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L’Université dans une société en métamorphose, quelques extraits d’une note du Conseil National du numérique

28 mars 2016 par Michel Briand Veille 477 visites 0 commentaire
Un texte extrait des travaux du CN Num sur l’enseignement supérieur en janvier 2016 et contribution au débat ouvert en semaine 4 du MOOC « Enseigner et Former dans le Supérieur « 

1. Que peut le numérique face à une nouvelle étape de massification ?

La dernière rentrée universitaire a été marquée par les images d’étudiants sans chaise, de couloirs assiégés et d’amphithéâtres débordants de bacheliers fraîchement diplômés qui découvrent ainsi le monde de l’université. Dans le contexte de crise économique actuel, beaucoup de familles voient dans les études leur meilleure défense contre le chômage et la précarité, et alors que l’Université est de plus en plus décriée - conditions de vie des étudiants, montée des inégalités sociales, manque de moyens, etc. - elle n’a paradoxalement jamais été aussi attractive. Ce boom démographique de la population étudiante semble être une tendance vouée à s’amplifier dans les années à venir : plus de 500 000 étudiants seraient attendus dans les 20 prochaines années, soit l’équivalent de 40 nouvelles universités à construire et une déferlante de problématiques en matière de financement, d’aménagement des espaces immobiliers, de personnel universitaire, d’adaptation des systèmes d’information, etc. auxquelles il faudra répondre à court terme. Mais ces enjeux vont bien au delà des aspects “gestionnaires”, car de la capacité de l’Université à relever ces défis structurels, dépendent aussi les conditions dans lesquelles l’Université pourra ou non accompagner la transition numérique de la société, sa transformation vers une société de la connaissance. Une société numérique inclusive passe par une Université accessible au plus grand nombre, partageant la littératie numérique, accueillant les parcours atypiques, et répondant aux besoins d’apprentissage tout au long de la vie de ses citoyens. Une société numérique créative et innovante repose sur une Université qui valorise les mix de compétences, forme aux métiers de demain, et travaille en réseau avec des partenaires hors de ses murs. Une société
numérique durable dans un contexte mondialisé s’appuie sur une Université attractive, proposant des modèles différenciés d’apprentissage, d’évaluation, de certification, etc., et contribuant à la diplomatie culturelle et au soft power.

Cette Université du 21e siècle, nous n’y sommes pas encore, nous en sommes encore loin. Le déficit entre les 80% d’élèves obtenant le baccalauréat et les taux d’échec observés en licence trois ans plus tard (à peine 26% d’étudiants obtiennent leur licence en trois ans) traduit un décrochage rapide des étudiants et une défaillance du service public d’orientation dans l’enseignement supérieur. C’est aussi parmi les étudiants issus des milieux les plus pauvres que les taux d’accès sont les plus faibles, puis les taux d’échec à la diplomation les plus élevés, signes que les inégalités sociales perdurent voire sont amplifiées dans l’enseignement supérieur.

La place de l’Université comme lieu de référence de la formation tout au long de la
vie est bien marginale : seulement 2% du marché de la formation continue (qui représente 35 milliards d’euros, 12 milliards d’euros hors salaires) parviennent à l’enseignement supérieur, écoles et universités confondues. L’offre de formation universitaire aux métiers du numérique reste bien moins reconnue que celle des écoles d’ingénieur auprès des entreprises, et au global, écoles et universités ne parviennent pas à répondre à la demande du secteur. Enfin, la concurrence entre les universités aboutit à une offre de contenus en ligne morcelée, qui de fait reste peu lisible et “marketable” dans son ensemble au niveau international.

2. Apprendre à apprendre

Cette exigence est une caractéristique de la société numérique : l’apprentissage est permanent, et concerne tout le monde. Les manières d’apprendre sont diverses, chacun pouvant être plus à l’aise avec un cours, un apprentissage en groupe, une classe inversée... L’Université est un lieu d’élection pour que chacun saisisse cette réalité et en fasse l’expérience, à plus forte raison lorsque “l’apprendre à apprendre” n’est pas perceptible dans le parcours scolaire antérieur et se trouve dans les dernières années de lycée étouffé par le bachotage et la tension autour des programmes. L’intensification de la production de savoirs, contenus et données est une sensation quotidienne pour les universitaires. Encore faut-il que les étudiants aussi s’en rendent compte et acquièrent la capacité de circuler efficacement dans de grands volumes de savoirs et acquièrent une compréhension réflexive de leurs façons d’apprendre.

