Innovation Pédagogique et transition
Institut Mines-Telecom

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Télécollaboration pour développer les compétences culturelles et linguistiques

Ce compte-rendu d’expérience décrit comment les compétences linguistiques, interculturelles et de communication en langue étrangère d’étudiants d’IUT peuvent être améliorées par le biais de la télécollaboration. L’évaluation du dispositif permet d’affirmer qu’ils sont actifs, impliqués dans leurs apprentissages, et qu’ils développent leur autonomie et leur motivation par la mesure des progrès réalisés.

Mots-clés : Télécollaboration, autonomie, motivation, mobilité, TICE.

Laurence de Gruil1, Vicky Leahy2, Catherine Couturier3

1 Univ Artois, IUT Béthune, F-62000 Arras, France
2 Dundalk Institute of Technology, Dundalk, Irlande
3 Univ Lille Nord de France, F-59000 Lille, France
Univ Artois, RECIFES, EA 4520, F-62000 Arras, France


Un article publié au VIIIe Colloque des Questions de Pédagogie dans l’Enseignement Supérieur, Brest, 17, 18 et 19 Juin 2015.

I. INTRODUCTION

Cet article rend compte d’une expérience d’enseignement par télécollaboration qui permet à nos étudiants de communiquer avec des locuteurs natifs de la langue qu’ils apprennent, dans des contextes authentiques et vivants. Il s’agit d’un projet bilingue qui met en relation des étudiants de première année d’un DUT de Chimie de l’IUT de Béthune, apprenants d’anglais, et des étudiants irlandais de première année de licence de Commerce, Mercatique, Gestion Hôtelière et Evènementiel du Dundalk Institute of Technology (DKIT) qui sont eux, apprenants de français. Nous présentons tout d’abord le contexte et la problématique, puis les origines du dispositif pédagogique et ses caractéristiques principales et terminons par un bilan critique et des perspectives d’amélioration.

