Innovation Pédagogique et transition
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Les innovations technologiques sont-elles à l’origine des nouveaux rythmes et temporalités de l’université contemporaine ?

19 décembre 2016 Retours d’expériences 622 visites 0 commentaire

Les changements inhérents aux usages des nouvelles technologies dans les situations d’enseignement et d’apprentissage à l’université bouleversent les rythmes et les temporalités tant des tâches professorales enseignantes que des exercices d’apprentissage des étudiants.

Cette étude s’intéresse à l’interrelation entre la question du rapport aux temps et les pratiques enseignantes innovantes à travers l’auscultation d’expériences de professeurs qui s’engagent dans l’implantation d’innovations pédagogiques. Pour traiter cette question, les innovations pédagogiques ont fait l’objet d’une recherche qualitative.


Un article d’Anne Mai Walder repris de la revue Distances et médiations des savoirs, une revue sour licence CC by sa


La collecte de données s’est effectuée au moyen d’un entretien de groupe et de 32 entrevues individuelles semi-structurées auprès de professeurs de carrière d’une institution fortement engagée en recherche. L’analyse des données opérée par théorisation ancrée met en lumière les différentes temporalités en contexte d’innovation pédagogique ainsi que les origines et les conséquences des nouvelles technologies sur ces dernières.

Finalement, il semble que les innovations pédagogiques utilisant les nouvelles technologies répondent aux nouveaux rythmes et temporalités de nos sociétés, mais en engendrent d’autres également.

1. L’université dans un monde qui s’accélère

1. L’université contemporaine poursuit sa coévolution, une « mutation civilisationnelle profonde » (Baillargeon, 2011, p. 10), transformant son rôle dans la société actuelle. Aux États-Unis, des chercheurs envisagent une réforme de l’enseignement supérieur afin de maintenir leur suprématie de leader (Wildavsky, Kelly et Carey, 2011).

2. Massy (2011) annonce en outre la nécessité d’exploiter la puissance des nouvelles technologies. Selon les travaux de Van der Werf et Sabatier (2009), presque un quart des participants, des experts qui façonnent l’avenir des universités et des membres de comités officiels des admissions, estime que les étudiants prendront 20 à 40 % de leurs cours en ligne d’ici 2020, alors que 9,5 % envisagent que ce taux sera bien plus élevé.

3. Dans son avis au ministre de l’Éducation de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le Conseil supérieur de l’éducation (CSÉ) (2015) apporte son soutien aux activités de formation à distance au sein de l’enseignement supérieur et rejoint Albero et al. (2006), pour qui l’amélioration de la qualité de l’apprentissage et l’accès à l’enseignement au travers de dispositifs flexibles sont à l’origine du développement de l’apprentissage en ligne, au regard de l’accessibilité des études et de la viabilité d’une offre de formation universitaire québécoise de qualité. Au demeurant, le CSÉ (2015) requiert une formation à distance conciliant trois principales finalités : l’accessibilité, la qualité et la viabilité. Dans ses recommandations, le CSÉ exhorte les universités à prendre en considération les caractéristiques des divers modes de formation en adaptant les conditions de travail des enseignants et en les invitant à favoriser des échanges sur les particularités de la formation à distance au sein du corps professoral et enseignant concerné.

4. Ce contexte présuppose des innovations tant organisationnelles que pédagogiques afin d’adapter l’université aux réalités de la société actuelle dans un monde qui s’accélère et où les distances sont abolies par des outils technologiques de plus en plus accessibles, performants et rapides.

5. L’accompagnement, d’apprentissage par problème ou par projet, de portfolios ou encore d’études de cas, lors de stages par exemple, serait une réponse aux attentes de l’enseignement supérieur à l’égard du besoin socio-économique de former de jeunes adultes à l’autonomie et d’entreprendre une réforme majeure du système universitaire occidental pour une réussite supérieure des étudiants dans leurs études, puis à leur arrivée sur le marché du travail (Raucent, Verzat et Villeneuve, 2010).

6. Dès lors, l’innovation pédagogique (IP) offre aux enseignants une alternative face aux défis de l’enseignement et de l’apprentissage, surtout à travers ses rôles d’accompagnateur de l’étudiant et de facilitateur de l’apprentissage et de l’enseignement, du changement et de l’adaptation (Walder, 2016).

7. Pour cette recherche, l’IP, dont les nouvelles technologies font partie, est entendue comme tout enseignement dispensé de manières différentes de la pratique traditionnelle du cours magistral, soit toute action nouvelle visant à l’amélioration de l’apprentissage des étudiants. Néanmoins, les IP, notamment l’intégration à des fins pédagogiques de technologies de l’information et de la communication (TIC), modifient l’enseignement et s’envisagent même comme un « véritable changement de pratique » (Karsenti et Grégoire, 2015, p. 8). Elles transforment les processus d’apprentissage des étudiants (Holmgren, 2015) qui sont à l’origine de nouveaux rythmes et temporalités aussi bien pour les enseignants que les étudiants.

2. Cadre temporel universitaire

8. Les divers types de temporalités s’articulent autour des temps physiques, des temps vécus et des temps sociaux (Dubar, 2014). Les temps physiques se rapportent à l’étude de la mesure physique du temps et de leurs prédictions.

