sur un passage à la formule séminaire associé à un "TP évaluation formative". Enfin je pense que si on proposait aux enseignants de remplacer l’APP par une formule de type séminaire, cela serait agréablement accueilli au premier abord, même si cela alourdirait la charge d’enseignement. C’est assez paradoxal, car une APP bien calibrée est peu chronophage pour un enseignant qui a peu de préparation à prévoir, une fois que l’APP est bien rodée. De plus l’APP ne se recopie pas, elle est donc quasi inusable sur des sujets assez généraux qui évoluent peu avec les technologies. Mais l’enseignant a perdu son "rôle d’enseignant", donc de transmetteur du savoir. Il doit "seulement" apprendre à l’étudiant à s’auto-former. C’est là le paradoxe : l’enseignant enseigne "autrement" et cherche donc de nouveaux repères.
En termes de perspectives, les établissements tels que les écoles d’ingénieur doivent faire des efforts pour attirer des étudiants de plus en plus exigeants vis à vis de l’attractivité de l’établissement dans un environnement compétitif et concurrentiel. La pédagogie est un des leviers d’action. De façon pragmatique, force est de constater que l’étudiant "change" tous les ans, et s’adapte facilement aux évolutions, alors que le corps enseignant change au rythme lent des promotions, recrutement au sein de ces établissements et évolue peu au final. La clé de réussite passe donc par la reconnaissance effective de l’investissement des enseignants pour faire évoluer la pédagogie de l’établissement. Or, dans le contexte actuel de l’enseignement supérieur français, l’enseignement est porté par des "enseignants-chercheurs" évalués et promus principalement pour leurs activités "recherche et administration", sachant que leur "rôle" d’enseignant est d’assurer 192hTD, avec des contraintes "recherche" de plus en plus prenantes. Comment motiver et aider ces personnels à s’investir sur des taches mal reconnues et chronophages, car nécessitant l’apprentissage de concepts pédagogique complexes à maitriser ? Pour répondre à ce point bloquant, les établissements vont devoir imaginer des leviers de motivation pour un investissement massif du corps enseignant, sans lequel la mise en place d’une pédagogie innovante ne pourra être effective.

VI. CONCLUSION

L’Ecole Centrale de Lille se prépare à une nouvelle réforme pédagogique pour la rentrée 2017 avec une volonté d’introduire de façon encore plus importante les "TNE" au sens large au niveau du cursus étudiant. Il apparait important de réfléchir aux différentes formes innovantes de pédagogie adaptées à l’enseignement généraliste de la formation pour que les étudiants puissent devenir véritablement et concrètement acteurs de leur formation. Dès lors, il est primordial de faire un bilan des différents types de TNE déjà testées au sein de l’établissement pour déceler les voies d’amélioration et les écueils à éviter absolument. Cette nouvelle réforme ne pourra en effet aboutir sans avoir fait un bilan de l’expérience passée, sans formation effective des enseignants à de nouvelles méthodes pédagogiques et sans prise en compte de leurs motivations et contraintes. En effet, cette réforme nécessitera un investissement massif du corps enseignant, avec certainement une valorisation nécessaire de l’investissement pédagogique et donc une réflexion approfondie sur la notion de charge d’enseignement et d’heure élève présentiel/non présentiel qui a de moins en moins de signification en terme de charge réelle de travail.

REFERENCES

FA2 Louvain, http://fa2l.weebly.com/

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