II. CONTEXTE ET PROBLEMATIQUE

Les étudiants de l’IUT de Béthune sont issus d’un baccalauréat scientifique ou technologique et étudient l’anglais depuis environ huit ans. Ils ont un niveau d’anglais s’échelonnant de A2 pour beaucoup d’entre eux (utilisateur usuel) à B2 (utilisateur indépendant) selon le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues. L’apprentissage de l’anglais n’a généralement pas été leur priorité durant leur scolarité antérieure. Or, ils auront à communiquer et travailler de manière efficace avec des interlocuteurs de culture différente dans leur future vie professionnelle. La question que l’enseignant de langue se pose alors est comment inciter et motiver les étudiants à s’investir dans leur apprentissage de la langue étrangère, sachant qu’ils ont besoin de mettre en pratique pour apprendre (learning by doing). Tous les étudiants de l’IUT doivent effectuer, au cours de leur deuxième année, un stage de trois mois en entreprise, en France ou à l’étranger, pour valider leur diplôme. Il faut savoir qu’en moyenne, la mobilité européenne des étudiants est estimée à 4,5% et que l’objectif est d’atteindre les 20% en 2020. Lors d’une mobilité enseignante Erasmus au DKIT, j’y ai rencontré une enseignante de français qui rencontrait les mêmes difficultés, c’est-à-dire rendre son enseignement plus concret afin de motiver ses étudiants et les inciter à effectuer leur stage de troisième année à l’étranger. Même si l’anglais est la langue de communication professionnelle internationale, elle n’est pas suffisante au regard de la situation économique actuelle en Irlande, sachant que de plus en plus de diplômés auront à travailler à l’étranger ou avec des collaborateurs de nationalité étrangère. Nous avons donc décidé de mettre en place une télécollaboration entre nos étudiants. C’est la quatrième année de vie du dispositif. L’anglais est une matière obligatoire pour les étudiants de l’IUT de Béthune à raison de soixante heures de cours par an. L’apprentissage du français est une matière optionnelle pour les étudiants irlandais, à raison de quatre heures par semaine. Ils ont précédemment étudié le français pendant cinq ans au lycée. Nous avons ciblé cet échange pour les étudiants de première année, afin de les encourager à effectuer leur stage de deuxième année et/ou de troisième année à l’étranger.
La télécollaboration peut se définir comme étant l’application d’outils de communication numériques mettant en relation des classes d’apprenants de langue étrangère géographiquement éloignées, afin de développer leurs compétences linguistiques et interculturelles par le biais de tâches et projets collaboratifs (Guth, Helm and O’Dowd, 2012). Elle permet aux étudiants de développer leur compétence linguistique, notamment en termes de fluidité de la langue (communication écrite et orale), d’expansion du lexique, de syntaxe et de grammaire (Belz et Kinginger, 2002). L’ouverture culturelle étant un élément indissociable de l’apprentissage et de la compréhension d’une langue étrangère (Byram et Fleming, 1998), les étudiants ont l’opportunité de comparer leur mode de vie et leur approche de différents évènements liés à leur histoire en tant que citoyens européens. Corbett (2010) souligne l’apport culturel de l’internet dans la classe de langue de par la possibilité de mettre en place de nombreuses situations de communication authentiques ou semi-authentiques permettant la comparaison de différentes pratiques culturelles. L’apprentissage collaboratif rend les étudiants actifs et investis, dans la mesure où ils ont à discuter, échanger leurs idées et les négocier. C’est un échange basé sur la réciprocité et l’autonomie, ce qui renforce leur motivation et les rend acteurs de leur formation (Dooly, 2008). Les étudiants qui ont fourni peu d’efforts reconnaissent qu’ils n’ont pu améliorer leur compétence linguistique et/ou culturelle. C’est également un moyen pour les étudiants de se familiariser avec les outils numériques qui leur seront utiles dans leur vie professionnelle à venir. De plus, la mobilité virtuelle peut également conduire à la mobilité physique, donnant la possibilité aux aspirants à la mobilité d’établir et développer des contacts avec des étudiants vivant dans leur futur lieu de stage, les préparant non seulement à la difficulté de se trouver à l’étranger loin de leurs proches mais aussi leur permettant de nouer des contacts sur place, facilitant ainsi leur intégration (Guth, Helm et O’Dowd, 2012). Enfin, la télécollaboration peut aussi représenter une alternative pour les 80% d’étudiants qui n’ont pas la possibilité de participer à des programmes de mobilité physique, que ce soient pour des raisons financières ou personnelles.