À travers le développement de la civilisation, la maîtrise du temps compté signifiait déjà pour les Européens une preuve de modernité (Chiffoleau, 2014). Les temps vécus, de nature biologique, physiologique ou psychique, concernent la notion humaine du temps et se déclinent sous deux formes : la temporalité vécue inconsciente ou réactive et la temporalité vécue consciente ou créatrice (Dubar, 2014). Les temps vécus s’avèrent empreints d’élasticité, d’émotions, guidés par le désir et emplis de volontés (Buser et Debru, 2011). Les temps sociaux sont, eux, de nature historique et se divisent, par exemple, en temps de travail, d’éducation, familial ou libre. Gurvitch (1969) introduit l’idée de pluralité des temps sociaux pour tout groupe ou toute activité sociale existant dans un temps spécifique qui lui appartient.

9. Ainsi, malgré l’apparence d’une certaine uniformité du temps soutenu par l’usage du calendrier grégorien, la définition physique du temps universel et les nouveaux rythmes des réseaux sociaux (Chiffoleau, 2014), les temps se construisent à travers les pratiques sociales. En bref, les processus sociaux établissent leur propre cadre temporel (Dubar, 2004). Le temps semble être une conséquence d’une pratique qui érige, pour tous les participants d’un groupe, une durée engendrant une identité collective (Bensa, 2001).

10. L’année universitaire varie d’un pays, d’une région et même d’une institution à l’autre. Un tour d’horizon permet d’évaluer les tendances et la diversité des différents rythmes universitaires. L’Universität des Saarlandes en Allemagne scinde son année universitaire en 2 semestres, celui d’hiver d’octobre à mars et celui d’été d’avril à septembre. En 2015, à Paris 1 Panthéon Sorbonne (France), le premier semestre débutait le 14 septembre et s’achevait le 16 janvier 2016, alors que le second s’étalait du 18 janvier au 17 mai 2016, les deux semestres incluant une session d’examen de deux semaines chacune. Les sessions de rattrapages occupent, elles, la période du 6 juin au 5 juillet 2016. L’université de Liège, en Belgique, divise l’année en 3 séquences, la première, de septembre à janvier, la seconde, de février à juin et la troisième, plus courte, de juillet à septembre. La particularité de cet agencement réside dans l’organisation différente des sessions. En effet, les deux premières se concentrent sur les activités d’apprentissage clos par des évaluations, alors que la dernière se focalise sur l’évaluation, les activités d’intégration professionnelle et les travaux personnels. L’University of California Los Angeles aux États-Unis répartit son année sur trois sessions de septembre à juin. Celle de l’Université de Montréal (UdeM) au Canada se scinde également en trois périodes.

11. À l’UdeM, les cours de 3 crédits représentent 3 heures de cours magistraux, 1 heure d’exercices en laboratoire et 3 à 6 heures de travail personnel par semaine. En moyenne, un étudiant au baccalauréat suit 5 cours de 3 heures par semaine par trimestre, soit un total hebdomadaire de 15 heures. Un étudiant peut s’inscrire à moins de cours, mais ne peut en dépasser 6 par trimestre. Pour les étudiants de 2e et 3e cycles, les cours sont plus chronophages en travail personnel, soit en moyenne 10 à 15 heures par semaine selon les disciplines et requièrent une plus grande autonomie de recherche. Les étudiants suivent généralement 2 à 3 cours chaque trimestre. Il est important de préciser qu’une semaine d’activités libres régule, en leur milieu, les trimestres.

12. L’enquête 2014 de l’Observatoire de la vie étudiante de Tours en France (Froment, 2014) révèle que le volume horaire hebdomadaire moyen s’élève à 25 heures au 1er cycle pour tous les diplômes confondus. En regard du travail personnel, 10 % des étudiants ayant participé à l’étude déclarent consacrer moins de 2 heures par semaine contre plus de 6 heures pour 45 % d’entre eux.

13. La durée des études renforce également le cadre temporel universitaire. Le baccalauréat, appelé licence en France, s’étale sur 3 ans, le master demande 2 années supplémentaires et le doctorat se complète en 3 ans. Le baccalauréat québécois s’étire de 3 à 4 ans selon les disciplines, la maîtrise requiert également 2 années, nonobstant, au Canada, le doctorat se prolonge en moyenne à 5 ans et 9 mois (Statistique Canada, 2004-2005). Par ailleurs, au Québec, le travail professoral implique un engagement important de la part du professeur qui représente en moyenne 50 heures 30 par semaine, et peut atteindre plus de 53 heures en début de carrière (Dyke et Deschenaux, 2008).

14. À l’ère des mutations sociotechniques, les temporalités sociales se transforment et placent le temps au cœur de la thématique de la formation à distance (Charrier et Lener-Sei, 2011). Lesourd (2009) souligne qu’il est essentiel d’instaurer « une orchestration raisonnablement cohérente de ces mobilités multiples apparaissant comme temps personnels, professionnels, familiaux, universitaires » (p. 91).