“Apprendre à apprendre” concerne aussi à expérimenter « hors les murs ». Des enseignements nombreux comportent des enquêtes fondées sur du numérique (photos, enregistrement, plans et maquettes) qui accroît la possibilité d’expérimenter avec agilité. Chaque fois que cela se produit, les étudiants sont surpris car l’événement demeure inhabituel pour une tradition d’enseignement où les élèves doivent être dans la salle de cours sous la responsabilité de leur professeur pendant le temps de « cours ».

C’est une approche pédagogique différente que nous devons inventer, articulée autour de cycles courts (temps d’expérimentation, retour et partage des recherches, analyse et investissement des résultats dans un projet). Les étudiants disent apprécier ce rythme qui crée un accompagnement direct, diffère des rencontres très aléatoires que les groupes ont avec des tuteurs. Il y a donc là un point de vigilance : apprendre à apprendre peut se traduire par une multiplication des projets en groupes d’étudiants mais doit s’accompagner d’un encadrement adéquat des étudiants et ne pas être un prétexte à laisser les étudiants livrés à eux-mêmes. Il y a donc une forte attente sur l’évolution du rôle de l’enseignant et du rapport de celui-ci avec ses étudiants.

Cette exigence impacte la pédagogie, les critères d’évaluation, la mesure de la performance des universités. La nature des publics, elle aussi, est changée. Les populations adultes recherchent une immersion universitaire pour enrichir des compétences générales, l’imagination, l’allant, la créativité. Après des décennies de formation centrées sur les processus et les produits, une mutation s’annonce.

L’Université se positionne sur des contenus et des styles de formations d’adultes pour répondre aux besoins de soft skills. Là où les établissements sont habitués à recevoir une tranche d’âge de 18 à 25 ans, la société de l’apprentissage devrait leur amener un public « tout au long de la vie » qui se mixera au flux d’étudiants.

3. Universités lieux d’une expérience d’apprentissage

La vie universitaire connaît une inflexion majeure. Les étudiants ne viennent pas à l’Université que pour suivre leurs cours. Ils viennent s’y retrouver et travailler ensemble. L’Université voit se développer l’à-côté du cours et adapte ses locaux. L’usage des bibliothèques change. Le volume de documents scientifiques numérisés a fait baisser le prêt mais pas la fréquentation. Les étudiants recherchent une place en bibliothèque pour travailler dans la concentration, réviser leurs cours, préparer des examens, écrire des mémoires. Mais ils recherchent également une expérience plus collective, et de nouveaux espaces leur sont offerts.

Dans de plus en plus d’établissements les espaces de travail ouverts se développent au sein des bibliothèques, dans les centres de vie, des espaces réaménagés. Des espaces que les étudiants investissent pour leurs travaux de groupe, que les enseignants utilisent pour des modes de formation collaboratives. Le café du matin est le prétexte d’une installation longue durée. A Paris Descartes, la cafétéria redessinée et remeublée est occupée tous les jours jusque 22h bien au-delà de la fermeture du service de boissons. Smartphones à portée de main et paperasses débordant les petites tables rondes, les étudiants sont au travail, de préférence entre amis. Conscients de cette extension des usages, les CROUS ont banalisé les restaurants universitaires en dehors des plages de repas pour accueillir des rendez-vous étudiants. Les escaliers et les halls hébergent depuis longtemps des grappes d’étudiants qui cherchent un bon accès au wifi, remplissant les vingt minutes de pause par ci par là.

Que signifie cette présence étudiante ? Sans aucun doute le manque de confort de
la vie personnelle de nombreux étudiants : logements éloignés et petits, pas de bureau où se concentrer. Mais c’est aussi le besoin d’être ensemble, d’avoir un sentiment d’appartenance à un groupe, sentiment important pour le succès dans l’apprentissage, et incluant le peer pressure (la pression des pairs). Lieux de socialisation, les universités accueillent une expérience étudiante qui déborde les cours. A l’heure où les MOOCs, SPOCs et cours en ligne de toute sorte inquiètent certains, qui décrivent des amphithéâtres déserts et des enseignants dépouillés, la preuve est donnée : plus les étudiants peuvent travailler à distance, plus ils ont besoin d’être ensemble.

