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Les évaluations des enseignements par les étudiants et les stéréotypes de genre

11 février 2016 par Anne Boring Veille 1608 visites 0 commentaire
Une étude récente confirme que les étudiants évaluent systématiquement mieux les hommes que les femmes, alors que rien ne semble indiquer qu’ils apprennent mieux avec des enseignants hommes.

Par Anne Boring.
Postdoctoral research fellow, Sciences Po.


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Un article issu du site https://theconversation.com/


Les évaluations des enseignements par les étudiants peuvent avoir deux objectifs : améliorer la pédagogie des enseignants et servir de base pour les décisions de recrutement ou de promotion du personnel enseignant dans les établissements d’enseignement supérieur.


Les étudiants évaluent mieux les enseignants hommes que les enseignants femmes.

Mychele Daniau/AFP

Ces évaluations sont souvent composées d’une partie quantitative incluant plusieurs questions fermées, permettant d’aboutir à un score de satisfaction globale. Il peut être alors tentant de confondre ce score avec une mesure de la qualité d’un enseignement.

En réalité, ce score mesure bien d’autres choses. Alors qu’il n’est pas significativement corrélé avec l’apprentissage (mesuré par le niveau atteint par un étudiant en fin de semestre), il est corrélé avec des biais de genre de la part des étudiants. Il est aussi fortement corrélé avec les notes de contrôle continu.

Les hommes mieux évalués que les femmes

Une étude récente, que j’ai menée avec Kellie Ottoboni et Philip B. Stark (chercheurs à Berkeley), confirme et développe les résultats de deux études sur le sujet, l’une menée par Lillian MacNell, Adam Driscoll et Andrea N. Hunt aux États unis et l’autre que j’avais menée en France.

Ces analyses montrent que les étudiants évaluent systématiquement mieux les hommes que les femmes, alors que rien ne semble indiquer que les étudiants apprennent mieux avec des enseignants hommes.

Dans le contexte français, la corrélation est même globalement négative, bien que faiblement significative, entre la note obtenue par un étudiant à l’examen final et le fait d’avoir eu un enseignant homme au cours du semestre.

Dans les évaluations, les étudiants expriment des attentes et des exigences différentes envers les hommes et les femmes.

Dans le contexte français, je montre dans l’étude d’origine que les étudiants évaluent les enseignants en partie en fonction de stéréotypes de genre.

Dans le contexte américain, les chercheurs de l’étude d’origine montrent l’existence de ces biais de façon flagrante. Lillian MacNell, Adam Driscoll et Andrea N. Hunt ont créé un contexte expérimental dans lequel des étudiants suivaient un cours en ligne sans contact direct avec leurs chargés de TD. Deux chargés de TD, un homme et une femme, s’étaient répartis quatre groupes d’étudiants de façon à ce que chacun enseigne à deux groupes : un groupe sous sa propre identité et l’autre groupe sous l’identité de l’autre enseignant.

Ainsi l’un des groupes pensait avoir un enseignant homme, lorsqu’il s’agissait en réalité d’une femme et un autre groupe pensait avoir une enseignante femme, lorsqu’il s’agissait en réalité d’un homme.

Les deux enseignants se sont coordonnés pour être synchronisés sur l’ensemble de leurs quatre groupes : dans l’attention portée à leurs étudiants, la correction des devoirs, etc. Le résultat de l’expérience est particulièrement révélateur : l’enseignante qui s’était faite passer pour un homme a été évaluée de la même façon que l’enseignant homme qui enseignait sous sa vraie identité.

A l’inverse, les étudiants ont donné de moins bonnes évaluations à l’enseignant homme qui s’était fait passer pour une femme, ainsi qu’à la femme qui avait enseigné sous sa propre identité.

Différences de traitement

Ces différences de traitement concernent même des critères d’enseignement qui devraient être objectifs.