15. Assurément, la cadence amplifiée du foisonnement des innovations technologiques (Rosa, 2011) s’impose massivement au sein de l’université. L’introduction de ces innovations – marquée, selon Bourdet (2014), par une interruption de leurs traditions à travers, par exemple, l’utilisation de nouveaux supports de communication comme les forums de discussion ou les tableaux blancs interactifs (TBI) – n’est pas sans effets sur les modes d’apprentissage et d’enseignement. Il souligne la présence d’un public international allant au-delà des réseaux locaux et nationaux, d’espaces nouveaux par structuration personnalisée de la mixité privée et publique, de temporalités inédites (typiquement par les relations asynchrones), des modes d’évaluation à distance individuelle ou autonome puis, en dernier lieu, de la relation éducative nouvelle entre les étudiants et les professeurs, comme le souligne de leur côté Paivandi et Espinosa (2013) en indiquant que les TIC produisent des aspects inédits au regard de la relation éducative, invitant à la création d’une induction différente du pouvoir. En d’autres mots, il s’agit « d’une nouvelle culture relationnelle émergente, ou d’une culture d’enseignant et d’une culture d’étudiant, générées toutes deux par l’usage des TIC et cette présence à distance » (p. 9). Ce concept de nouvelles cultures rejoint l’idée d’un temps social et des processus sociaux instaurant leurs propres cadres temporels (Dubar, 2004). Conséquemment, ces innovations pédagogiques et technologiques semblent s’accompagner d’une évolution du cadre temporel universitaire, partagé par le professeur et les étudiants.

16. En effet, Jaillet (2004) mentionne une dissociation du temps d’apprentissage et du temps d’enseignement dans l’approche par résolution de problèmes et l’utilisation de plateformes de communication informatiques comme les forums.

17. L’autodidaxie individuelle ou collective, effectuée en un épisode à trois temps (le déclenchement, la phase d’autoapprentissage et la conclusion), suscite des sociabilités virtuelles d’apprentissage (Cyrot et Jeunesse, 2013) à travers des relations sociales par l’intermédiaire d’internet. Ainsi, les temps de l’autoformation, de leurs espaces et les sociabilités pourraient être favorisés par les réseaux sociaux virtuels.

18. Des changements s’opèrent également lors d’IP implémentées en salle de classe. L’étude de Karsenti (2016) effectuée auprès de 11 683 élèves du primaire et du secondaire et 1 131 enseignants ayant intégré le TBI en classe déclare que cet outil s’avère très chronophage pour l’enseignant en termes de préparation, en recherche de matériel, à cause de l’apprentissage qu’il nécessite et des ajustements qu’il implique.

2.1 Rythmes et temporalités liés aux étudiants

19. La banalisation de l’entrée à l’université s’installe et l’étudiant d’aujourd’hui n’est plus ce qu’il était, car l’enseignement supérieur est passé de l’élite à la masse (Romainville, 2003) entraînant une conséquence pédagogique capitale au regard des compétences, de la motivation et du rapport aux études, causée par la présence d’un nouveau profil d’étudiants (Romainville, 2000).

20. Les enjeux semblent se situer dans la diversité des nouvelles temporalités découlant de ce changement. Face aux conflits des différentes temporalités liées à l’activité professionnelle, à la formation et à la vie privée, la gestion du temps pour l’étudiant peut s’avérer un agent de réussite comme d’échec (Varga, 2013). En effet, son nouveau profil se distingue par la présence d’adultes animés par un objectif professionnel. Dans ce cas, les étudiants d’hier, avides de connaissances, s’estompent au profit d’apprenants adultes qui suivent une formation universitaire avec un but parfois exclusivement professionnel, renforcé par la nécessité de la « formation tout au long de la vie » (Solar et Hébrard, 2008).

21. L’étudiant d’aujourd’hui n’attache plus la même priorité à ses études. Il partage son temps entre ses activités estudiantines, professionnelles et de loisirs, ce qui semble entraîner un taux d’échec important. Par exemple, le taux de décrochage [1] d’étudiants âgés de 24 à 26 ans en décembre 2005 se monte à 16 % pour le Canada et 11 % pour le Québec (Shaienks, Gluszynski et Bayard, 2008).

22. Sur une journée de 24 heures, il arrive que les temporalités préalablement citées se chevauchent, s’affrontent et plongent même parfois l’étudiant dans une situation de pression psychologique, générée par un mal-être ou un sentiment de culpabilité, menaçant son épanouissement (Varga, 2013).

23. Les programmes de formation offerts à distance répondent aux attentes des publics qui ne peuvent s’engager à une présence physique sur le campus, quelles qu’en soient les raisons (Glikman, 2014). Dans ce contexte, l’étudiant peut devenir un apprenant « constructeur » (Jacquinot, 1999) ou un apprenant « déterminé » (Glikman, 2002) et s’investir activement avec motivation et autonomie en utilisant tous les moyens disponibles afin de réussir ses études tout en démontrant des capacités d’utilisation des outils numériques (Glikman, 2014).