III. PRINCIPALES CARACTERISTIQUES DU DISPOSITIF

Ce projet vise à développer les compétences linguistiques et interculturelles des étudiants ainsi que leur compétence de communication en ligne avec des partenaires étrangers ; il veut également leur donner confiance en leur capacité à communiquer en langue étrangère et envie d’effectuer leur stage à l’étranger. Ce projet se déroule sur une année universitaire (semestres 1 et 2). Il est totalement intégré dans le programme des étudiants irlandais et compte pour 10 % de la moyenne du semestre, ce qui est aussi le cas pour les étudiants français. Néanmoins, pour ces derniers, il s’agit d’un projet tuteuré basé sur le volontariat et se déroulant au laboratoire de langue ou de chez eux, le jeudi après-midi, demi-journée libre à l’IUT. Une séance mensuelle en groupe est préconisée afin de préparer les discussions avec les correspondants irlandais. Tous les étudiants ont un correspondant et doivent se contacter chaque jeudi. Ils ont tous reçu en début d’année le calendrier des séances avec les tâches à accomplir. Chaque séquence suit le modèle suivant : a) Explicitation du thème choisi et préparation en classe (par exemple présentations individuelles, mon premier trimestre à l’université, présentation de régions, fêtes nationales, commémorations première guerre mondiale, présentation d’un film…) ; b) Expression écrite (questions/réponses) dans la langue étrangère étudiée par messagerie instantanée, les étudiants devant se corriger mutuellement (lexique, syntaxe, grammaire), en garder trace et rédiger ensuite un résumé de la séance dans la langue d’apprentissage ; c) Enregistrement vocal du résumé de la séance puis envoi au correspondant pour correction (vocabulaire, grammaire, syntaxe et prononciation) ; d) Visioconférence pour une conversation plus spontanée. Chaque activité se termine par la rédaction, en langue maternelle d’une réflexion personnelle permettant un retour sur l’apprentissage ainsi que la mesure des progrès réalisés (ce que j’ai appris, ce que j’ai aimé, ce que j’ai regretté, ce qu’il me reste à faire …). Tous les travaux réalisés sont déposés dans une application de partage de fichiers en ligne. Chaque étudiant y a son dossier personnel (e-portfolio), qu’il nourrit régulièrement et qui est consultable par tous les acteurs du projet. L’évaluation des apprentissages se déroule en deux temps : évaluation de l’e-portfolio (assiduité, travaux effectivement réalisés avec corrections, respect des consignes et du calendrier) puis en fin de semestre, présentation orale en langue cible d’un thème travaillé (restitution orale permettant d’évaluer les progrès linguistiques et la prise de conscience culturelle). La phase finale du dispositif consiste en un séjour de quatre jours en Irlande qui permet aux étudiants de se rencontrer et de concrétiser l’échange réalisé pendant toute une année [1].