Par exemple, alors que les deux chargés de TD ont rendu les travaux des étudiants des quatre groupes exactement en même temps, les étudiants qui pensaient avoir une enseignante femme lui ont donné de significativement moins bons scores sur le critère de ponctualité de rendu des travaux !

Un autre biais important dans les évaluations concerne la corrélation fortement significative entre la note de contrôle continu et le score d’évaluation. Les enseignants souhaitant obtenir de « bonnes évals » peuvent le faire en donnant des notes élevées en cours de semestre. La dérive inflationniste des notes à l’université prend probablement en partie racine dans l’utilisation de ces évaluations dans les décisions pouvant affecter la carrière des enseignants.

Si les évaluations ne sont pas une bonne mesure de la qualité d’un enseignement, alors que mesurent-elles ? Ces évaluations placent en fait les étudiants dans la position de consommateurs d’une offre d’enseignement. Le questionnaire qu’ils complètent est donc un questionnaire de satisfaction de la clientèle, où les étudiants évaluent le plaisir qu’ils ont eu à aller en cours et suivre un enseignement.

Bien entendu, le plaisir fait partie des facteurs qui motivent un étudiant à s’investir dans un enseignement et donc à fournir les efforts nécessaires à l’apprentissage. Cependant, le fait de générer du plaisir pour un enseignement n’est qu’une composante de la qualité de cet enseignement.

Un étudiant peut prendre plaisir à suivre un enseignement (notamment si l’enseignant lui renvoie une image positive de lui-même par des notes élevées), sans pour autant que le contenu académique soit d’un niveau d’exigence suffisant.

A l’inverse, un enseignement particulièrement exigeant peut générer un moindre plaisir, mais mener à un apprentissage de qualité. En résumé, toutes les combinaisons sont possibles : un enseignement de grande qualité avec des scores d’évaluation faibles ou élevés, de même qu’un enseignement de moindre qualité avec des scores d’évaluation faibles ou élevés. Bref, les scores d’évaluation informent peu sur la qualité réelle d’un enseignement…

Améliorer les pratiques pédagogiques

Tout n’est pas à jeter dans le système d’évaluations, bien au contraire. Par exemple, les commentaires qualitatifs que les étudiants remplissent peuvent, sous certaines conditions, aider un enseignant à améliorer ses pratiques pédagogiques (bien que ces commentaires soient eux aussi en partie biaisés et fondés sur des stéréotypes de genre ). En revanche, les universités ne devraient pas croire qu’il est possible de quantifier la qualité d’un enseignement, dans la mesure où l’enseignement est intrinsèquement une activité difficilement quantifiable.

La plupart des enseignants sont très demandeurs de suggestions pour améliorer leurs enseignements et ne sont pas opposés en soi aux évaluations. Leur refus d’être évalués selon des critères qui ne mesurent pas réellement la qualité est cependant légitime.

De nombreux enseignants restent opposés à l’utilisation des évaluations pour les décisions ayant un impact sur les carrières académiques, car ils s’opposent à une interprétation excessive des évaluations. Ces enseignants considèrent que ce n’est pas parce que le système d’évaluation par les étudiants est facile et peu coûteux à mettre en place que cela veut dire que c’est le meilleur système pour apprécier la qualité d’un enseignement.

D’ailleurs, ce ne sont pas forcément les enseignants les moins bien évalués qui s’opposent à l’utilisation excessive de ce système d’évaluation.

Des alternatives existent, telles que l’évaluation par les pairs ou par des observateurs qualifiés, l’évaluation par les étudiants quelque temps après la fin de l’enseignement (afin que les étudiants aient une meilleure idée de l’apport de l’enseignement) ainsi que l’utilisation de mesures de l’apprentissage des étudiants.

Aucun système n’est parfait et les universités ne devraient probablement pas dépendre d’un seul outil, d’autant que celui utilisé peut avoir des conséquences importantes sur les carrières, notamment aux États-Unis où les carrières des enseignants-chercheurs dépendent en partie de leurs évaluations (par exemple pour les chercheurs en tenure track).


Licence : CC by-nd

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