24. Un enseignement soutenu par l’utilisation adéquate des TIC recèle un potentiel de motivation en apprentissage (Viau, 2009). Par exemple, l’utilisation intensive d’une plateforme d’enseignement virtuel améliore la qualité de l’enseignement et favorise un meilleur apprentissage et en quantité plus importante (Pedro, 2005). Nonobstant, Pedro précise :

« les gains apportés par l’utilisation des TIC dans l’enseignement supérieur ne sont pas une conséquence directe de la technologie elle-même ; ils résultent plutôt du fait que l’usage de technologies mène les enseignants à percevoir la nécessité d’une remise en cause des méthodologies d’enseignement et des manières dont ils gèrent l’ensemble du processus d’acquisition de savoirs par les étudiants. » (p. 173)

25. Finalement, les étudiants à distance développent des stratégies qui engendrent un apprentissage autodirigé et des approches plus centrées sur l’apprenant pour défier les contradictions de la formation à distance due à la présence minimale, à l’ambivalence des attentes du professeur, à la répartition du travail d’apprentissage ou encore aux défauts des technologies employées (Holmgren, 2015).

2.2 Rythmes et temporalités liés aux professeurs

26. Les professeurs des universités québécoises fonctionnent en communautés de pratique (Wenger, 2005), une structure sociale de connaissances formée par un groupe de personnes ayant un engagement mutuel, une entreprise commune et un répertoire partagé et travaillant ensemble à des solutions aux problèmes rencontrés dans leurs pratiques professionnelles. Au fil du temps, les membres de la communauté de pratique partagent leurs connaissances, leurs expertises et apprennent ensemble, introduisant la théorie de l’apprentissage social au sein des communautés. En effet, selon Wenger (2005, p. 55), « la pratique doit être interprétée comme un processus d’apprentissage ».

27. Dans ce contexte, des temporalités professionnelles coexistent au sein des communautés de pratiques professorales et la modification des modes d’enseignement engendre une mutation de ces temporalités. Selon Varga (2013), qui s’intéresse au rapport au temps des participants et intervenants au sein de formations hybrides ou à distances, l’harmonisation du temps s’avère tant personnelle qu’assujettie aux évènements.

28. Grossin (1996) partage ses préoccupations en lien avec les temps imposés par l’horaire et le calendrier au détriment des temps naturels et de notre santé. Il explique que l’équation temporelle personnelle, soit l’atteinte de l’équilibre du rapport au temps, s’articule autour de la perception de son existence polychronique, de l’orientation temporelle, de l’horizon temporel défini par le passé et le futur, de notre disponibilité temporelle envers les autres, de notre gestion temporelle et de notre capacité à accepter de nouvelles temporalités. Dans l’éventualité où l’équation temporelle personnelle n’est pas atteinte, l’excès de tensions entre les différentes temporalités peut conduire à la souffrance au travail et induire des pathologies (Aubert, 2003).

29. Au sein des établissements québécois, « l’universitarisation de l’éducation des adultes », la « formation tout au long de la vie » et le besoin évident d’une interdisciplinarité nécessitent une modification des modes d’enseignement et un changement des programmes, des horaires et des contenus (Solar et Hébrard, 2008).

30. À cela s’ajoute la professionnalisation à l’université impliquant une nouvelle perspective pour les professeurs qui doivent prendre en considération dans leur enseignement « l’acquisition de compétences professionnelles reconnues, mais aussi l’accompagnement des étudiants dans leur parcours d’études en vue de leur future insertion sur le marché du travail » (Gayraud, Simon-Zarca et Soldano, 2011, p. 1).

31. Par ailleurs, Gachassin (2013) souligne l’existence d’une incohésion des temporalités entre les étudiants qui recherchent dans le programme de formation tous les moyens de réussir à l’accession de leur premier travail dès la fin de leurs études et l’université qui aspire à les préparer à l’intégralité d’une carrière professionnelle.

32. Selon Stanišić Stojić et al. (2014), les étudiants des cours en ligne préfèrent la qualité et la pertinence du matériel d’apprentissage à la quantité et les professeurs devraient accorder une attention particulière à leur communication avec eux et utiliser les avantages de la plateforme numérique en donnant la priorité à des ressources adaptées à l’apprentissage à distance, comme des didacticiels en ligne et des évaluations formatives.

33. Ainsi, le développement professionnel des professeurs dans un contexte d’intégration des nouvelles technologies est essentiel. Karsenti et Grégoire (2015, p. 8) exposent toutefois que « le contexte de la formation à distance contraint parfois les enseignants universitaires à se former, mais cela reste encore facultatif ».

2.3 Rythmes et temporalités liés au processus de l’innovation pédagogique

34. Le déploiement d’une pédagogie du numérique requiert des efforts de coopération entre les services et des acteurs aux compétences complémentaires, ainsi que la multiplication des initiatives de mutualisation (Albero et Carignon, 2008). En outre, l’adoption d’une IP issue d’une autre institution demande un travail d’appropriation par les professeurs pour les ajuster à leur contexte.

35. Le processus complexe d’implantation d’une IP s’échelonne sur huit étapes facultatives : 1) origine du choix, 2) type d’intervention, 3) soutien, 4) intégration, 5) évaluation 6) poursuite et améliorations, 7) propagation et 8) retombées (Walder, 2014a).

36. L’IP implique des crispations en lien avec l’institutionnel et le local possédant tous deux leurs propres temporalités (Peraya et Jaccaz, 2004). Le modèle Analyzing, Sustaining, and Piloting Innovation confirme une articulation et une intégration reposant sur trois sous-ensembles comprenant la dimension temporelle, car ce processus s’étale dans le temps (Peraya et Viens, 2005).