Ce signe, les établissements d’enseignement l’ont capté. Ils ont compris que le nouveau visage d’un étudiant engagé dans la vie collective était une valeur pour l’Université. Et comme le dit Henri Isaac, vice-président en charge du numérique à l’université Paris Dauphine, « Pour une université productrice de connaissance et qui se fait disrupter sur ce sujet par les Moocs, que les étudiants viennent en masse travailler sur place et un grand signe de résilience, car la présence des étudiants est la valeur d’une université. Ils viennent chercher une expérience d’apprentissage complètement nouvelle et veulent contribuer à la constitution des savoirs ». Comment les établissements développent-ils le potentiel de ces étudiants contributeurs, au sens où leur énergie est une création de valeur pour les universités ?

4. Nouveaux modes d’accueil des étudiants

Connecteurs étudiants

Ces dernières années, des structures nouvelles ont fait leur apparition sur les
campus. Une première catégorie est le “connecteur étudiant”. Il s’agit d’espaces de rencontres et d’événements qui remplissent plusieurs missions : accueillir et étayer les initiatives des étudiants, les rapprocher d’écosystèmes professionnels innovants, les immerger dans l’économie numérique, sensibiliser à la création d’activité.

A Saclay, le Proto 204 est un connecteur étudiant qui occupe un bâtiment central sur le campus. Il est un carrefour transdisciplinaire (physiciens, informaticiens, designers, ...). Il offre des moyens de prototypage rapide et instille la culture du DiY (Do it Yourself), du hacking et de l’autofabrication dans les cultures universitaires conceptuelles.

Incubateurs

L’association IES (“Incubateurs de l’enseignement supérieur”) publie une liste qui concerne une vingtaine d’écoles des mines et de management. Plus de 100 étaient référencés en 2012. «  Il a fallu attendre le boom des start-up Internet, au début des années 2000, pour assister à un premier décollage du nombre d’incubateurs d’écoles, avant l’accélération de ces deux ou trois dernières années. Les 29 Pepite (pôles étudiants pour l’innovation, le transfert et l’entrepreneuriat), lancés en 2014, fédèrent les établissements d’enseignement supérieur proposent aux étudiants une sensibilisation et un accompagnement à la création d’entreprise, via notamment le statut d’étudiant entrepreneur. Et, pour ceux qui le souhaitent, un accès à l’incubateur d’un des établissements membres du Pepite ».

Préludes de grands incubateurs d’entreprises issues de la recherche publique, comme Agoranov ou ParisBiotech, ces incubateurs étudiants apportent une expérience d’apprentissage au cours de laquelle les étudiants créateurs peuvent tester une idée venue de leurs premières recherches en laboratoire, trouver un hébergement, se mettre en réseau, bénéficier de conseil et de mentorat, profiter d’une transdisciplinarité entre management, business, sciences, sciences humaines, informatique et design, s’initier aux mécanismes de levée de fonds et de crowdfunding, à la propriété intellectuelle et aux creative commons. C’est aussi la découverte des techniques de promotion (événements, challenges, hackatons) et une visibilité personnelle. Par le biais de programmes d’accélération, ils découvrent les SATT (Sociétés d’accélération et de transfert), des investisseurs, des industriels, des startupeurs. Réservés auparavant à des minorités d’étudiants, ces lieux d’apprentissages deviennent des carrefours d’éducation numérique, des techniques numériques au design de services et à l’économie contributive.

