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« Quoi de neuf docteur ? » : la valorisation du doctorat, un levier pour l’avenir

Un article repris de http://theconversation.com/quoi-de-...

On a beaucoup parlé de la question de la sélection en master ces dernières semaines, mais il est un autre sujet qui constitue une arlésienne française : la valorisation du doctorat auprès du monde socio-économique.

En 2012, le rapport final des Assises de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur ambitionnait de

« reconnaître à sa juste valeur la qualité de la formation doctorale, la plus haute des formations universitaires, la plus accomplie des formations par la recherche, et le diplôme haut de gamme et reconnu comme tel dans le monde entier. »

Rien que ça ! En a donc découlé l’article 35 de la loi « Fioraso » de l’été 2013, qui précise que le doctorat « vaut expérience professionnelle de recherche qui peut être reconnue dans les conventions collectives » : les docteurs n’ont pas uniquement vocation devenir d’enseignants-chercheurs, mais aussi à alimenter les entreprises en compétences.

Il n’y avait plus qu’à … Mais les choses ne sont pas si simples dans un pays où le doctorat est en mal d’affection.

Le faible attrait du doctorat pour les jeunes français

Avec près de 61 000 inscrits en doctorat en 2014 d’après l’INSEE, les doctorants représentent 4% des effectifs des « usagers » de l’Université française. Parmi ces doctorants, 48% sont des femmes (taux de féminisation inférieur par rapport aux effectifs de licences et masters). Alors que les étudiants étrangers représentent 12% de l’ensemble des effectifs étudiants, 41% des doctorants sont étrangers d’après une étude de Campus France.

Que dire de ce chiffre ? Une première lecture peut consister à se satisfaire de la forte attractivité du doctorat français à travers le monde. Une seconde lecture peut consister à regretter que les jeunes français soient peu nombreux à être tentés par le doctorat.

Une étude du CEREQ de 2015 permet en outre de constater que malgré la situation économique, les diplômés de doctorat présentent une situation d’emploi plus favorable (conditions de rémunération et taux de chômage), trois ans après la soutenance, que les diplômés de master, et ce pour la première fois.

Une autre statistique du CEREQ vient pourtant interroger l’attractivité du doctorat pour les jeunes français : 55% des employés dans la recherche privée sont titulaires d’un diplôme d’ingénieur et non d’un doctorat. Alors que la recherche croissante d’une certaine sécurité dans les parcours et les cursus chez les jeunes (et leurs familles) constitue une évolution liée à la crise, est-ce à dire que le doctorat n’offre pas de garanties suffisantes quant aux carrières auxquelles il ouvre, notamment hors du monde académique ? Si oui, à quoi cela est-il dû ?

Statut hybride

En effet, dans l’imaginaire collectif français, « à moins de vouloir faire de la recherche académique, pourquoi faire un doctorat » ?

Trois ans de plus à travailler, parfois sans financement, à un exercice inédit, avec en contrepartie un statut hybride et ambigu d’étudiant/jeune chercheur sans véritable considération ; alors que des études dans une « Grande École » permettent une insertion professionnelle quasi garantie, et ce même dans la recherche privée !

Dans la conception à la française de l’enseignement supérieur et de la recherche, l’élève ingénieur est appelé à intégrer l’élite de notre pays (certains proposent même de le doter d’un « ordre »), alors que le doctorant lui ne serait qu’un hyper-spécialiste inadapté au monde économique actuel. Une conception bien différente, voire diamétralement opposé, prévaut pourtant en Allemagne : celle du Herr Doktor, dont le renom n’a rien a envier à celui nos ingénieurs en France !

Doute et intelligence collective

Après cet interlude germanique (tout de même plus proche de la façon dont le monde voit le Ph.D), revenons à notre pays. Dans Elite Academy (2013), le journaliste anglais Peter Gumbel proposait un regard acerbe sur « la France malade de ses grandes écoles ». Trop acerbe diraient certains, mais il a au moins le mérite d’interpeller quant à l’intérêt de renouer avec la pratique raisonnée du doute et de l’intelligence collective dans notre système éducatif. Deux pratiques constitutives de l’activité de recherche, que les docteurs peuvent contribuer à apporter aux entreprises. Alors, que faire ?

L’État a annoncé une succession d’initiatives : le secrétaire d’Etat Thierry Mandon a annoncé durant l’été 2015 un plan « jeunes docteurs », et a ajouté il y a quelques semaines sur France Culture que son ministère se devait d’être exemplaire sur la question de l’emploi des docteurs. Il prépare par ailleurs une refonte des textes réglementaires relatifs au doctorat.