37. L’innovation se révèle un mécanisme avec sa propre temporalité (Marsollier, 2003) qui apparaît au sein même du processus de l’IP. Nonobstant, peu de recherches s’intéressent à l’articulation entre les innovations pédagogiques et technologiques, la temporalité et notre société moderne vis-à-vis des conséquences pédagogiques et organisationnelles que ces changements induisent dans les manières d’enseigner et d’apprendre.

3. Questions de recherche

38. Partant de l’hypothèse que les IP, notamment les nouvelles technologies, occasionnent une évolution des rythmes et temporalités, cette recherche explore l’interrelation entre la question du rapport aux temps et les pratiques enseignantes innovantes à travers l’auscultation d’expériences de professeurs des universités qui s’engagent dans l’implantation d’innovations pédagogiques à l’UdeM, une université québécoise francophone fortement engagée en recherche.

39. Cette étude s’intéresse aux rythmes et temporalités, tant des tâches professorales enseignantes que des exercices d’apprentissage des étudiants, en contexte d’IP, technologique ou non, dans des situations d’enseignement à l’université. Il s’agit de tenter de répondre aux questions suivantes « quelles sont les temporalités présentes en contexte d’innovation pédagogique ? » et « quelles sont les origines et les conséquences des nouvelles technologies sur les rythmes et temporalités ? »

4. Méthodologie

40. Pour cette recherche qualitative, il est question de choisir plutôt certaines personnes de façon délibérée en fonction de ce qui est exploré (Lamoureux, 2006). Dès lors, le concept de saturation empirique (Glaser et Strauss, 1967, p. 67) est adopté et atteint à la 32e entrevue. Sur les 49 sollicités, 32 professeurs des facultés de médecine vétérinaire, de médecine, des sciences infirmières, de pharmacie, d’architecture, des sciences de l’éducation, de droit, des sciences ou des sciences sociales et psychologiques, tous lauréats d’un prix d’excellence en enseignement de l’UdeM au cours des 9 dernières années et ayant implémenté au moins une IP dans leurs enseignements, ont participé à une entrevue individuelle semi-structurée et cinq d’entre eux ont contribué à un entretien de groupe.

41. La théorisation ancrée est employée en tant que méthode d’analyse, comme un « processus » (Paillé, 1994, p. 149) d’analyse des données ayant pour objectif d’approfondir l’objet de la recherche par-delà la simple analyse descriptive. Cette méthode peut « être utilisée pour explorer des domaines sur lesquels on sait peu de choses ou bien des domaines sur lesquels on gagnerait à trouver de nouveaux éléments de compréhension » (Strauss et Corbin, 1998, p. 11).

42. Pour profiter de cette démarche itérative de théorisation progressive d’un phénomène, les six étapes fondamentales (la codification, la catégorisation, la mise en relation, l’intégration, la modélisation et la théorisation) préconisées par Paillé (1994) ont été opérées. Le traitement des 450 pages du verbatim fidèlement retranscrit des entrevues et de l’entretien a occasionné 3800 segments codés. Le codage ouvert, catégorisant les éléments des discours des professeurs interviewés, a fait ressortir en tout 557 sous-thèmes, les catégories substantives, et le codage axial a permis l’induction de 50 thèmes, les catégories formelles.

43. Ainsi, des théories sont empiriquement construites à partir des discours des professeurs. Une théorie ancrée s’érige et se valide concomitamment à travers la méthode de comparaison constante, caractéristique majeure de la « grounded theory » (Glaser et Strauss, 1967), qui est faite entre la réalité observée et l’analyse naissante. De la sorte, la théorisation assure que le résultat est, comme il se doit, « ancré (grounded) solidement dans les données empiriques » (Paillé, 1994, p. 150).

5. Rythmes et temporalités en contexte d’innovation pédagogique

44. Les résultats permettent d’explorer en profondeur 51 types d’innovations pédagogiques (Walder, 2014b), qu’elles soient technologiques ou non, mais surtout d’identifier et d’appréhender les rythmes et temporalités occasionnés par le cadre temporel et les réalités universitaires actuelles ou engendrées par les IP.

45. L’analyse des données alterne propositions discursives tirées de segments d’entrevues, références à la littérature et éléments d’interprétation. Il s’agit de la reconstruction ordonnée du discours des professeurs toujours en consonance avec les questions de recherche. Le tout s’inscrit dans un processus d’analyse comparative et constante des données, une sorte d’aller-retour continuel entre les catégories tirées directement des discours et celles élaborées par le chercheur.

5.1 Les temporalités en contexte d’innovation pédagogique

46. À la question « Quelles sont les temporalités présentes en contexte d’innovation pédagogique ? », l’analyse des résultats met en évidence sept sous-thèmes, listés au Tableau 1, qui font clairement référence à trois temporalités et différents temps répertoriés par Dubar (2014).

Tableau 1. Temporalités mentionnées dans un contexte d’innovation pédagogique

original

47. Trois participants mentionnent qu’ils innovent en raison de la durée d’un cours de 3 heures, un temps physique, construit par les temps sociaux de l’université, trop long pour conserver l’attention des étudiants selon le temps vécu de nature biologique, le temps moyen de concentration étant de 12 minutes chez l’adulte (Hourst, 1997). Ce sont ici la contrainte de la temporalité fixée par le cadre universitaire et le temps ressenti par les étudiants qui demeurent à l’origine de l’IP.