Fablabs

Les Fablabs sont tournés vers l’autofabrication, en communauté. Equipés d’imprimantes 3D, de laser cutter, de fraiseuses numériques et de matériel électronique, mécanique, menuisier, ces fablabs se prêtent au prototypage soit directement dans la continuité du laboratoire (fabriquer son matériel expérimental) soit pour aller plus loin et tenter le proof of concept d’une idée et d’une intuition. Ce sont des ateliers de conception d’objets connectés (capteurs) qui soutiennent des amorçages de projets, et animés d’un esprit entrepreneurial. Ils se multiplient dans les COMUE et concernent désormais tous les étudiants, au-delà des informaticiens et étudiants en art. Introduisant un bricolage créatif, ils génèrent des cours et ateliers intégrés à des cursus ou tout simplement des activités associatives (Le Fabelier au CRI- Paris Descartes) ou individuelles. Derrière le fab lab, se dessine un nouveau mode d’organisation sociale à la fois local dans sa production et mondial dans ses connaissances.

Learning centres

Une mutation essentielle est la fusion entre les bibliothèques papier et numériques qui deviennent des learning centres. Ils offrent des postes de travail pour étudier via les Moocs et autres ressources, des logiciels pour la création multimédia et la publication. Ils sont également les vecteurs du mentorat, au sens où la disponibilité des ressources stimule les projets d’étude personnels, déplace la relation pédagogique et crée des besoins de conseil et d’encouragement. Usuel dans le système britannique, le mentorat s’installe dans les learning center français :

« L’attention portée à l’expérience d’apprentissage de l’étudiant-e est une des caractéristiques clés du système éducatif britannique. Elle garantit les compétences critiques et créatives qui étayent les entreprises les plus performantes du Royaume Uni. Les livres et autres ressources d’information jouent un rôle clé dans ce modèle d’apprentissage, qui place les bibliothèques au coeur du processus éducatif »

A Paris 2 Assas, le learning centre est devenue le centre d’une vie apprenante qui redéfinit toute l’université. Car l’activité des étudiants avec les enseignants y est considérée comme le ressort essentiel pour la création de valeur pour l’université et pilote en quelque sorte le learning centre. Professeurs et étudiants disposent de bureaux équipés, de salles de réunion interactives, de salles de visioconférence d’où ils peuvent participer à distance et en temps réel à des colloques, des soutenances de thèses, des réunions virtuelles ou des cours délocalisés.

5. La ville apprenante

Entre les universités et les villes, l’interpénétration est évidente. L’inscription dans un territoire culturel et économique est aussi l’écosystème propre de la société numérique : témoignages de l’économie collaborative (jardins partagés, habitat partagé, fermes pédagogiques et agriculture urbaine), incubateurs, espaces de travail partagé, pôles de compétitivité, incubateurs, makerspaces, fablabs, pépinières, événements (conférences, hackathon, festivals)... un tissu extrêmement riche étoffe l’expérience de la classe créative (Florida) et en fait partie. Les villes en ont conscience et savent que les établissements d’enseignement sont un ferment d’attractivité, de dynamisme économique, et de créativité industrielle.

Les villes se développent avec des politiques de participation, de création, et de recherche prospective qui font partie de la formation des étudiants et sont en lien avec la recherche.

Hébergement de projets

A Paris la ville s’investit dans l’entrepreneuriat numérique. Elle a une politique
d’accueil des étudiants, auxquels elle réserve à des étudiants des hébergements dans des incubateurs. Elle mène une politique de valorisation des ressources universitaires (soutien à l’édition de Moocs, numérisation des patrimoines d’images, de films, de livres). Elle encourage les étudiants à participer à la prospective urbaine par les consultations sur le budget participatif. Player, un incubateur de projets, organise des échanges entre de grands groupes qui veulent développer leur innovation et crée des espaces dits “lab d’innovation” et des étudiants, qui sont accueillis en résidence avec leurs projets. Réciproquement ces “labs” pourraient s’installer dans les universités et le projet est en cours.

6. Désintermédiation

L’ESR creuset d’une métamorphose vers la société apprenante

Une Société apprenante apprend de ses membres et se transforme par eux. La capacité d’apprendre, dynamique vitale pour l’évolution, est à notre époque stimulée par les informations et données qui modifient toutes les expériences de vie dès le plus jeune âge. L’ESR (Enseignement supérieur et la recherche) est le creuset où s’élabore le sens de cette métamorphose. Sa vocation est d’oeuvrer à la création des connaissances nouvelles, à la transmission des connaissances acquises, et à leur meilleur usage possible pour développer l’accès de chacun aux sciences de son temps et imaginer collectivement les solutions nécessaires à des défis scientifiques aujourd’hui insolubles.