Cet intérêt pour le doctorat s’inscrit dans le contexte plus global de la course mondiale à l’innovation. Il ne s’agit pas que de développer de nouveaux produits ou concepts, il s’agit aussi de faire évoluer des process, des stratégies, des organisations.

Graal

Sanctionnant une formation à la recherche par la recherche, le diplôme de doctorat constitue un graal reconnu à travers le monde sous le vocable de Ph.D (pour Philosophiæ Doctor).

Si la méprise entre « doctorat » (le titre) et la « thèse » (le travail qui permet l’obtention du titre) conduit souvent à réduire les docteurs à des hyper-spécialistes, ces derniers développent pourtant des compétences qui peuvent intéresser tous les secteurs d’activité, comme la résilience : faire de la recherche, c’est être confronté à des échecs sur lesquels il importe de capitaliser pour rebondir et réorienter convenablement son travail.

Si cette approche peut faire peur, les chefs d’entreprise en sont pourtant familiers : ils savent que leur activité comporte aussi sa part de risques et d’échecs. Gestion du temps, capacité à communiquer, à travailler en équipe … Autant de compétences utiles aux organisations publiques ou privées.

Le doctorat peut donc être vu comme l’une des clefs qui doit permettre à la France de tenir son rang dans la compétition internationale, et en particulier sous l’angle du rapprochement entre recherche et monde de l’entreprise.

Un rapport paru en octobre 2015 est d’ailleurs venu le rappeler, avec le dispositif emblématique que sont les conventions CIFRE qui permettent à des entreprises d’être soutenues par l’Etat pour faciliter l’intégration de doctorants préparant leur thèse dans le cadre des fonctions qu’ils occupent au sein de l’entreprise.

Un tel dispositif est gagnant-gagnant : le doctorant y trouve un financement et un terrain pour sa recherche, son laboratoire peut y développer son programme de recherche, l’entreprise bénéficie de la présence d’un jeune chercheur par ailleurs encadré par son laboratoire.

Incitation à embaucher des docteurs

S’ajoute aux CIFRE un éventail d’autres aides : statut de Jeune Entreprise Innovante (JEI) et Crédit d’Impôt Recherche (CIR) en constituent quelques illustrations.

Calculé à hauteur de 30% des dépenses de R&D de l’entreprise, le CIR valorise d’ailleurs du simple au double le primo-recrutement en CDI d’un jeune docteur au sein d’une entreprise pendant ses deux premières années de contrat, ce qui constitue une belle incitation à embaucher des docteurs.

Le tableau ci-dessus montre en quoi le CIR peut inciter les entreprises à recruter des jeunes docteurs, qu’ils soient ou non affectés exclusivement à de la R&D.

S’y ajoutent d’autres aides : statut de JEI, Crédit d’Impôt Compétitivité-Emploi (CICE) qui sont décrites dans le graphique suivant…

Si la multiplicité de ces dispositifs peut nuire à leur lisibilité (ce que suggère un rapport récent de France Stratégie), le déficit de recours aux docteurs peut aussi provenir des représentations en vigueur au sein du monde socio-économique, représentations par ailleurs susceptibles de se reproduire et d’influencer les choix de formation des étudiants.

Le doctorat : un investissement

La question de l’emploi des docteurs dans les entreprises ne peut donc se résumer à la question de leur coût : si ce dernier peut être réduit par des aides, il convient aussi, et d’abord, de voir l’emploi des docteurs comme un investissement susceptible d’aider au développement de l’entreprise.

De même, il faut que les doctorants soient sensibilisés et formés aux poursuites de carrières possibles dans le privé, ainsi que leur encadrants.

Mieux valoriser le doctorat n’est pas un enjeu corporatiste, ni même disciplinaire (notre argumentaire ne faisant pas plus références aux « sciences dures » qu’aux « sciences humaines et sociales ») : il s’agit de maintenir la France dans la course internationale à la connaissance, une course dans laquelle le Ph.D joue un rôle majeur partout dans le monde.

Cette nécessaire valorisation peut certes passer par des aides aux entreprises, mais elle implique surtout un long travail de conviction auprès du monde économique quant à ce que les docteurs peuvent apporter aux entreprises. Ceci implique aussi que l’État et les trois fonctions publiques en soient exemplaires.

The Conversation

Romain Pierronnet est doctorant, dans le cadre d’une convention CIFRE auprès de la société Adoc Mètis.

Ludovic Martinet est membre de Fédélor.

Licence : CC by-nc

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