48. Une préoccupation de l’éphémérité de l’innovation en tant que pratique innovante est relevée par 3 répondants en regard de sa continuité qui les plonge dans un état permanent d’innovation. C’est un temps vécu de nature psychique qui décrit une temporalité de la durée de l’IP elle-même, comme l’explique un professeur : « On fait un peu plus gros et puis on développe ce que l’on peut. Quand on a terminé, et bien on sait ce qu’il nous reste à faire. Alors donc, ce n’est jamais terminé dans le fond. » (cas 17)

49. Dans la même lignée, un professeur explique que, selon sa perception, certains étudiants ont une réaction négative, car l’innovation ne l’est pas pour longtemps, un temps vécu par l’étudiant de nature psychique, en particulier lorsqu’elle se généralise. En d’autres termes, une fois que les étudiants sont habitués, ils ne la perçoivent plus comme une innovation.

50. Enfin, 20 répondants expriment la contrainte de temps comme un obstacle à l’IP. Ils précisent que le temps investit dans la préparation en IP est important et qu’ils n’ont, dans un emploi du temps déjà très chargé, pas la disponibilité nécessaire pour leur projet d’IP. L’un d’eux affirme : « Les limites sont en premier lieu des limites de temps » (cas 8). Il existe une notion de temps physique, la journée ne compte que 24 heures alors que la charge professorale demeure déjà très lourde (Dyke et Deschenaux, 2008).

51. Notons également l’idée du temps vécu de nature psychique. En effet, le temps investi sous-entend aussi l’effort du professeur et cet aspect est critiqué par un autre répondant : « le manque de reconnaissance pour le temps que ça peut prendre (cas 14) ». En ce sens, le discours de deux participants met en lumière le manque de dégagement de temps physique pour ceux qui implantent des IP importantes. L’un d’eux motive ainsi son propos : « Alors pour le livre, elle a eu un dégagement de son institution pour l’équivalent d’une charge de cours, pas moi.  » (cas 6) Le temps physique semble adopter une notion de reconnaissance à travers une perspective psychique.

52. Que ce soit un temps physique ou vécu de nature psychique, il s’agit de temporalités professionnelles à gérer afin d’éviter des conflits pouvant menacer l’équation temporelle personnelle (Grossin, 1996) des professeurs.

53. À l’opposé, trois participants soulignent que l’IP leur fait gagner du temps. En effet, un professeur de chimie utilise des capsules vidéo pour expliquer le maniement des appareils afin que les étudiants qui n’y étaient pas accoutumés puissent se préparer avant le cours et fait ainsi gagner du temps sur l’activité en laboratoire.

5.2 Origines et conséquences des nouvelles technologies sur les rythmes et temporalités

54. Les conséquences de l’utilisation d’innovations technologiques sur les rythmes de travail des professeurs se manifestent par une activité de préparation accrue et chronophage en aval du cours et par une adaptation des professeurs à l’utilisation des outils numériques, en résonnance aux révélations de Karsenti (2016) et Karsenti et Grégoire (2015), mais ce n’est pas tout. Sur les 51 types d’innovations pédagogiques recensés, 14 sont liées aux nouvelles technologies et permettent de répondre à la question « Quelles sont les origines et les conséquences des nouvelles technologies sur les rythmes et temporalités ? »

55. Aux facteurs externes et internes de l’université à l’origine des IP outillées de nouvelles technologies s’ajoutent celles qui s’imposent au monde universitaire. Trois catégories émergent : les outils technologiques de mise à disposition des connaissances, les outils technologiques de présentation et d’échange, et les outils technologiques pour développer des compétences. L’analyse révèle 3 origines et 4 conséquences des nouvelles technologies sur les rythmes et temporalités, illustrées au Tableau 2.

Tableau 2. Origines et conséquences des nouvelles technologies sur les rythmes et temporalités

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5.2.1 Outils technologiques de mise à disposition des connaissances

56. Les professeurs utilisent les vignettes cliniques, les cours en ligne, les bases de données Web, les Wikis, les capsules vidéo et les portails universitaires. Ces outils s’adaptent au nouveau profil d’étudiant en offrant une disponibilité immédiate et une accessibilité à distance en tout temps aux connaissances, ce qui facilite la gestion des différentes temporalités de l’étudiant, souvent sources de conflits menant à l’échec ou à l’abandon, comme relevé par Varga (2013), car celui-ci peut y accéder quand il le souhaite.