Les enseignants chercheurs, chercheurs et étudiants vivent un travail intellectuel transformé par un accès aux archives et publications scientifiques, considérablement élargi par la fouille de données. Cette reconfiguration touche l’épistémologie des disciplines qui, outillées par l’informatique, évoluent en transdisciplines. Il touche les cultures professionnelles. Il touche aussi le sens de ce que viennent chercher les étudiants dans leurs études. Dans le contexte décrit par la StraNES, celui d’un ESR en charge de l’accueil d’étudiants toujours plus nombreux et aux profils variés, souvent peu préparés aux études universitaires, les difficultés d’exercice de l’enseignement sont importantes. Et pourtant l’augmentation de la population diplômée est le seul chemin de développement pour nos pays. Pour répondre aux difficultés, de très nombreux enseignants se sont lancés dans la recherche et l’expérimentation pédagogique, sans que le cadre bouge. Ils sont en attente de facilitations. Comme dans l’enseignement secondaire, ces transformations demeurent des expérimentations mal connues et difficiles à partager et répliquer. Déconfiner les salles de TD et faire savoir ce que créent les enseignants avec les étudiants dans de multiples sites peut engendrer des transformations en cascade.

Des écoles agiles aux université de masse : un immense écosystème d’apprentissage

Les établissements d’enseignement supérieur sont insérés dans un écosystème d’apprentissage, villes et territoires apprenants, tissu associatif, acteurs économiques, qui les portent et qu’ils innervent. Ces établissements sont dans le tissu local des pourvoyeurs essentiels de compétences, qui jouent tant pour l’innovation sociale que pour le dynamisme économique. L’influence de l’ESR est la condition du maintien et de l’élévation du niveau de formation du pays, mission assumée grâce à l’extrême variété de ses établissements. Certains de tailles moyenne et petite ont montré qu’ils étaient capables de stratégies pédagogiques suivies d’effets immédiats. Ils échangent en réseaux et mutualisent l’évaluation d’expérimentations vite adoptées. Souvent membres de COMUE, ils dialoguent avec des universités dont les étudiants, enseignants chercheurs et administratifs peuvent se compter en dizaines de milliers,et n’ont pas la même agilité, mais ont des besoins très semblables à l’égard des étudiants. Cette diversité devrait conduire à des dialogues et enrichir les solutions possibles. La transformation numérique ne peut pas être un sujet traité isolément par les établissements, et encore moins métier par métier.

Un CDO (Chief Digital officer) devrait agir au niveau d’un territoire d’apprentissage et favoriser la circulation des expériences et leur évaluation.
Des maisons de la pédagogie offrant un cadre de liberté et prenant un rôle de lab accéléreraient des partages et renforceraient l’engagement des enseignants isolés et qui gardent pour eux leurs convictions et leurs intuitions. En ayant un lieu commun où s’expose ce que chacun fait, des écoles primaires à l’enseignement supérieur, les enseignants redeviendront un réseau agissant et concerté dont la capacité d’agir pour les communs du savoir augmentera. L’ESR devrait tirer parti de la variété et de la tonicité de son écosystème pour agir aux deux plans où il est actuellement mobilisé : sa propre métamorphose et la métamorphose de la société entière, métamorphose dont il est l’opérateur naturel.