IV. BILAN CRITIQUE ET PERSPECTIVES

Nous avons mis en œuvre une démarche quantitative et qualitative pour mesurer la perception du dispositif par les étudiants eux-mêmes. Un questionnaire d’évaluation a été soumis aux deux groupes par voie électronique [2] à l’issue du projet. Parmi le groupe de 18 étudiants français, 12 y ont répondu ainsi que 8 étudiants irlandais issus du groupe de 14. Ce questionnaire propose des affirmations qu’il faut apprécier sur 4 niveaux (« je suis complètement d’accord » à « je ne suis absolument pas d’accord »). Il comprend 3 parties : la première partie concerne les appréciations générales (« j’ai apprécié le projet et je pense qu’il était positif », « ce projet a contribué à mon développement personnel » etc…) ; la seconde partie propose 4 affirmations sur les évaluations et le travail à faire (« je savais exactement ce que j’avais à faire », « l’enseignante m’a suffisamment aidé » etc…) ; la troisième partie comprend 6 affirmations sur la perception des apprentissages (« je sais mieux communiquer avec des étrangers », « j’ai plus confiance en ma capacité à communiquer en anglais » …). D’autre part, des entretiens semi-directifs, de trente minutes environ, ont été menés avec 3 étudiants français et 5 étudiants irlandais, en présentiel ou par téléphone. Une grille d’entretien proposait des questions relatives au contexte, à l’environnement, au cadre temporel, à l’évocation d’un moment singulier tel que le premier cours, aux actions du sujet. Enfin, un questionnaire électronique de 10 questions ouvertes a été soumis à chacune des deux enseignantes.
Les réponses aux questionnaires sont similaires pour les deux groupes d’étudiants. Elles font apparaitre une satisfaction certaine quant au projet dans son ensemble, la façon dont il est organisé, le plaisir à communiquer avec un étudiant étranger, et la contribution du projet au développement personnel ou de compétences en communication. Pour les deux groupes, la quantité de travail est perçue comme importante. Une différence sensible, mais prévisible sans doute, concerne le souhait de faire un stage à l’étranger, qui n’est vrai que pour 25% des étudiants irlandais, contre 83% des étudiants français [3]. En ce qui concerne les entretiens avec les étudiants, il ressort que les étudiants français choisissent ce projet pour améliorer leur niveau de langue, la présence d’un correspondant et le voyage constituant également de puissants leviers de motivation : « … je voulais améliorer mon anglais … et on m’a parlé du voyage en Irlande c’est un voyage que je voulais faire depuis très très longtemps… » « …je voulais avoir un correspondant pour parler avec lui en anglais, pour pouvoir améliorer mon anglais, pouvoir parler … ». Il est intéressant de noter que ce projet n’est pas réservé aux bons étudiants, Marc [4] déclarant ne pas être « du tout quelqu’un de fort en anglais ». Par contre, tous trois déclarent avoir fait des progrès, et être motivés pour continuer à travailler l’anglais « …améliorer mon anglais ça a fonctionné, mon vocabulaire s’est amélioré et au niveau des projets on a appris un peu plus sur la culture irlandaise » « …j’aurais aimé continuer à avoir des conversations avec mon correspondant mais ça ne sera pas possible… j’aimerais bien travailler plus mon anglais pour passer le CLES pour avoir quelque chose en plus sur mon CV… » « …ce que je voulais c’était trouver un moyen pour essayer d’augmenter légèrement mon niveau en anglais, je trouvais que c’était un moyen pour essayer d’ouvrir une porte … je n’ai pas réellement augmenté mais ça l’a ouverte et cette année je bosse encore plus en anglais… ». Pour Fabrice, le projet est différent du cours d’anglais qui s’appuie sur un programme et prévoit essentiellement des études de texte. Les interviewés déclarent avoir bien compris dès le départ ce qui était attendu, l’organisation des séances comme la teneur des évaluations. En ce qui concerne le déroulement lui-même, certains problèmes sont relevés : les deux groupes n’ont pas les mêmes dates de congés de part et d’autre, les conditions d’enregistrement des séquences ne sont pas optimales… En ce qui concerne les étudiants irlandais, le défi et quelques craintes au départ sont cités « C’était un défi… mais j’ai beaucoup aimé parler et voir l’application pratique de la langue, plutôt que simplement lire et écrire, mais aussi avoir un feedback d’un Français ». Mais plusieurs déclarent ne plus avoir peur d’essayer de parler français à la fin du projet. Finalement quand ils ont à expliquer quelles sont les clés de succès de ce type de projet, c’est le contact humain qui est cité pour les étudiants français comme irlandais « … ma correspondante a été une très grande aide et je ne pense pas avoir loupé quelque chose d’essentiel…C’est le contact humain, il n’y a pas de recette, ça a bien collé tout de suite… » .
Enfin, en ce qui concerne les deux enseignantes qui animent ce dispositif, il ressort que le fait que les étudiants soient volontaires augmente leur implication, y compris pendant les cours de langue hors projet. Le fait que des étudiants faibles décident d’y participer, et progressent visiblement, est incontestablement un atout. Le fait que les étudiants irlandais n’aient plus peur de parler français à l’issue du projet est également un point très important. Deux types de problèmes peuvent survenir : des problèmes techniques pour la visioconférence ainsi que l’implication insuffisante de certains étudiants, même très peu nombreux, ce qui pénalise alors le correspondant. C’est un projet qui demande pour ces deux enseignantes un investissement important et une disponibilité certaine, tant en amont que pendant le projet, et la reconnaissance de l’institution est une clé de pérennisation essentielle.

RÉFÉRENCES

Belz, J., Kinginger, C. (2002). “The cross-linguistic development of address form use in telecollaborative language learning : Two case studies.” Canadian Modern Language Review, 59(2), pp.189-214.

Byram, M., Fleming, M.  (1998). Language learning in intercultural perspective. Cambridge : Cambridge University Press.

Corbett, J. (2010). Intercultural language activities. Cambridge : Cambridge University Press.

Dooly, M.  (ed.) (2008). Telecollaborative language learning. A guidebook to moderating intercultural collaboration online. Bern : Peter Lang.

Guth, S., Helm, F. and O’Dowd, R. (2012) : University Language Classes Collaborating Online, A Report on the Integration of Telecollaborative Networks in European Universities

Licence : Pas de licence spécifique (droits par défaut)

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