57. Ces nouvelles technologies conduisent par contre à deux nouvelles temporalités professionnelles pour le professeur. Premièrement, comme les connaissances sont mises à disposition spontanément aux étudiants, ces derniers s’attendent impatiemment à ce que les professeurs répondent à leurs questions immédiatement ce qui implique un raccourcissement du délai de réponse du professeur. La seconde, concerne le professeur, habitué à répondre aux questions des étudiants en fin de cours ou au début du cours suivant, qui se sent obligé d’y consacrer du temps de manière étendue sur toute la journée, parfois la nuit, les jours de semaine comme le week-end. C’est un allongement de la plage de disponibilité du professeur, questionnant ainsi la sienne vers les autres, une composante citée par Grossin (1996) dans la recherche d’un équilibre temporel. Un répondant explique ces désagréments que partagent plusieurs de ses collègues :

Certains étudiants écrivent à 3 h du matin parce ils ont un problème. Moi, je suis supposé dormir. C’est qu’on est accessible 24 h sur 24 avec les technologies, et c’est très envahissant. On peut dire qu’on ne répondra pas, des fois je le fais, mais les étudiants sont habitués au temps réel, ils chattent, s’envoient des courriels, ils sont toujours en synchrone. Donc, ils s’attendent à avoir une réponse tout de suite. (cas 25)

58. Corollairement, les rythmes de communication se diversifient, se densifient et s’accélèrent. Ils ont pour conséquence un élargissement du temps de disponibilité du professeur pour répondre à ses étudiants qui s’attendent à une réponse quasi immédiate. Il s’agit de temps physiques qui possèdent également une notion de temps vécu psychique et qui s’inscrivent dans le concept des temps sociaux. Les professeurs pensent à préserver leur équation temporelle personnelle (Grossin, 1996) comme l’indique ce participant :

Dans tout ce qui est technologie, il y a toujours quelque chose qui nous agite. Je trouve ça envahissant, mais je pense qu’on va apprendre à gérer, parce qu’on va tous avoir un burn-out et personne ne pourra plus répondre. (cas 25)

5.2.2 Outils technologiques de présentation et d’échange

59. Les innovations technologiques qui s’imposent dans l’université du 21e siècle se traduisent par des outils comme les diapositives, les présentations visuelles, les télévoteurs, les forums de discussion et les visioconférences. Selon les répondants, ils facilitent la mise en action de l’étudiant dans son apprentissage qui écoute, regarde, réfléchit, donne son opinion, débat, collabore et coopère. Cela favorise les échanges, tant en classe qu’à distance.

60. Les interactions favorisées par ces outils technologiques exposent le professeur à des situations inédites qu’il doit gérer sur le terrain. Le temps revêt ici un aspect physique, avec l’effet d’un vécu de nature psychique, auquel s’ajoute une perspective sociale. Par exemple, lors d’utilisation de télévoteurs, les résultats projetés peuvent provoquer des commentaires ou questions que le professeur n’avait pas anticipés. La temporalité nouvelle est une réaction immédiate et imprévisible des étudiants à laquelle le professeur doit répondre spontanément.

61. Conséquemment, les résultats font ressortir une relation inédite entre le professeur et les étudiants qui éprouvent une mutation en devenant responsables, autonomes et actifs dans leurs apprentissages, ce qui complète la découverte de Paivandi et Espinosa (2013) concernant la relation éducative qui invite à la création d’une induction différente du pouvoir en présence de TIC.

5.2.3 Outils technologiques pour développer des compétences

62. Le facteur externe s’articule autour des attentes de la société et de l’industrie pour lesquelles les professeurs emploient des innovations technologiques liées à la professionnalisation des étudiants comme les modèles 3D, les logiciels et les cartes conceptuelles. Les diplômés doivent être prêts à être des professionnels performants dès leur arrivée dans le monde du travail. Ces outils technologiques permettent à l’étudiant d’analyser des résultats, de reproduire une forme, un produit, une texture, de démontrer des liens entre les concepts et de faciliter la préparation de l’étudiant de premier ou de second cycle en professionnel qualifié et performant, raccourcissant la période d’adaptation et d’apprentissage en milieu de travail en sciences de la santé notamment.

63. Comme l’annonçaient Gayraud, Simon-Zarca et Soldano en 2011, il devient impératif de dépasser les connaissances pour atteindre les compétences professionnelles déjà au cours de la formation universitaire. Il s’agit de trouver le temps physique pour intégrer différents exercices permettant l’atteinte de ces objectifs de compétences, ce qui peut engendrer une compression du temps nécessaire à l’apprentissage des connaissances. Un participant explique :

Pour un nouveau cours que je donne en automne, je voulais chercher des applications pratiques. On veut faire des choses, mais on manque de temps. (cas 28)

5.3 Des innovations pédagogiques, non technologiques, pour s’adapter aux effets temporels des technologies contemporaines

64. Il émerge paradoxalement que des professeurs peuvent implémenter des IP non technologiques pour répondre aux temporalités de nature sociale provoquées par les nouvelles technologies de notre quotidien. Par exemple, un professeur expérimenté explique que les étudiants d’aujourd’hui ont changé et qu’il est ardu de conserver leur attention pendant 3 heures de cours. Au fil du temps et de ses enseignements, il s’est aperçu que les étudiants de la génération télévisuelle étaient enclins à suivre le rythme de 15 minutes de film et 3 minutes de publicités. Ainsi, il a décidé de séquencer ses cours en session de 15 minutes en changeant de thème ou de perspective toutes les 15 minutes. Il explique :

À l’époque, les étudiants étaient déjà disciplinés et arrivaient avec l’idée : tout ce qu’on va me dire est pertinent. Aujourd’hui, il faut que dans les 15 minutes qui arrivent, l’étudiant ait une raison de rester accroché à ce que je raconte. Donc, il faut que je passe un message, en disant : dans ce qui vient, il y a quelque chose qui est important. Et il faut renouveler le message toutes les 15 minutes, c’est-à-dire la période entre deux séries de publicités à la télévision. (cas 23)