Description de la désintermédiation en cours

Désintermédiation signifie ici qu’il pourrait ne plus être nécessaire de passer par les établissements de l’ESR pour se former, se qualifier, se diplômer, s’orienter à un haut
niveau. Ou tout au moins que des voies alternatives pourraient se multiplier au point de brouiller la mesure de la valeur d’une formation. Quelle que soit l’incrédulité qu’une telle affirmation provoque encore aujourd’hui, si la valeur de l’ESR se résumait à la diplomation, cela ne suffirait plus. Heureusement il n’en est rien. La valeur intrinsèque de l’ESR est à replacer dans le rapport réel aux savoirs. L’ESR a un rôle central à jouer, car c’est à l’université que s’apprennent les outils critiques mais l’affirmation de ce rôle n’est pas assez forte aujourd’hui. La première vague de MOOC a suscité la surprise et une certaine angoisse. Puis il a semblé que l’alerte était passée, rien d’irréversible ne se produisant. Aujourd’hui les plateformes de digital learning associées aux grandes universités étendent les
certifications à la diplomation. Des marchés des talents et des compétences s’ouvrent sans limites territoriales. C’est tout le parcours étudiant qui est concerné, du projet de formation dès le lycée, en passant par l’orientation, l’aide à la réussite, le mentorat, l’apprentissage à distance, et jusqu’à l’insertion professionnelle. Des plateformes de digital learning états-uniennes ont commencé à garantir un emploi aux personnes qui suivent certains mooc pour répondre aux besoins d’industriels financeurs.

Les publics d’étudiants pourraient rapidement considérer excellentes et essentielles les possibilités de se former et de s’insérer offertes totalement ou partiellement par des services numériques. Ces services sont apparemment gratuits ou quasi gratuits, mais ont un modèle économique fondé sur une R&D des données de l’apprentissage, et qui est du point de vue du CNNum une véritable menace pour l’ESR si l’opportunité de ces nouveaux domaines n’est pas saisie rapidement. Cette R&D concerne l’individualisation des parcours, qui par le biais de l’adaptive learning permet d’administrer les contenus de formation au bon moment et de la bonne façon pour stimuler la réussite d’un parcours d’apprentissage.

Ce sont aussi les politiques dites de data driven education qui permettent de piloter des activités de formation à des niveaux multiples (la classe, l’établissement, une COMUE, l’Etat ...) en s’appuyant sur l’exploitation des analytiques de l’apprentissage (learning analytics) c’est-à-dire les traces laissées par les événements de connexion et d’utilisation de contenus numériques.

Par cette R&D se développe une activité économique et sociale de grande importance. C’est l’assise d’une Formation Tout au Long de la Vie pleine de potentiel pour l’indépendance financière des universités et dont dépend la capacité de l’ESR d’assumer la mission de formation dans une société qui ne placera plus l’apprentissage comme un moment bref et particulier du devenir adulte, mais réellement comme une activité intrinsèquement liée au parcours de vie. Or les usages ne sont pas actuellement fixés sur des outils offerts par les universités. Les usagers trouvent dans le Web public les interfaces qui leur conviennent.

Même si les LMS (Learning management systems) comme Moodle contiennent l’essentiel des cours numériques, il est fort difficile d’en extraire des données structurées utiles à un pilotage pédagogique documenté. Les données de l’apprentissage échappent pour le moment à l’ESR, quand ses concurrents industriels y affûtent les styles de formation et de conseil individualisés qu’attendent les citoyens numériques.

La première étape de cette échappée hors des services numériques universitaires est déjà bouclée : LinkedIn possède assez de données pour évaluer de l’extérieur la qualité de vie dans les universités et la valeur des cursus dans les carrières, et assurer des propositions de parcours ajustés aux étudiants. L’ESR a tout intérêt à apprécier les avancées et à s’y joindre, tout en développant ses services propres. Les risques de cette échappée des usages et des données sont en effet un affaiblissement de l’ESR. La perte d’attractivité provoquerait une baisse encore accrue des moyens publics, et un délaissement des étudiants, à moitié présents même inscrits, et engagés fermement dans des communautés d’apprentissage externalisées.

Pour ne pas avoir de fantômes dans les amphis, nous avons besoin d’un enseignement qui s’appuie sur des services qui sont à l’état de l’art des pratiques ordinaires. Nous convenons tout à fait que consulter des cours en ligne n’est pas automatiquement un acte d’apprentissage. Nous avons la conviction que l’ESR doit garder toute sa primauté, et c’est dans cet esprit que nous insistons sur le sérieux de l’alerte. L’échappée serait d’autant plus dommageable si des illusions provoquaient une détérioration du niveau de formation de nos contemporains alors que l’objectif fixé par la StraNES est sa très nette amélioration, en quantité et en qualité. C’est toute la présence de la science française dans le monde qui est en question dans la résistance positive à la désintermédiation.

Licence : CC by-sa

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