65. Ce participant confie que l’exposé d’une présentation visuelle de 50 minutes demande un séquençage des rythmes et explicite :

Un PowerPoint qui dure 50 minutes, c’est bon pour une conférence, mais dans un cours la période de concentration de l’étudiant et la lumière bleutée de l’écran fait que 15 minutes, c’est le grand maximum ! Donc, il faut couper le rythme en changeant le mode de présentation. Il faut que dans une période de 50 minutes, on ait utilisé 3 ou 4 modifications de rythme pour les garder. (cas 23)

6. Équilibres temporels

66. Le but ultime de cette recherche est de dégager un ensemble de connaissances spécifiques sur la question du rapport aux temps et les pratiques enseignantes innovantes par l’auscultation d’expériences de professeurs des universités qui s’engagent dans l’implantation d’IP.

67. L’originalité de cette recherche réside dans sa perspective d’envisager les innovations pédagogiques et technologiques comme une des solutions face aux transformations propres aux temporalités de l’université et de notre époque, mais également comme cause de ces mutations.

68. Les résultats permettent d’avancer que les outils contemporains, de technologies nouvelles, semblent s’adapter au nouveau profil des étudiants et faciliter la gestion de leurs différentes temporalités. Néanmoins, les nouvelles technologies provoquent parfois des IP non technologiques.

69. À l’évidence, les IP induisent une pression permanente à innover du fait de leur caractère éphémère et apparaissent comme un défi par rapport aux temporalités professionnelles du professeur. Les nouvelles technologies s’avèrent plus envahissantes pour ces derniers et nécessitent de répondre en permanence, plus vite et d’être prêt à anticiper les questions et les situations imprévisibles sur-le-champ, ce qui implique un travail de préparation plus long et une formation à leur utilisation d’autant plus chronophages que leur développement est rapide.

70. Le temps passé aux préparations des cours est plus long, le temps de réponse escomptée par les étudiants plus court, la réactivité attendue des professeurs plus rapide et des apprentissages dépassant la connaissance pour atteindre la compétence, dans un temps physique imparti qui demeure le même, causent des situations complexes de gestion temporelle pour les professeurs astreints à certaines compressions de leur temps pour l’enseignement des mêmes curricula et provoque des risques de pressions psychologiques insidieuses pouvant mener, si l’équation temporelle personnelle n’est pas atteinte (Grossin, 1996), à une souffrance au travail (Aubert, 2003).

71. Finalement, il se dessine que la recherche d’un équilibre temporel pour les étudiants à travers l’innovation pédagogique et technologique fragilise celui des temporalités professionnelles du professeur.

7. Conclusion

72. Cet article étudie le rapport aux temps en situation de pratiques enseignantes innovantes à travers l’auscultation d’expériences de professeurs qui s’engagent dans l’implantation d’innovations pédagogiques. La problématisation fait émerger un cadre temporel universitaire, partagé par les étudiants et un corps professoral évoluant en communautés de pratiques, qui mène à deux questions en regard des temporalités présentes en contexte d’innovation pédagogique puis des origines et des conséquences des nouvelles technologies sur les rythmes et temporalités.

73. Il ressort de cette étude que l’existence dans le temps, dans ce contexte, s’organise autour de temporalités fixées par le cadre universitaire, en lien avec l’innovation pédagogique et l’activité professionnelle. Elles se composent de temps physiques, sociaux et vécus de nature biologique ou psychique, avec la démonstration claire, s’étayant sur une méthodologie reconnue, que les temporalités sont affectées par les TIC.

74. Les outils technologiques de mise à disposition des connaissances, de présentation et d’échange ainsi que ceux permettant de développer des compétences proposent des alternatives réduisant le chevauchement des temporalités des étudiants, facilitant l’action dans leur apprentissage et leur développement de compétences. En conséquence, une évolution des pratiques enseignantes aux fins de s’adapter aux besoins estudiantins et sociétaux actuels se confirme. Elles se révèlent néanmoins une source de nouvelles temporalités professionnelles pour les professeurs qui doivent apprendre à les gérer afin de préserver leur propre équilibre temporel.

75. Une des connaissances nouvelles mises en lumière par cette étude révèle que la recherche d’un équilibre temporel pour les étudiants à travers l’innovation pédagogique et technologique bouleverse les temporalités professionnelles du professeur en fragilisant son équilibre temporel.

76. En réponse à la question titrée, les innovations technologiques sont bien à l’origine des nouveaux rythmes et temporalités de l’université contemporaine. Si elles répondent assurément aux rythmes et temporalités de nos sociétés modernes, elles peuvent de la même façon en engendrer de nouveaux.

Bibliographie


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Référence électronique

Anne Mai Walder, « Les innovations technologiques sont-elles à l’origine des nouveaux rythmes et temporalités de l’université contemporaine ? », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 16 | 2016, mis en ligne le 15 décembre 2016, consulté le 18 décembre 2016. URL : http://dms.revues.org/1605 ; DOI : 10.4000/dms.1605

Licence : CC by-sa

Notes

[1Personne ayant entrepris des études universitaires, mais qui ne les poursuit plus et qui n’obtient pas de diplôme.

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